Le vert et le noir

Par Abdellah Tourabi

Mercredi dernier, en tendant l’oreille, on aurait pu entendre un soupir de soulagement collectif après la lecture du message royal invitant les Marocains à “s’abstenir d’accomplir le rite du sacrifice de l’Aïd cette année”. La décision du roi est juste et pertinente à plusieurs niveaux : elle libère les citoyens de notre pays d’une charge financière considérable, préserve le cheptel national décimé par un cycle de sécheresse et barre le chemin aux spéculateurs qui ont transformé ce rite religieux en une opportunité d’enrichissement éhonté sur le dos des Marocains.

L’année dernière, l’Aïd a été une source de souffrance et de détresse pour des millions de nos concitoyens, notamment les plus démunis, contraints de s’endetter pour accomplir ce rite. Les prix des moutons avaient atteint des seuils prohibitifs, la spéculation jouant un rôle malsain dans cette hausse. Un triste spectacle qui s’est déroulé devant les yeux de l’État, incapable d’intervenir au nom de la liberté du marché et de la loi de l’offre et de la demande. La réédition de ce spectacle aurait été une source de tension supplémentaire, dans un climat social déjà marqué par la cherté de la vie et la hausse des prix.

Mais cette situation de pénurie et d’épuisement des ressources agricoles est probablement l’occasion de faire une évaluation réelle et objective du Plan Maroc Vert (PMV) et de sa suite. Une évaluation qui devrait se faire sans tomber dans le règlement de compte, ni dans le réflexe grégaire de protection de celui qui incarne cette stratégie : Aziz Akhannouch. Même si ce dernier a fait du PMV une affaire personnelle, un outil de promotion politique et un instrument de clientélisme électoral et économique. Une politique publique s’évalue en dehors des considérations personnelles, mais Aziz Akhannouch rend ce postulat difficile à réaliser, en raison de ses intérêts politiques et économiques et de son propre discours, incapable de dissocier le PMV de sa personne.

Selon de nombreux spécialistes, le Plan Maroc Vert
a joué un rôle déterminant dans l’assèchement des ressources hydriques du pays

Abdellah Tourabi

Le PMV a indéniablement des réussites (augmentation de la production agricole, hausse des exportations, montée en puissance de certaines filières…) qui sont le résultat d’un investissement massif de l’État et d’une pléthore d’incitations financières et juridiques. Mais le prix de ces réalisations a été extrêmement coûteux pour des besoins vitaux et des secteurs stratégiques du pays. Il y a tout d’abord l’eau et sa disponibilité, cette problématique qui préoccupe le Maroc, et qui le hantera dans les années à venir. Selon de nombreux spécialistes, le PMV a joué un rôle déterminant dans l’assèchement des ressources hydriques du pays. En augmentant les surfaces irriguées, en encourageant des cultures voraces en consommation d’eau, refusant de tenir compte de la nature semi-aride du pays et en s’en tenant à une pure logique productiviste et comptable, le PMV a eu des effets dévastateurs sur les ressources en eau. Produire et exporter de plus en plus de tomates et d’avocats, pour arriver à remettre en cause la capacité de boire et de se laver dans les villes du royaume. La pénurie d’eau n’est pas seulement le fait d’un cycle malheureux de sécheresse, elle est aussi le résultat d’une politique agricole publique insensible envers les ressources rares du pays.

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Les conséquences sociales du PMV doivent également être évaluées. Conçu au départ comme un outil de lutte contre la pauvreté dans le monde rural et un moyen de fixer les populations et les familles dans leur territoire, le PMV a produit des effets pervers. Grâce aux largesses financières accordées et à des avantages divers et variés, il a favorisé les grandes exploitations agricoles au détriment des petits fermiers et des familles rurales. On a assisté à l’émergence d’une caste de barons de l’agriculture qui forment également la cohorte des notables ruraux présents dans les partis politiques et dominent les élections, dans une confusion totale des intérêts et des rôles. Selon les dernières statistiques officielles, la pauvreté demeure concentrée dans le monde paysan. Et l’objectif de créer une classe moyenne rurale, affiché par Génération Green Maroc, la copie rectifiée du PMV, paraît une chimère. Malheureusement !

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