François Liberti, le goût des autres

Marin, syndicaliste, communiste, élu de la République, l’ancien maire de Sète se confie dans un livre de mémoires qui retrace une vie « au service de l’humain ».

Ici, avant d’être Européen, Français ou Languedocien, on est de Sète, « mais on est d’abord d’un quartier ». Celui de l’île de Thau, face à l’étang qui lui a donné son nom, est le centre du monde de François Liberti. Une langue de terre qu’il ne quitterait pour rien, et depuis laquelle il a vécu une vie « au service de l’humain », sous-titre donné à son livre de mémoires1. Le regard sur le bassin longeant la Méditerranée, il revient sur ses premiers engagements.

« Un port, ce n’est pas seulement un lieu d’échanges de marchandises »

Nous sommes au début des années 1960. Les « événements » d’Algérie se sont bel et bien révélés être une guerre. Et même depuis le quai d’Alger, à quelques pas de la rue Lazare-Carnot, dans le quartier des Quatre-Ponts où il est né, « on la voyait : les soldats qui embarquaient pour l’Algérie, les cercueils qui en revenaient ».

Bien sûr, il y a aussi les actions des opposants, manifs et tractages, auxquels il va se joindre. « Avec les copains du collège Victor-Hugo », François monte un des premiers comités pour la paix en Algérie. « À ce moment-là, je me forge une conscience internationaliste, et plus spécifiquement méditerranéenne : la misère italienne ou espagnole, les immigrés qui ont fui le franquisme, le fascisme, les gamins qui se font tuer en Algérie, les guerres coloniales », écrit-il.

Sans doute « la conscience politique vient aux enfants » (le titre d’un des premiers chapitres de son livre) plus vite dans un lieu ouvert sur le monde. « Un port, ce n’est pas seulement un lieu d’échanges de marchandises, mais aussi d’échanges humains, culturels. »

Sète, terre d’immigration

Dès le XVIIe siècle, on reçoit à Cette (l’ancien nom donné au port par Louis XIV) « des vagues d’immigration successives », internes d’abord, Aveyronnais et Cévenols venus tailler les pierres du môle (ouvrage destiné à protéger l’entrée du port de la houle), puis externes avec les Italiens, les Catalans, etc.

« Ça crée un terreau particulier » que l’ancien élu communiste tient à rappeler. Lorsque, en 1996, il a reçu le maire de Gaète, berceau italien des Liberti (déjà jumelée avec la ville voisine de Frontignan, également terre d’immigration italienne), il a constaté dans les registres d’état civil que « 60 % de la population » était à ce moment-là « d’origine italienne, par mariage ou directement ». Ou comment renvoyer les « Français de souche » à leurs fantasmes.

La famille Liberti sert Sète depuis longtemps. Le père de François, Casimir, marin pêcheur comme son père arrivé d’Italie, fut secrétaire du syndicat CGT des marins de la ville, premier président du comité des pêches du Languedoc-Roussillon. Son fils Manu a exercé les mêmes responsabilités.

« Si je peux encore servir, je n’aurais pas perdu mon temps »

« Élire un communiste président d’une instance de cette importance, alors que beaucoup de ces pêcheurs ne partagent pas forcément ces idées, ce n’est pas évident », écrit aujourd’hui François. Lui aussi a suivi cette voie, dès 1968, avec la CGT. Mais même s’il ne s’est jamais éloigné de la mer – « Je me suis toujours fixé une priorité : de ne jamais perdre pied avec mon travail », dit-il –, il va très vite être amené à troquer la combinaison de pêche pour une tenue plus adaptée aux assemblées politiques.

Élu pour la première fois au conseil municipal en 1971, François Liberti a été tour à tour conseiller général, régional, député. Mais de sa « carrière », c’est sans doute son mandat de maire, entre 1996 et 2001, qui l’a le plus marqué. Il ne l’écrit pas, pas plus qu’il ne dit « j’en suis fier ». Pas le style de la maison.

Mais il n’y a qu’à lire la liste des réalisations de cette municipalité « de gauche dans sa diversité », la dernière élue (battue en 2001 par une liste « apolitique » qui quelques mois plus tard a tombé le masque, « à droite toute », écrit-il) pour saisir la portée : « C’est la gauche qui a transformé cette ville », avance François, rendant hommage à ses prédécesseurs communistes Pierre Arraut (1945-1947 et 1959-1973) et Gilbert Martelli (1973-1983).

« Tous les équipements, c’est nous qui les avons créés : le Théâtre de la mer, le musée international des Arts modestes, le pont de la Victoire, reconstruction des écoles Michelet et Arago, etc. Pas une école n’a été construite depuis ! » En soulignant son action politique, c’est aussi l’inaction de la droite au pouvoir depuis 2001 (et entre 1983 et 1996) qu’on remarque. « Enfin pas totalement, soupire François Liberti, ils ont beaucoup bétonné ! »

Difficile de résumer une vie politique en une page. D’autant qu’elle n’est pas tournée. Récemment encore, François prêtait son concours aux opposants à la construction du parking souterrain de la place Aristide-Briand. « Si je peux encore servir, je n’aurai pas perdu mon temps. »

  1. Au service de l’humain, de François Liberti, éditions Arcane 17, février 2025, 155 pages, 15 euros. ↩︎

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