La sécurité européenne passe par un accord « Helsinki 2 »
Dans son excellent ouvrage l’Art de la paix, Bertrand Badie rappelle que « Mandela affirmait qu’on ne peut pas faire la paix autrement qu’en travaillant avec son ennemi et en en faisant même un associé ». Et le spécialiste des relations internationales de préciser pour éviter tout malentendu : « Ce mode de gestion pacifique des séparations (…) n’engage ni à l’affection ni à l’approbation ni à la trahison de ses propres valeurs (…). Tel est l’un des socles les plus fermes de la diplomatie » 1. Comment rapporter cette leçon fondamentale de l’histoire des conflits à la tragédie russo-ukrainienne ?
Il ne s’agit pas de diluer l’écrasante responsabilité du pouvoir russe ni d’entériner ses annexions de territoires ukrainiens par la force. Le but est, en revanche – par-delà la recherche immédiate d’un cessez-le-feu – de tout faire pour dépasser le stade paroxystique de l’affrontement pour tenter d’établir avec l’ennemi les conditions d’une paix durable. S’imprégner du réalisme, du sang-froid, du sens du compromis et de l’intelligence politique nécessaires pour réussir cette prouesse est plus facile à préconiser qu’à réaliser, surtout pour le peuple agressé, mais la sécurité réciproque est à ce prix.
La confiance est au niveau zéro entre les deux parties du continent européen, comment espérer sortir à terme de cette dangereuse impasse ?
On objectera que tant l’Ukraine que l’Europe occidentale avaient essayé cette méthode après les combats meurtriers de 2014-2015, avec le « protocole de Minsk II », sans éviter l’agression russe de 2022. De fait, le compromis alors officiellement envisagé – le respect de la souveraineté ukrainienne, mais avec une large autonomie de la partie russophone du pays – était équilibré et intelligent. Il aurait dû éviter la guerre.
Malheureusement, cet accord ne fut appliqué ni par Moscou ni par Kiev, ni traité de façon responsable par ses deux « parrains » européens (Angela Merkel et François Hollande, qui reconnaîtront qu’ils n’avaient signé ce texte que pour faire gagner du temps à l’armée ukrainienne pour se réarmer !). La leçon à tirer de ce lamentable gâchis est qu’une paix durable n’est possible que s’il existe un minimum de confiance réciproque. Or celle-ci est aujourd’hui au niveau zéro entre les deux parties du continent européen. Comment espérer sortir à terme de cette dangereuse impasse ?
Certainement pas en se lançant dans une nouvelle course folle aux armements ni en hystérisant le débat public à la manière de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour qui il « est maintenant de la plus haute importance que nous nous préparions au pire »2. Qu’attendre à cet égard du versatile Emmanuel Macron – qui, après avoir, un temps, osé maintenir un canal de dialogue ouvert avec Moscou en soulignant que « nous ne sommes pas en guerre contre la Russie », s’est mué en porte-drapeau de la mobilisation générale contre « la menace russe » ?
Et que dire du très ambitieux premier ministre de la Pologne ? Il veut une armée deux fois plus nombreuse que la France et vient d’annoncer vouloir doter son pays de son propre arsenal nucléaire. Et voilà qu’il se tourne vers les 5 pays nordiques et les trois pays Baltes, tous membres fanatiques de l’Otan, « pour faire bloc contre la Russie »3. L’Europe « a abdiqué tout rôle diplomatique » souligne un ancien ambassadeur de France en Russie, laissant l’initiative à l’imprévisible et fantasque Donald Trump.
La voilà réduite à quémander un strapontin lors de potentiels pourparlers élargis. Il est grand temps de réagir : pour créer, le moment venu, les conditions de l’ouverture de négociations entre « notre » Europe et « l’autre » grand voisin du continent européen – d’autant plus qu’il est aujourd’hui notre ennemi — sur un traité de sécurité collective, une sorte d’« Helsinki II », indispensable à l’instauration d’une paix durable, le président des États-Unis ne nous sera d’aucun secours, pas plus que les va-t-en-guerre compulsifs européens.
- « L’Art de la paix », Bertrand Badie, Flammarion, 2024 ↩︎
- La Tribune (2 mars 2025) ↩︎
- « Le Monde » (28 novembre 2024) ↩︎
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