Le grand remplacement

Par Yassine Majdi

Le grand remplacement n’est pas celui que vous croyez. Il ne se trame pas derrière nos frontières, mais derrière nos écrans. Nos grands remplaçants sont déjà là, dans nos ordinateurs et nos smartphones. Des machines intelligentes, capables de créer, d’innover, voire de nous surpasser. L’intelligence artificielle (IA) est une révolution aussi silencieuse que brutale. Et si le Maroc ne se réveille pas vite, il risque de se retrouver à la traîne d’un monde qui aura changé sans lui.

L’IA n’est plus une promesse futuriste, elle est là, et avance à une vitesse vertigineuse. La popularisation de ChatGPT en 2022 n’en a été que les prémices. Aujourd’hui, des modèles comme DeepSeek, développé en Chine, montrent que l’IA peut être puissante sans nécessiter des ressources colossales. Grâce à une optimisation intelligente, ses modèles rivalisent avec ceux des géants américains, mais à moindre coût. Résultat ? Une démocratisation inédite. L’IA n’est plus réservée aux multinationales : même une PME marocaine peut envisager d’avoir son propre serveur IA. Cette révolution n’est pas sans conséquences. Ceux qui ne la suivront pas risquent de disparaître.

L’IA est devenue un enjeu géopolitique majeur. États-Unis et Chine se livrent une bataille féroce. Washington a restreint l’exportation de puces de dernière génération vers Pékin, espérant remporter la course à l’IA. La Chine réplique en bloquant les exportations de terres rares et en développant des modèles tout aussi performants et moins gourmands en ressources. De son côté, la France, avec Mistral, tente d’exister dans ce paysage ultra-concurrentiel.

Et le Maroc ? Le royaume a signé des accords avec Oracle pour l’installation d’un serveur cloud – première étape de développement d’une IA localisée -, mais les avancées sont timides. Pendant que le train de l’IA file à grande vitesse, le risque d’être distancé est réel. Pourtant, le Maroc a une carte maîtresse : l’énergie verte. Grâce à son ensoleillement exceptionnel et ses vastes parcs éoliens, il pourrait devenir un hub, permettant le développement de data centers alimentés par des énergies renouvelables.

Il faut aller plus loin. Pourquoi ne pas s’appuyer sur des technologies open-source, comme Llama de Meta ou DeepSeek, pour développer un modèle IA local ? Imaginez un méga-data center propulsé par l’État et financé par des partenariats public-privé. Une IA marocaine, basée sur des technologies étrangères, mais souveraine : serveurs locaux, énergie produite sur place, et, surtout, données protégées et placées sous le coup de la législation nationale. Cela exige une vision et une politique volontaristes. Or, pour l’instant, le gouvernement ne fait preuve ni de l’une, ni de l’autre. Pourtant, des exemples existent : les Émirats arabes unis ont créé une agence dédiée pour structurer leur stratégie IA.

“L’IA est à la fois une menace et une opportunité. Le Maroc dispose des atouts pour en tirer profit, mais il doit se réveiller”

Yassine Majdi

L’essor de l’IA s’accompagne aussi de défis sociaux et économiques majeurs. Des milliers d’emplois sont menacés. Le secteur de l’offshoring, pilier de l’économie marocaine, pourrait être l’une des premières victimes. La compétitivité imposera cette transition, qu’on le veuille ou non. Comment préparer le Maroc à cette inévitable mutation ? Comment rediriger la main-d’œuvre vers de nouveaux métiers ? Comment taxer les entreprises qui dégageront des profits records à travers l’utilisation de l’IA ? Comment redistribuer cette manne aux populations touchées par le chômage ? Et surtout, comment préparer nos enfants aux métiers de demain ?

Le Maroc ne peut plus se permettre d’être spectateur. Il est temps d’agir en partenariat avec le secteur privé : investir dans l’énergie verte, développer des data centers locaux, et s’appuyer sur des technologies open-source pour créer une IA souveraine. En parallèle, il faut repenser notre système éducatif pour former les jeunes aux métiers de demain et accompagner les travailleurs impactés par cette transition. L’IA est à la fois une menace et une opportunité. Le Maroc dispose des atouts nécessaires pour en tirer profit, mais il doit se réveiller. Car, dans ce nouveau monde, les machines ne laisseront pas de seconde chance aux indécis.