
Gérard Le Puill
Alors que leurs vaches seront parmi les plus admirées sur le prochain Salon de l’Agriculture, les éleveurs de charolaises, de limousines et autres races à viande ont de plus en plus de mal à vivre de leur métier. Voilà aussi pourquoi la France doit opposer son véto à l’accord de libre-échange que la Commission européenne vient de signer avec les pays du Mercosur.
Sur le salon de l’Agriculture, les taureaux et les vaches qui retiennent prioritairement le regard des visiteurs sont issus des races charolaise, limousine, blonde d’Aquitaine et quelques autres, dont la salers, laquelle est aussi une laitière dans certains élevages en Auvergne. Ces races, que l’on nomme « allaitantes », font téter leurs veaux au pré du printemps au milieu de l’automne et ne passent jamais en salle de traite. Le veau femelle de 8 à 10 mois est sevré et souvent destiné à devenir une vache deux ans plus tard. Le mâle sera souvent vendu comme « broutard » pour être engraissé dans un pays importateur. La mère fera naître le veau suivant moins de cent jours après le sevrage du précédent, au terme d’une gestation de neuf mois.
Eleveur de charolaises dans le département du Cantal sur une ferme convertie en agriculture biologique, Patrick Bénézit est le président de la Fédération nationale bovine (FNB) de la FNSEA. Cédric Mandin, secrétaire général du même syndicat, élève aussi des charolaises en Vendée, mais en élevage conventionnel. A quelques jours de l’ouverture du Salon de l’Agriculture, le congrès de la FNB se tiendra demain et jeudi à la Rochelle. Les enjeux auxquels est confrontée la filière des bovins à viande furent présentés aux journalistes voilà quelques jours à Paris.
600.000 vaches de moins en 8 ans
En septembre 2024, le nombre de vaches allaitantes en France était tombé à 3.380.000 unités, soit un recul de 600.000 têtes depuis 2016. Des prix trop bas des bovins de boucherie et des broutards de 8 à 10 mois que la France exporte surtout en Italie, en Espagne et en Grèce, sont à l’origine de ce recul. Faute de dégager un revenu suffisant chaque mois, des éleveurs ont vendu des vaches reproductrices aux abatteurs pour éviter de trop s’endetter. La difficulté à dégager un revenu dans ce type d’élevage a aussi freiné l’installation des jeunes éleveurs quand leurs aînés partaient en retraite. Selon des données fournies par l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), les revenus en élevage de bovins à viande sont inférieurs de 50% à la moyenne des revenus des paysans français, toutes filières confondues.
En 2024, les naissances de veaux dans les élevages de bovins allaitants atteignaient 2.539.000, en recul de 5,7% sur 2023. Outre le recul du nombre de vaches en production, l’augmentation des avortements provoqués par des maladies comme la « Fièvre Catarrhale Ovine », qui touche aussi les bovins en plus des moutons, a fait reculer les naissances. Depuis 2023, la « Maladie Hémorragique Epizootique » (MHE) transmise par les piqûres d’un moucheron provoque aussi des avortements et fait mourir des vaches. Patrick Bénézit note que la filière des bovins à viande est de plus en plus fragilisée par de nouvelles maladies contagieuses qui vont croître avec le réchauffement climatique. Il relève aussi que l’on a beaucoup manqué de vaccins ces derniers mois pour tenter de contenir ces nouvelles maladies.
La pénurie fait légèrement remonter les prix
Quand on regarde l’évolution des prix des vaches de réforme de race charolaise vendues pour la boucherie, on constate que les prix payés en 2024 n’ont guère augmenté par rapport à ceux de 2023, sauf à partir de l’automne, du fait d’un recul de l’offre par rapport à la demande. A 5,65euros le kilo de carcasse à partir de cette date, on constatait une hausse de 15 centimes environ par rapport à la moyenne des dix mois précédents. Seul le prix des broutards vendus pour l’exportation a augmenté à partir du printemps 2024 en passant de 3,70 euros le kilo vif en mars 4 euros en octobre et à 4,15 euros euros à la fin de l’année. Le 3 février 2025, il atteignait 4,82 euros. La demande en hausse dans les pays importateurs explique cette évolution des cours.
Le 6 décembre 2024, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne pour un second mandat, est allée en Amérique du sud pour signer l’accord de libre échange négocié en 2019 entre le Mercosur et la Commission de Bruxelles. Mais cet accord n’a toujours pas été validé par les pays membres de l’Union européenne. Dans la filière des viandes bovines, cet accord prévoit que les Pays du Mercosur pourront exporter en Europe 99.000 tonnes supplémentaires de viandes bovines par an, lesquelles pourraient être des viandes désossées et composées uniquement de morceaux nobles qui entreraient en concurrence directe avec celles de nos meilleures races à viande en France. « Cela peut déstabiliser de manière importante les exploitations d’élevage de bovins à viande en termes de prix » relève Patrick Bénézith. Il note aussi que les députés et les sénateurs français de toutes tendances politiques ont massivement voté dernièrement un texte contre la ratification de cet accord par la France. Il reste à voir ce que décideront le président Macron et le gouvernement.
En dépit du savoir faire de nos éleveurs, la France, qui possède de longue date le plus important troupeau de bovins à viande parmi les pays membres de l’Union européenne, importe désormais 25% de la viande bovine consommée par les Français. Il s’agit souvent de carcasses de vaches laitières de réforme. Elles sont vendues bon marché par des pays comme l’Irlande et les Pays Bas, voire des pays tiers. Ces viandes sont souvent destinées à la restauration collective où l’on cherche toujours à réduire le prix de revient des matières premières qui entrent dans la composition des repas.
C’est aussi à travers cette course aux prix bas que l’on fait reculer l’élevage à l’herbe dans nos prairies et la souveraineté alimentaire de la France. Cette politique fait également croître le bilan carbone de l’alimentation des Français via les importations avec de longs transports en camions et le maintien de la chaine du froid.
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