La Chute du ciel prolonge le livre homonyme de Bruce Albert paru en 2010, sous-titré Paroles d’un chaman yanomami, consacré au credo et au combat de Davi Kopenawa, porte-parole du vaste peuple Yanomami, vivant dans la forêt entre Brésil et Venezuela.

© La Vingt-Cinquième Heure Distribution
On se souvient de Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss, ouvrage qui fut un des premiers à médiatiser la situation tragique des Indiens d’Amazonie, pressurés, contaminés, chassés par la société industrielle. Puis il y eut Raoni (1977), documentaire de Jean-Pierre Dutilleux, sur Raoni Metuktire, leader du peuple kayapo, devenu l’emblème des ethnies de la forêt amazonienne en proie à la déforestation galopante.
La Chute du ciel met en avant Davi Kopenawa, chaman et figure de proue des Yanomami, qui a pris le relais médiatique de Raoni dans cette résistance contre le grignotage de l’Amazonie par l’avidité du « peuple de la marchandise ». Mais c’est moins une œuvre militante, ou une description ethnographique des us et coutumes des Yanomami, qu’une immersion dans la vie ordinaire d’un village à un moment donné, celui où David Kanepawa organise une fête commémorant la mémoire de son beau-père, qui l’a initié au chamanisme.
Le rêve a une fonction centrale
Il est question de la philosophie et de la cosmogonie yanomami, souvent décrite en voix off par Kanepawa lui-même, mais bien sûr, également, des maux chroniques dont les membres de sa tribu sont atteints – principalement causés par l’invasion des orpailleurs, les « mangeurs de terre », qui saccagent et polluent tout au nom du métal jaune.
On assiste en parallèle aux festivités des Yanomami, qui semblent reposer en partie sur la prise d’une poudre hallucinogène, la yakoana, qui génère apparemment des visions et des états semblables à ceux produits par d’autres concoctions de végétaux autochtones, comme la célèbre ayahuasca. Car pour ce peuple en contact direct avec le réel et le monde sauvage, dont il tire toujours sa substance aujourd’hui, le rêve a une fonction centrale.
Le film tente de rendre compte de cette conception du monde, sans jugement ni regard condescendant, en incluant même les questionnements légitimes de certains anciens, perplexes, sur la présence de ces Blancs curieux. Un vieil homme s’adresse à la caméra : « Je suis là à me laisser filmer. Mais serez-vous vraiment, vous, nos alliés ? » demande-t-il. Les cinéastes, Eryk Rocha et Gabriela Carneiro da Cunha, brillent cependant par leur discrétion et donnent exclusivement la parole aux Yanomami. Mais ce faisant, ils manquent presque de recul pour apprécier la globalité du tableau.
Le film, tourné en format Scope, est saisissant de beauté lorsqu’il cadre en plan large les activités ou les paysages. Voir le long et impressionnant plan-séquence d’ouverture, qui montre la peuplade entière arriver de loin et se diriger vers la caméra. D’un autre côté, le format allongé pâtit du gros plan, qui tronque le haut des têtes ou les mains lorsqu’elles sont occupées à une quelconque activité. C’est l’inconvénient de cette œuvre in medias res qui fait la part belle à la psyché amérindienne, dont elle va jusqu’à illustrer certains concepts apocalyptiques par des extraits d’un film du visionnaire arménien d’Artavazd Pelechian. West meets East.
La Chute du ciel, d’Eryk Rocha et Gabriela Carneiro da Cunha, Brésil/Italie/France, 1 h 50
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