A propos des discours sur les BRICS+

J’ai écouté une interview de Laurent Delcourt du CETRI qui d’une certaine manière reflète et relaye depuis le Sommet historique de Kazan les campagnes de doute, de scepticisme, de contestation voir de dénigrement sur les BRICS+. Selon lui, ceux-ci seraient trop ou pas assez !. Les BRICS+ reproduiraient les mêmes types de rapports avec les […]

A propos des discours sur les BRICS+
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J’ai écouté une interview de Laurent Delcourt du CETRI qui d’une certaine manière reflète et relaye depuis le Sommet historique de Kazan les campagnes de doute, de scepticisme, de contestation voir de dénigrement sur les BRICS+. Selon lui, ceux-ci seraient trop ou pas assez !. Les BRICS+ reproduiraient les mêmes types de rapports avec les pays d’Afrique que ceux qu’imposent les anciennes puissance coloniales. Les BRICS+ en fait ne penseraient qu’à leurs intérêts propres en exploitant les ressources naturelles de ceux qu’ils prétendent représenter et soutenir. En fait et toujours selon Laurent Delcourt, rien de bien nouveau ne serait apparu sous le soleil. Évidemment on s’attendrait plutôt à entendre ce type de discours de la part des experts de plateau et des médias pour lesquels l’ordre libéral est un système indépassable Mais, dans son cas, le bilan globalement négatif qu’il nous présente est censé partir d’une approche qui se veut tiers-mondiste. En fait, Laurent Delcourt, les bons sentiments en bandoulière, se refuse à prendre en compte le monde réel tel qu’il est. Pour juger, il préfère s’en tenir à un monde parfait, sans rapports de forces, sans contradictions, sans avancées, sans reculs, sans possibles et pour les peuples sans victoires ni défaites. La référence de Laurent Delcourt à partir de laquelle il juge unilatéralement l’action des BRICS+, c’est une espèce de monde idéal, d’harmonie et de perfection qui selon lui devrait guider l’action de chaque état. Or, même si le monde change vite et même de manière accélérée, il n’a pas fait disparaître comme par un coup de baguette magique les differences, les divergences, les désaccords, les choix différents de développement, les compromis et les compromissions, les limites des volontés politiques. Que chaque État cherche à faire valoir ses intérêts mais c’est là, le b.a.-ba de ce sur quoi demeure encore fondé les relations internationales bilatérales ou multilatérales. De plus cela est également associé avec des principes comme souveraineté, autodétermination et indépendance. Les Nations Unies en sont l’illustration et l’expression à l’instant T d’un rapport des forces qui s’exprime à partir d’intérêts nationaux et rien d’autre. C’est ainsi, que cela plaise ou non ! Par conséquent, le constat auquel se livre Delcourt correspond à une vision apolitique du monde qui n’aide pas à l’indispensable clarté sur les enjeux et les défis auxquels les peuples doivent faire face aujourd’hui, c’est-à-dire aux risques comme aux opportunités. Les BRICS+ représentent, à travers une alliance politique très souple, non pas une alternative (du moins pas pour le moment) mais une dynamique en faveur d’un mouvement qui contribue progressivement à modifier l’architecture des relations internationales. Cela se fait, avec toutes les limites objectives que l’on peut imaginer. Ainsi, par exemple est différente l’ambition de la Chine qui veut construire une société socialiste développé aux caractéristiques chinoises pour le milieu du siècle et les objectifs de l’Arabie Saoudite qui est une monarchie réactionnaire dont les liens avec les EU sont certes distendus mais pas au point de rompre. Faut-il ajouter que l’Arabie Saoudite tout comme la totalité des états dans le monde sauf les Etats-Unis et Israël votent chaque année en faveur de Cuba et de la résolution des Nations Unies qui condamne les Etats-Unis au sujet du blocus qu’ils imposent. Cela ne fait pas du Prince héritier Mohammed Ben Salmane un défenseur du socialisme cubain. Ainsi, Chine et Arabie Saoudite ces deux états aux visions diamétralement opposés sont capables de travailler et de coopérer ensemble bilatéralement comme au sein des BRICS+. Il faut donc être lucide et ne pas faire dire aux BRICS+ ce qu’ils ne disent pas eux-mêmes mais au contraire prendre en compte les évolutions, les changements d’attitude, préventions hier coopération aujourd’hui et donc leurs significations avec toutes leurs limites positives ou négatives. Les BRICS+ ne contribuent-ils pas à favoriser l’émergence d’une nouvelle mentalité ? Un pas vers cette communauté de destin dont parle Xi Jinping, un cadre inédit qui ne serait pas synonyme d’uniformité, mais au contraire de respect de l’identité de chaque état. N’est-ce pas au fond ce qui est à ce stade le plus important ? Qu’il y ait entre les BRICS+ un début d’harmonisation ou d’approche commune sur certains sujets est déjà très positif. C’est le cas, par exemple avec le refus des sanctions qui, rappelons-le sont illégales si l’on se réfère au droit international, des conditionnalités, des règles qu’imposent unilatéralement les Occidentaux et leurs institutions, de la suprématie du dollar, du racket des institutions de Bretton Woods, du rejet de la conflictualité et des guerres, de la réaffirmation du respect de la souveraineté des États, de leurs libres choix de droit au développement, en un mot le rejet de ce système de tutelle qui continue à étouffer l’indépendance et la souveraineté des états, notamment ceux des plus faibles au nom de la bonne gouvernance et du droit d’ingérence. Ce patrimoine de principes et valeurs que défendent les BRICS+ constitue des avancées d’autant plus importantes qu’elles sont portées par plus de la moitié de la population mondiale, et que celle-ci représente en terme de pouvoir d’achat dans l’économie mondiale une part beaucoup plus importante que tous les pays du G7. Ainsi, et ce n’est pas secondaire, les BRICS+ contribuent ainsi à se que l’on se dégage progressivement d’un système hégémonique et anachronique. Contribuant à la stabilité mondiale tout en exprimant certes avec des limites, une volonté d’aller au delà, c’est-à-dire vers un nouvel ordre mondial, une multipolarité en forme de nouvelle émancipation. Certains diront c’est de la rhétorique, car au fond ça ne change rien. Pourtant, la réalité et la vie entre sont entrain de démontrer le contraire, le rapport des forces par définition n’est pas une chose figée et immuable. Pour s’en assurer, et face à ces bouleversements on serait tenter de citer Francis Fukuyama pour qui ” Si nous baissons la garde, le monde libéral disparaîtra “. Dans la prise en compte de ce qui change qualitativement et concrètement, Laurent Delcourt ne semble pas à jour sur la relation Inde/Chine. En fait, l’un des évènements les plus importants du Sommet de Kazan est justement cette rencontre Narendra Modi et Xi Jinping qui confirme un rapprochement important entre les deux géants asiatiques. Cette évolution qui est engagé depuis des mois et même plus encore ne se réduit pas à la seule solution des problèmes frontaliers pour lesquels ils ont trouvé ensemble des réponses adaptées, mais elle touche aux relations politiques et économiques. Même si l’Inde demeure partie prenante de la Quadrilatérale, cette alliance politico militaire tournée contre la Chine, ses relations avec les EU ont changé au point que Biden a même dû annuler sa visite d’État de décembre 2023. Ainsi les EU ont, depuis, mis sur une liste noire l’Inde sur la question de la liberté religieuse ; le Canada a expulsé 70 diplomates indiens. EU et Canada ne font pas mystère de leur soutien au mouvement séparatiste des Sikhs qui au Pendjab revendiquent un Etat indépendant : le Khalistan. L’Inde par ailleurs est devenu une plateforme de raffinage et une plaque tournante mondiale pour le pétrole russe. Dans le même temps, les relations économiques, commerciales, culturelles entre la Chine et l’Inde n’ont jamais été aussi importantes. Les facilités de voyages entre les deux pays ont été élargies et simplifiées. Par ailleurs les changements de régime récents au Bangladesh et au Sri Lanka ont fait réagir fermement l’Inde quant aux ingérences EU dans la région. Faut-il on non prendre tout cela en compte dans notre appreciation sur la situation mondiale comme dans le rapport des forces dans la région ? Autres exemples qui ne sont pas indifférents à l’existence et à l’action publique ou non des BRICS+ : l’évolution positive des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, le retour à l’unité de toutes les factions palestiniennes, la résistance d’une majorité à l’Assemblée générale des Nations Unies aux pressions occidentales sur le dossier Ukrainien, la réunion de 50 chefs d’états africains à Beijing et le développement des routes de la soie(BRI) soutenues par 150 pays dans le monde, le rôle accru de la Nouvelle Banque de développement, etc… En fait, les BRICS+ contribuent à ce que dorénavant de nombreux États puissent s’adosser à un énorme potentiel économique, à des capacités financières accrues, à des réalisations scientifiques, à des innovations sans précédents en particulier dans le domaine de l’intelligence artificielle (AI) et de la protection de l’environnement. Faut-il encore ajouter combien le potentiel économique des BRICS+ se conjugue avec des atouts démographiques réels au moment même ou les économies occidentales s’enfoncent dans une crise systémique durable et dévastatrice industriellement comme socialement. Enfin, et même si cela reste encore insuffisant, il est indiscutable que le mouvement en faveur de la dédollarisation, la valorisation des échanges en monnaies nationales dans le commerce entre de nombreux pays membres ou non des BRICS+ constitue une situation totalement inédite que les Etats-Unis sont incapables de contrecarrer et de freiner malgré toutes les pressions qu’ils exercent. Enfin, si on ne peut encore vraiment parler d’alliances anti hégémoniques au plan politique, il est incontestable que se réalise sous nos yeux ce que Zbigniew Brzeziński craignait le plus (dans son livre Le grand échiquier). Ce cauchemar qu’il redoutait en forme de contestation comme de remise en cause de la suprématie étasunienne, c’est-à-dire ce rapprochement stratégique indiscutable qui ne cesse de se renforcer tant leur complémentarité est forte entre la Russie, la Chine, l’Inde et l’Iran. Certes non sans contradictions mais, jusqu’à plus ample informé, ce sont celles-ci qui font bouger le monde ! Demain sera un autre jour ! Par conséquent, on ne saurait tirer des conclusions définitives sur les BRICS+ et encore moins anticiper à l’aveuglette. Leur existence n’est déjà pas si mal ! Ce qui est important dans les relations internationales c’est le mouvement, la tendance y compris sur le temps long. Les BRICS+ n’y échappent pas. Il se fait que la période que nous vivons actuellement me fait penser à ce que Lénine disait de manière anticipatrice en 1915 : “Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas habituellement que la base ne veuille plus vivre comme auparavant mais il importe que le sommet ne le puisse plus”. En sommes-nous là ? Une chose est au moins certaine : cela y ressemble fort.   Source: https://www.legrandsoir.info/