Maroc

Traditions : les souks, bien plus que des lieux de commerce

Depuis des siècles, les souks sont pris d’une effervescence particulière à l’approche de ramadan. De Marrakech à Fès, ces marchés historiques voient leur activité se métamorphoser pour répondre aux besoins des familles. Entre récits d’antan et évolution contemporaine, plongée au cœur de cette dynamique commerciale ancrée dans le patrimoine marocain.

Pendant le mois de ramadan, les souks s’éveillent tardivement. Même si le jeûne ralentit les corps, les préparatifs du ftour ne peuvent attendre. Certains mets nécessitent des heures de cuisson, et, dès le matin, les premiers clients s’avancent dans les ruelles encore calmes du marché. Ici, un boucher aiguise sa lame, là, un marchand de pois chiches remplit des sacs à ras bord, tandis que d’autres alignent soigneusement leurs pyramides d’olives. Peu à peu, la frénésie s’empare du marché.

Les souks regorgent de marchandises en tous genres. Les marchands crient leurs prix, les odeurs enivrantes de la menthe, du cumin et de la cannelle se mêlent aux effluves sucrées des dattes et du miel. Les négociations vont bon train, entre éclats de voix et poignées de main fermes, tandis que les clients, le visage parfois marqué par la fatigue du jeûne, scrutent les prix et évaluent la qualité des produits. Les souks ne sont pas uniquement des lieux de commerce, ils sont aussi des espaces de vie sociale.

Dans chaque recoin, des discussions animées éclatent autour des stands de pâtisseries traditionnelles, où se vendent chebakias dorées, briouates aux amandes et mkherka. Un mélange énergétique parfait pour soutenir les longues journées de jeûne.

Un marché ancré dans l’histoire
Le souk marocain est bien plus qu’un simple lieu de commerce. Il plonge ses racines dans les marchés caravaniers préislamiques, où se croisaient marchands et voyageurs reliant l’Afrique, l’Europe et l’Orient. Ces lieux de convergence jouaient un rôle clé dans la diffusion des cultures et des marchandises à travers les siècles.

Avec l’expansion de l’islam, ces marchés se sont structurés sous la supervision des autorités locales, garantissant la qualité des produits et l’équité des échanges. Chaque souk avait son jour spécifique de tenue, et les habitants des alentours s’y rendaient pour faire leurs provisions hebdomadaires, mais aussi pour y obtenir des services et des conseils.

Dans ses écrits du XVIe siècle, Muhammad al-Wazzan, alias Léon l’Africain, décrit la foisonnante activité des souks marocains, où tribus bédouines et citadins viennent troquer épices, bétail et objets artisanaux.

L’importance du souk dépasse alors la simple transaction commerciale, c’est un centre de vie sociale, où se nouent des alliances, se résolvent des conflits et où les conteurs et musiciens animent les allées bondées, racontait-il. Il note également que ces marchés hebdomadaires étaient des lieux de mixité sociale, où riches et pauvres, citadins et ruraux, coexistaient dans un écosystème économique propre à la société marocaine de l’époque.

Un carrefour incontournable lors du ramadan
Encore aujourd’hui, «au Maroc, le jour du souk est une fête», affirme le géographe Jean-François Troin qui a visité et analysé les 384 souks du Maroc septentrional sur les 800 que comptait le Royaume durant les années 1970.

Cette effervescence atteint son paroxysme à l’approche du ramadan, mois durant lequel les habitudes alimentaires et commerciales se transforment. Les souks deviennent alors le cœur battant des préparatifs, les échoppes de fruits secs, de gâteaux traditionnels et d’épices s’emplissent de clients venus faire des réserves pour le ftour. À Jemaa el-Fna, cœur vibrant de Marrakech, les vendeurs de miel et d’amandes rivalisent d’ingéniosité pour séduire les acheteurs.

Au Mellah de Fès, ancien quartier juif, les marchands de farine et de produits laitiers voient leur activité tripler à l’approche du mois sacré. Sous les dynasties mérinides et saâdiennes, les autorités chérifiennes veillaient à ce que les souks restent bien approvisionnés afin d’éviter la spéculation.

Cette tradition perdure encore aujourd’hui avec des mesures de contrôle des prix et des stocks mises en place avant chaque ramadan. L’État surveille notamment l’importation de certains produits phares du ftour, comme les dattes, pour garantir un approvisionnement suffisant à des prix stables.

Dans certaines régions rurales, le souk conserve son aspect traditionnel, avec ses marchés à ciel ouvert où l’on vend encore les produits directement issus des fermes voisines. Les souks de montagne, notamment dans le Haut-Atlas, offrent une ambiance plus authentique et intemporelle, où les femmes berbères viennent vendre du beurre clarifié, des herbes médicinales et des fromages artisanaux.

Un héritage en perpétuelle évolution
Si l’esprit des souks traditionnels demeure, leur visage a évolué. L’essor des centres commerciaux et des supermarchés a transformé les modes de consommation, mais le souk reste le lieu privilégié des achats authentiques. ramadan leur redonne chaque année un rôle central, réaffirmant leur statut de lieu d’échange, de rencontre et de transmission des savoir-faire culinaires.

Ainsi, de Jemaa el-Fna au Mellah de Fès, en passant par les souks des villes et villages du Royaume, le commerce du ramadan perpétue une tradition qui traverse les siècles. Une immersion au cœur de ces marchés ancestraux, où chaque produit vendu raconte une part de l’histoire du Maroc.

Dans un monde qui se modernise à grande vitesse, le souk reste ce lien tangible entre le passé et le présent, un espace où l’on ressent encore l’âme des anciens caravaniers et l’écho des voix d’autrefois résonnant sous les étals parfumés.

Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO



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