Le PSG reçoit les Reds, ce mercredi, en 8es de finale de la Ligue des champions. Un club souvent qualifié de gauche en raison de son histoire et de celle de la ville. Le point avec le chercheur Pascal François, spécialiste du LFC.

© Mike Egerton/PA Wire/ABACA
Agrégé de géographie, chargé de cours à Sciences-Po Paris et président de l’Association des chercheurs francophones sur le football (ACFF), Pascal François est aussi un spécialiste et supporter du Liverpool FC (LFC). Alors que le PSG défie les Reds, ce mercredi, en 8es de finale de la Ligue des champions, nous lui avons demandé de revenir sur la coloration socialiste qui colle à ce club du nord-ouest de l’Angleterre.
Liverpool est souvent associé à un club de gauche en raison de son histoire et de celle de la ville alors qu’il est détenu par un conglomérat américain, Fenway Sports Group. Qu’en est-il vraiment ?
Cette légende du club Working Class Hero (héros de la classe ouvrière) est entretenue par les clubs de supporters. Parmi eux, le Spirit of Shankly (l’esprit de Shankly) est celui qui a le plus d’impact. Leur site Web ne renvoie pas vers un positionnement politique précis de niveau national ou international, mais il fait la part belle aux mythiques déclarations de l’entraîneur Bill Shankly (1959-1974) sur le socialisme, son approche collective du sport et de la société… Les supporters, comme OLSC France1, branche officielle des supporters du LFC dans l’Hexagone, se jouent de cette ambiguïté, dont personne n’a intérêt à sortir, de cette règle non écrite que tout le monde suit, et qui fonde une solidarité.
L’histoire de la ville, cité portuaire, avec des grèves très dures, n’explique-t-elle pas aussi cette identité ?
Les grandes grèves de 1911 ou celles des années 1980 – quand Margaret Thatcher a eu la volonté, avec tous les conservateurs, de mettre au pas Liverpool – ont très profondément marqué la ville. Ces événements sociaux emblématiques expliquent que la population s’est toujours sentie écrasée par le pouvoir londonien associé aux tories. En 1911, la grève dure trois mois, des photos témoignent d’une ville totalement bloquée… Mais toutes ces expériences exceptionnelles de solidarité se sont soldées par des défaites. Des événements footballistiques participent à l’entretien du mythe du Working Class Hero, comme la manière dont l’attaquant Robbie Fowler célèbre un but en exhibant sous son maillot un tee-shirt soutenant la grève des dockers en 1997. Mais comparaison n’est pas raison… Le club appartient à un homme d’affaires, l’Américain John Henry. Le romantisme qui consiste à affirmer que Liverpool est un club de gauche est peu fondé.
Comme Marseille et Naples, deux ports, qui ont des clubs populaires et entretiennent l’image du « seul contre tous », Liverpool verse aussi dans ce particularisme…
Les Liverpuldiens sont appelés les Scouse et déclarent : « We are not English, we are Scouse. » Les Scouse ont souvent été considérés comme peu fréquentables, stigmate porté par la littérature et pointé par nombre de travaux d’historiens… Leur accent, leur langage imagé très créatif font qu’ils sont considérés comme des personnes qui ne parlent pas un anglais distingué. Ils sont aussi trop catholiques, Liverpool étant la première ville irlandaise d’Angleterre, ce qui entretient la tension avec les anglicans… À chaque finale d’une coupe nationale, ce qui va être le cas en Coupe de la Ligue dans quelques jours, les supporters de Liverpool sifflent d’ailleurs copieusement le God Save the King, mais les joueurs « scouse » sélectionnés en équipe nationale honorent leurs capes.
Le lancement en 1992 de la Premier League marque-t-il un tournant dans la « politisation » des supporters ?
Longtemps, les clubs de supporters ont exercé une forte pression pour que le prix des places reste accessible à un public populaire. Avec la Premier League, la gentrification des stades est devenue la norme avec ses prix déraisonnables. Aujourd’hui, une part importante des spectateurs sont des touristes ou des bénéficiaires de cadeaux d’entreprises et la nouvelle tribune à Anfield permet l’accueil d’un public VIP… Les autres sont dans les pubs. Cependant, les clubs de supporters organisent de nombreuses œuvres de charité pour aider les populations défavorisées, et portent des projets humanitaires à l’international mais aussi des actions contre le sexisme ou le racisme.
Contrairement à d’autres grandes villes, Liverpool n’a pas cédé aux sirènes du Brexit et aux fausses promesses de l’europhobe Nigel Farage… Comment l’expliquer ?
Près de 60 % de l’agglomération de Liverpool a voté contre le Brexit alors que les quartiers déshérités de Manchester ou Sheffield l’ont plébiscité. Liverpool FC est un club cosmopolite avec une influence importante dans la cité. Grâce au palmarès européen du club, les supporters ont beaucoup voyagé. À chaque déplacement, ils sont accueillis par la branche locale de supporters de Liverpool. Ils ont fait l’expérience de l’altérité européenne. Plus que n’importe quel supporter anglais, celui de Liverpool a noué des relations avec des fans à travers l’Europe, ce qui explique qu’il soit peu sensible au repli insulaire.
Face au football business, les supporters du LFC ont aussi montré leur poids, en 2021, en faisant plier en moins de quarante-huit heures leur club qui était membre fondateur de la Super Ligue…
Parmi les clubs de supporters, le Spirit of Shankly a joué un rôle fédérateur. Lors de l’annonce soudaine du lancement de la Super Ligue, ils ont affirmé leur détermination et leur force en pactisant temporairement avec l’ennemi de Manchester United et en organisant des manifestations d’opposition, dès le lendemain, devant le stade d’Anfield. Ils ont réussi à imposer aux dirigeants de club qu’une ligue fermée sans les supporters était un non-sens. Le football sans les supporters, ça n’existe pas.
- Sources : ACFF www.acff.site et OLSC (Official Liverpool Supporter Club) France https://www.liverpoolfrance.com
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