Notre santé et la médecine sur grand écran

Tribune

Par François Blot, praticien hospitalier en réanimation et comité d’éthique, auteur de Faut-il légaliser l’aide médicale à mourir ? (Hermann, 2023).

En quelques semaines, le cinéma donne à voir trois films qui abordent la fin de vie, les soins palliatifs, l’aide à mourir. Mais surtout, sort On ira d’Enya Baroux. Pour un coup d’essai, ce premier film est un coup de maître. Oui, le cinéma est un médium incomparable pour exposer des sujets de société difficiles. C’est vrai en médecine, et les universitaires n’ont pas tardé à le comprendre, avec par exemple l’Université Paris-Cité et le cycle “Barberousse”. Miroir grossissant, le cinéma révèle nos rapports à la santé et au soin, à la vérité et à l’autonomie de la personne.

Paternalisme et mensonge

Pendant les Trente Glorieuses, il reflète le paternalisme français le plus caricatural avec Un grand patron joué par Pierre Fresnay, ou Knock par un Louis Jouvet imposant la loi du tout sanitaire à un village qui n’en veut pas (« Dieu nous protège des demi-dieux », dira l’épouse de Fresnay). Plus tard la (non) question de la vérité au malade est à l’affiche de films comme Rak (Belmont, 1972) puis Docteur Françoise Gailland (Bertuccelli, 1975), prototypes d’une période où on ne prononçait pas les mots qui fâchent, et surtout pas les diagnostics de cancer ni les pronostics mortels. La sociologue Sylvie Fainzang a pointé en 2006 le mensonge comme pratique médicale courante, même si le curseur a bougé depuis ; le mot cancer devient audible ; c’est celui de métastase qui, en dépit des efforts de Pierre Desproges, reste indicible.

Soins palliatifs contre acharnement

Le tsunami planétaire du sida, à partir de 1981, et le peu d’efficacité dans le traitement du cancer et surtout de ses symptômes, conduisent dans les années 1990 à l’éclosion de soins palliatifs nés en Angleterre. Le magnifique C’est la vie (Améris, 2001), tourné à “la Maison” de Gardanne avec Sandrine Bonnaire et Jacques Dutronc, est un hymne à l’humanisation des soins et à la recherche d’un sens de la vie, même dans ses moments les plus douloureux. Avec De son vivant (2021), Emmanuelle Bercot a plus récemment mis en image l’accompagnement final de Benoît Magimel, entouré de sa mère (Catherine Deneuve) et d’une équipe admirable de soins palliatifs (emmenée par le docteur Gabriel Sara dans son propre rôle).

Euthanasie et suicide assisté

C’est la question qui depuis deux décennies revient le plus, reflétant un vif débat de société dans de nombreux pays du monde. En 1977 déjà, Costa-Gavras porte à l’écran le livre de Romain Gary Clair de femme, dans lequel l’épouse d’Yves Montand, atteinte d’un cancer incurable, met fin à ses jours. Rencontre de hasard, Romy Schneider aide Montand à traverser vivant cette nuit improbable. Les invasions barbares (Arcand, 2003) augure de la légalisation future de l’aide médicale à mourir au Canada en 2016 : cette année-là, Rémi, professeur de lettres atteint d’un cancer incurable recourt à une euthanasie clandestine par laquelle il affirme son autonomie, et qu’il ritualise même avec la présence de ses ami(e)s de toujours.

En Espagne, Alejandro Amenábar tourne la fin de vie de Ramón Sampedro, tétraplégique depuis 27 ans suite à un accident, et qui portera sans succès son plaidoyer jusque dans les tribunaux de Galice ; là encore l’aide à son suicide reste clandestine. Mais le film Mar adentro sera décisif en Espagne : la ministre de la Santé, recevant ses homologues français en 2023, en fait même un élément clé, accélérateur de la réflexion (« Les malades du XXIe siècle sont soignés par des médecins du XIXe », fut-il dit). L’Espagne légalise l’aide à mourir en 2021, même si ses conditions de mise en œuvre restent chaotiques. Plusieurs films mettent en scène des situations inspirées de faits réels, comme La belle endormie (Bellocchio, 2012), ou fictionnelles (Amour de Haneke, Miele de Valeria Golino, ou encore Blackbird).

Ces dernières semaines, La chambre d’à côté de Pedro Almodóvar raconte le suicide de Martha près de New York, après l’échec du traitement d’un cancer foudroyant. Martha ne demande qu’une chose à sa meilleure amie : être présente (dans la chambre d’à côté, sans agir) au moment du geste ultime. Costa-Gavras revient avec Le dernier souffle, qui raconte la vie d’une unité de soins palliatifs, et le dialogue entre un médecin (Claude Grange) et un philosophe (Régis Debray). À 92 ans, il signe un vibrant hommage aux soins palliatifs à un âge où, avoue-t-il, il ne pouvait pas ne pas y penser. Deux films, deux visions complémentaires de la fin de vie.

Notre époque, avec le film On ira

Mais c’est le On ira d’Enya Baroux, bijou de cinéma, qui en dit bien plus, et sans bavardage. Marie, incarnée par Hélène Vincent, part en Suisse pour un ultime voyage après la récidive massive, à 80 ans, d’un cancer du sein. Ce que le cinéma dit en deux heures, avec le pouvoir de l’évocation, de l’image, de la musique, des mots, est le reflet des tourments qui agitent la société. La question de l’aide à mourir ne se posait pas avec une telle acuité à une époque, pas si lointaine, où la médecine était souvent impuissante et où l’autonomie du patient valait peu de choses, y compris dans la connaissance de sa propre maladie.

Il en va tout autrement en ce quart de XXIe siècle, alors que la médecine ne cesse de guérir un à un les organes et la science de pallier leur défaillance. Mais c’est au prix de survies, qui parfois perdent sens pour la personne elle-même, qui ne reconnaît plus celle qu’elle a été en devenant dépendante jusque dans ses plus intimes besoins. Il n’est pas ici question de perte de dignité au sens philosophique, mais bien de l’indignité ressentie par la personne elle-même, et de son vœu de faire valoir sa volonté, son autonomie, son libre arbitre.

Les grandes valeurs de fraternité et de main tendue aux plus vulnérables s’imposent au médecin aujourd’hui comme hier. Simplement la société et la médecine ne peuvent ignorer qu’elles ont engendré des situations aberrantes, dont certains peuvent ne pas vouloir. Doit-on leur imposer une sollicitude qu’eux-mêmes refusent ? Enya Baroux, Marie et bientôt ses enfants et son auxiliaire de vie nous disent clairement que non.

Avec quelques images et quelques mots, le cinéma est le témoin d’une époque, de ses bouleversements, de ses contradictions. Ici, On ira montre qu’on peut, même malade et quoiqu’en dise la médecine, choisir son voyage.

Le journal des intelligences libres

« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »
Tel était « Notre but », comme l’écrivait Jean Jaurès dans le premier éditorial de l’Humanité.
120 ans plus tard, il n’a pas changé.
Grâce à vous.

Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.
Je veux en savoir plus !

Lisez la suite de cet article

et débloquez tous les contenus

Je m’abonne


à lire aussi

« Je ne voulais absolument pas faire l’assistante poupée » : dans les théâtres et dans la rue, une nouvelle génération de magiciens repense son art

Culture et savoir

Publié le 14 mars 2025

La justice n’est pas politique mais la politique est-elle juste ?

Culture et savoir

Publié le 12 avril 2025

« L’Art est dans la rue » au musée d’Orsay : quand les artistes s’emparent des murs... en 1850

Culture et savoir

Publié le 12 avril 2025

Vidéos les plus vues

Tous ces #METOO pour rien ? Entretien avec la journaliste et autrice Chloé Thibaud

Publié le Publié le 12 avril 2025

« Pour toutes les extrêmes droites actuelles, le IIIe Reich, c'est l'extrême droite qui a réussi » : entretien avec l’historien Johann Chapoutot

Publié le Publié le 11 avril 2025

« Fermer les yeux revient à être complice » : les conclusions de la commission Godrèche

Publié le Publié le 10 avril 2025

L'épopée COMPLOTISTE de Marine Le Pen et du RN contre la justice

Publié le Publié le 10 avril 2025

OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon : le retour du bagne version Laurent Wauquiez.

Publié le Publié le 10 avril 2025

Sondages sur l'opinion des français : ils n'ont AUCUN sens

Publié le Publié le 10 avril 2025