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Décès d’Yves Boisset, un cinéaste de combat, à 86 ans

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Il se revendiquait comme « le réalisateur le plus censuré de France ». Dans les années soixante-dix, son nom était synonyme de cinéma politique. Sa famille vient d’annoncer son décès.

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Ça n’était pas tout à fait faux. Yves Boisset se revendiquait comme « le cinéaste le plus censuré de France ». À une époque, son nom était synonyme de cinéma politique. C’étaient les années soixante-dix. Il y avait lui et Costa-Gavras. Il n’avait pas peur de s’attaquer à des sujets brûlants, police, armée, magistrature, racisme ordinaire. Tout cela a disparu. 

Le cinéaste, qui a marqué les années 1970 avec des films engagés et politiques comme « Dupont Lajoie » sur le racisme ordinaire, est mort lundi à l’âge de 86 ans, a annoncé sa famille à l’AFP. Il était soigné depuis plusieurs jours à l’hôpital franco-britannique de Levallois-Perret dans les Hauts-de-Seine, où il s’est éteint.

Boisset et le cinéma, c’est une longue histoire. Elle commence alors qu’il a trois ans et demi. Sa nounou l’emmène voir Dernier atout de Jacques Becker. Sur l’écran, il y a une fusillade. Le gamin a si peur qu’il en fait une jaunisse. Ses parents, qui sont professeurs (latin-grec et allemand), n’en reviennent pas. Ce bon élève du lycée Claude-Bernard, à Paris, a d’autres atouts. Il sera champion de France d’athlétisme (record du 300 m). Il a quinze ans quand Claude Autant-Lara, qui l’a repéré, l’auditionne pour Le Blé en herbe. Le père de Boisset vire le metteur en scène à coups de pied dans les fesses. L’enseignant protestera moins en apprenant que son fils écrit dans des revues comme Cinéma 57 et qu’il est reçu premier à l’Idhec. À Paris Jour, sa spécialité concerne les chiens écrasés. L’expérience lui laissera un goût prononcé pour les faits divers. On le retrouve ensuite assistant de Jean-Pierre Melville (L’aîné des Ferchaux), de Claude Sautet (L’Arme à gauche) et même de Sergio Leone (Le Colosse de Rhodes), sans oublier René Clément (Paris brûle-t-il?).

Échange de coups de poing avec Patrick Dewaere

En 1968, il passe derrière la caméra avec Coplan sauve sa peau, commande d’un producteur qui avait de l’argent bloqué en Turquie. Boisset confessait n’avoir rien compris à l’intrigue. L’entreprise fut néanmoins saluée par le critique Jean-Louis Bory. Cran d’arrêt (1969) montre un jeune bourgeois milanais avec un grave problème d’alcoolisme. On notera la participation d’Antoine Blondin au scénario. Sur le sujet, il n’existait pas de meilleur conseiller technique. Un condé (1970), avec Michel Bouquet en flic aux méthodes expéditives, fut interdit par Raymond Marcellin pendant six mois et le ministre exigea des coupes, ce qui fournit une publicité gratuite au film. « Marcellin a fait la moitié de ma carrière », confiait Boisset avec un sourire entendu. La séquence du passage à tabac fut amputée d’une minute et demie. Bouquet, avec son petit chapeau et son pardessus étriqué, prêt à tout pour venger son équipier qu’il avait formé, inaugurait ici sa série de personnages pervers et ambigus. Dans son manteau léopard, Françoise Fabian lui balançait un « Vous êtes une ordure, inspecteur Favenin ». L’attentat (1972), qui s’inspire de l’affaire Ben Barka, ne risquait pas d’arranger les choses. Le film fut protégé par sa distribution qui alignait les acteurs les plus cotés du moment, de Gian Maria Volonte à Noiret, de Piccoli à Jean Seberg, en passant part Romy Scheider et Michel Bouquet. La dernière réplique est imparable : « Il n’y aura pas d’affaire Sadiel ». Tout était dit.

RAS (1973) suit à la trace un contingent de jeunes réservistes envoyés en 1956 dans un camp disciplinaire des Aurès. On y assiste aux débuts de Jacques Weber (qui joue le communiste), de Jean-François Balmer (en fils de famille qui finira par se suicider en haut d’un mirador), de Jacques Villeret (en bon gros qui encaisse les plaisanteries). La torture est évoquée, ce qui causa quelques problèmes. Une vingtaine de pompes punissent les recrues qui doivent s’exécuter et scander leurs mouvements de la formule : « C’est la vie de château, pourvu que ça dure. Merci mon adjudant-chef ». À la fin, Jacques Spiesser saute du train en marche, jette son fusil-mitrailleur dans un ravin et regarde le convoi qui transporte ses copains s’éloigner et s’engouffrer dans un tunnel. À sa sortie, le film, un des rares à traiter de la guerre d’Algérie, eut droit à des protestations musclées. Des grenades furent jetées dans les salles. Sur les Champs-Elysées, un incendie eut lieu au Normandie. La légende, sans doute vraie, veut que RAS ait poussé Kubrick à se lancer dans Full Metal Jacket.

Dupont Lajoie (1975) a fait date. L’expression est entrée dans le langage courant, désignant le Français moyen avec tous ses défauts et détrônant presque le « beauf » de Cabu. Un meurtre raciste est commis durant un été aux alentours d’un camping sur la Côte d’Azur. Le vrai responsable, un patron de bistrot, ne sera pas inquiété. Boisset offrait là son premier grand rôle à Jean Carmet désarmant de veulerie et de banalité. Pour l’anecdote, les producteurs auraient voulu comme titre Viol au camping.

Changement de registre avec Un taxi mauve (1977) d’après le roman de Michel Déon. Boisset se glisse avec brio dans cet univers irlandais et désenchanté, avec Noiret en solitaire, Charlotte Rampling en princesse mondaine, Peter Ustinov en irrésistible mythomane et Fred Astaire en figure du destin coiffé d’une casquette de tweed.

On ne se refait pas. Le juge Fayard dit le Shérif (1977) revenait sur l’assassinat du juge Renaud à Lyon, avec un Patrick Dewaere survolté. Sur le tournage, le comédien n’était pas toujours d’accord avec le metteur en scène. Les deux éruptifs échangèrent des coups de poing. La bagarre se solda par une solide amitié. Le SAC s’opposa à ce qu’on le cite dans les dialogues. Résultat : les initiales furent remplacées par un « bip » retentissant qui entraîna les huées du public réjoui. Le film ne plut pas à tout le monde. Boisset fut agressé devant chez lui, retrouva sa voiture en miettes, avec un « bip » bombé à la peinture sur la vitre côté conducteur.

Littéraire et cinéphile

En 1981, Boisset concrétise son rêve d’adapter Allons z’enfants d’Yves Gibeau, son livre de chevet, qui avait pour protagonistes des enfants de troupe. Le succès ne sera pas au rendez-vous. Il y eut ensuite Espion lève-toi (1982) avec Ventura et Piccoli, chassé-croisé d’agents secrets à Zurich. Le prix du danger (1983) avertissait sur les dangers de la télé-réalité. Arnold Schwarzenegger participa à un remake inavoué, The Runnig Man. Boisset s’engagea dans une procédure contre la Fox qui dura dix ans. Il gagna, mais les dommages et intérêts suffirent à peine à rembourser les frais d’avocats. Lee Marvin figura au générique de Canicule. Un gangster américain se réfugiait dans une ferme de la Beauce. La légende hollywoodienne sympathisa avec Carmet qui ne parlait pourtant pas un mot d’anglais. On vérifiait là l’efficacité de Boisset, solide artisan qui avait retenu les leçons d’un Richard Fleischer dont il portait le « Bandido Caballero » au sommet.

Après un projet avorté sur la Françafrique, Boisset se consacra à la télévision où il s’intéressa à Dreyfus, Salengro, Laval, Jean Moulin. Littéraire et cinéphile, il avait constaté que, sous Mitterrand, la censure était devenue économique. Michel Charrasse lui infligea un rude contrôle fiscal. Les socialistes sont ingrats. Quand même, c’est Boisset qui avait suggéré au futur président de se limer les dents. Dans sa jeunesse, il avait rendu visite à Céline dans son pavillon de Meudon. La conversation avait porté sur le sport et sur Michel Simon. Il avait eu Julien Gracq comme professeur l’année de son Goncourt et avait rencontré Sterling Hayden qui ne décolérait pas contre Johnny Guitar (« la pire merde que j’aie tournée »). Les regrets n’étaient pas son genre. « Sauf de ne pas avoir sauté Lauren Bacall à vingt ans et de ne pas avoir tourné Martin Eden. J’ai fait des films humanistes », résumait-il. Un jour, il avait soupiré : « J’adorerais être lâche ». C’est raté.


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61 commentaires
  • Jaya15

    le

    Sacré bonhomme. Encore un grand qui nous quitte et qui va nous manquer .

  • DieselLeChien

    le

    Ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers.

  • DieselLeChien

    le

    Bacall avait autre chose à faire que se faire “sauter” par un type avec la tête et les limites intellectuelles du petit Yves Boisset. N’est pas Bogart qui veux.

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