Le plan « ReArm Europe » répond-il aux défis nouveaux ?

En débat

Présenté le 4 mars par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et avalisé par le sommet européen du 6 mars, ce projet à hauteur de 800 milliards d’euros interroge sur ses objectifs.

Le terme de « défense » européenne est vidé de son sens. Nous assistons à une remilitarisation massive des pays européens et de la France

Daniel Durand

Président de l’Institut de documentation et de recherche sur la paix (IDRP)

Huit cents milliards d’euros de crédits militaires supplémentaires en Europe selon le plan « Réarmer l’Europe » de Mme Ursula von der Leyen, le tiers des dépenses mondiales d’armement d’une année ; jusqu’à 80 milliards d’euros d’augmentation possible du budget militaire français, selon Emmanuel Macron. Ces chiffres donnent le vertige. Cette remilitarisation massive des pays européens et de la France serait justifiée par une « menace russe » imminente.

Cette affirmation mérite pour le moins débat. Un ancien ministre de la Défense français, Hervé Morin, a déclaré sur le plateau de BFM : « Aller dire que les Russes peuvent arriver aux frontières de l’Allemagne, je dirais tout ça est faux » et il a ajouté : « C’est excessivement inquiétant, comme si Emmanuel Macron voulait dramatiser à des fins de politique nationale, c’est le sentiment que ça donne. »

Nous vivons un moment paradoxal. Deux grandes puissances, les États-Unis de Trump et la Russie de Poutine, tentent de régler des conflits en dehors du cadre multilatéral et en fonction de leurs intérêts propres. Ce faisant, ils admettent la nécessité de l’arrêt des combats et d’un règlement politique. Les pays de l’Union européenne (UE), au lieu de pousser ces deux puissances à mettre vraiment sur pied un dispositif de négociation sérieux, permettant un cessez-le-feu complet, qui respecte le droit international, et qui inclut l’Ukraine, des représentants de l’Union mais aussi d’autres pays de la communauté internationale, notamment des Brics, ont posé des conditions préalables, en parlant de « paix par la force » et en mettant comme seule priorité la relance de la course aux armements.

Ils écartent d’entrée l’alternative de la relance des discussions sur une sécurité collective européenne, incluant tous les pays du continent, donc la Russie et les pays non membres de l’UE, en profitant notamment de l’opportunité du 50e anniversaire des accords d’Helsinki en juillet ! Le terme de « défense » européenne est ainsi vidé de son sens, au profit simplement d’une « militarisation » européenne et donc de la création d’un nouveau bloc militarisé. C’est une erreur tragique.

L’avenir de la paix dans le monde et d’une sécurité mutuelle solide, entre tous les États européens, et plus largement entre tous les États de la planète, ne reposera pas demain sur la création et l’affrontement de blocs antagonistes aux alliances fluctuantes. Ne confondons pas multipolarité, synonyme de compétition et d’affrontements comme à la veille de 1914, et multilatéralisme, synonyme de coopération et de sécurité mutuelle.

C’est le multilatéralisme qui a permis le développement du droit international, tel qu’il a été conçu, il y a quatre-vingts ans, par la fondation de la Charte des nations unies et de l’ensemble du système onusien. En cette année anniversaire, la priorité politique est de renforcer, approfondir, rénover si nécessaire, le grand chantier de notre maison commune planétaire que sont devenues les Nations unies.

Ce plan répond à la nécessité d’être plus autonome face à une nouvelle donne géopolitique. Il ne peut réussir sans intégration plus poussée

Sylvie Matelly

Directrice de l’Institut Jacques-Delors

Le plan « Réarmer l’Europe », présenté le 4 mars par la présidente de la Commission européenne, doit permettre de financer la montée en puissance d’une défense européenne plus autonome face à une nouvelle donne géopolitique qui couple une remise en question de la relation transatlantique suite à l’élection de Donald Trump, une menace russe inquiétante et le nécessaire soutien croissant à l’Ukraine, en paix ou en guerre, face au désengagement probable des États-Unis.

Pour autant, il a surtout été retenu le chiffre de 800 milliards d’euros qu’il permettrait de mobiliser pour atteindre cet objectif. Rien toutefois ne garantit que ces fonds seront bien dépensés. Le plan est en réalité plutôt un ensemble de propositions d’instruments et de mécanismes qui doivent permettre de trouver rapidement de nouveaux moyens pour assurer la poursuite du soutien à l’Ukraine et, en même temps, le renforcement des capacités militaires et d’armement de l’Europe.

Emprunt commun de 150 milliards d’euros à l’image de l’emprunt commun contracté pendant la pandémie de Covid, assouplissement du cadre budgétaire européen ou plus grande implication de la Banque européenne d’investissement, ce plan est ambitieux. C’est incontestable, l’accélération des événements depuis l’investiture de Donald Trump aux États-Unis n’est pas étrangère à cette ambition et au soutien qu’elles ont reçu de la part des États le 6 mars lors du sommet européen. En effet, ces propositions étaient déjà « dans les tuyaux » depuis des mois sans convaincre ni rassembler. L’emprunt commun par exemple avait été évoqué à plusieurs reprises mais longtemps rejeté par plusieurs pays européens, Allemagne en tête.

Pourtant, ce plan ne répondra aux défis nouveaux que s’il est décliné dans une logique d’intégration plus poussée pour au moins trois raisons. La première est celle de la souveraineté européenne, donc d’une indispensable préférence européenne. Une souveraineté nationale est à la fois illusoire, techniquement, humainement et financièrement inaccessible, dispendieuse et contre-productive. Le constat du coût des duplications et de la fragmentation n’est plus à faire.

La deuxième raison tient plus aux expériences passées de course aux armements en Europe, faire ensemble dans une ambition et un projet communs fournit certaines garanties à l’image de ce qu’a été la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca) en son temps. Enfin, les investissements consentis dans ce secteur industriel sont une opportunité de relancer l’industrie, l’innovation et la compétitivité européenne en décrochage depuis la pandémie. Ils peuvent en effet diffuser bien au-delà de ce seul secteur, permettre par exemple à des petites entreprises de se diversifier, attirer de nouveaux investisseurs en Europe ou, encore, attirer à nouveau la jeunesse vers des métiers industriels.

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