Sylvain Pattieu est écrivain et maître de conférences en histoire à l’université Paris-VIII.

C’est si loin, les États-Unis ? On voit ce qui se passe là-bas, en ce début de Trump II, les coupes drastiques dans les budgets scientifiques, les licenciements brutaux, les listes de mots interdits, les protestataires arrêtés. Le discrédit jeté sur le rationnel, l’empathique, l’humain. « Les universités sont les ennemies », disait J. D. Vance, dès 2021. Les States, il y a tout un océan à traverser.
En France, on n’en est pas à supprimer, on évalue, par vagues, les universités, les diplômes. Le Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) nomme des experts. Nous, dans chaque université, on remplit des tableaux Excel, on fait des bilans, pour chaque diplôme. Cette année, c’est la vague E, universités de banlieue, des Hauts-de-France et d’outre-mer.
Étudiantes et étudiants des milieux populaires, des espaces dits périphériques. En plus grande proportion que dans bien des endroits, des étudiants-étudiantes salarié·es, des recalé·es de Parcoursup, des reprises d’études. Pas mal de fantômes, aussi, des inscrits sur nos listes qu’on ne voit jamais.
Les experts donnent des avis. Cette année, sur la vague E, il a plu du défavorable, une saucée de mauvais avis, comme si on voulait nous noyer. Les justifications sont variables : trop d’échecs en licence, pas assez de suivi du devenir des diplômés, manque de professionnalisation, de mobilité internationale, d’enseignants titulaires ou, au contraire, pas assez d’intervenants extérieurs.
Ça part dans tous les sens mais il y a des lignes de force : une méconnaissance de nos métiers, des conditions réelles de leur exercice, des effets délétères du manque de postes, de moyens. Mais encore : une absence totale de prise en compte du contexte social de nos étudiant·es, l’imposition par en haut de normes désincarnées, l’utilisation d’un langage aux apparences techniques pour conclure tout et n’importe quoi.
Et c’est pas fini : un déni de la portée critique des connaissances, un rejet de la formation par la recherche, un acharnement contre le service public. On devine, derrière ces mauvaises manières, la volonté de faire « quoi qu’il en coûte », socialement, des économies et la perspective de favoriser l’enseignement supérieur privé en plein essor.
On n’en est pas aux mots interdits, aux chercheurs licenciés. Même si le budget de la recherche a été sérieusement sabré, même si les procès en wokisme et en islamo-gauchisme existent déjà.
Il y a bien un océan entre le Hcéres et le Doge. On est très inquiets, quand même : d’abord parce qu’on est grignotés, et même carrément entamés, d’année en année, de soi-disant autonomie des universités en moyens supprimés. Mais aussi parce qu’à travers ces avis défavorables, notre travail est méprisé, notre utilité déniée, notre fonction dévalorisée. Une partie du sale boulot est faite. Ça peut aller très vite, ensuite.
C’est pas si loin, les États-Unis. De plus en plus proches. En attendant, on ne se résigne pas, on se bat.
Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !
C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.
Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.
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