Cinéma : Regards multiples sur le 7ème Art

Il est impossible de prétendre écrire sur le cinéma en ignorant les différentes représentations de cet art dans chaque région du monde, dans chaque culture, dans chaque cinématographie. Pour chaque discipline critique, il y a des normes, des règles et des paradigmes pour analyser, décortiquer et comprendre l’essentiel sans tomber dans les lieux communs. Écrire […]

Cinéma : Regards multiples sur le 7ème Art
   aujourdhui.ma
Il est impossible de prétendre écrire sur le cinéma en ignorant les différentes représentations de cet art dans chaque région du monde, dans chaque culture, dans chaque cinématographie. Pour chaque discipline critique, il y a des normes, des règles et des paradigmes pour analyser, décortiquer et comprendre l’essentiel sans tomber dans les lieux communs. Écrire sur le cinéma requiert plusieurs règles élémentaires de base pour éviter de tomber dans les interprétations hâtives, pour ne pas recycler les mêmes poncifs puisés dans d’autres domaines de la critique, comme la littérature et les arts plastiques, comme c’est le cas chez la majorité de ceux qui affirment être des critiques de cinéma au Maroc, et dont la majorité ne fait que dans le commentaire mâtiné de quelques formules obscures pour faire profond, docte et pédant. Écrire sur le cinéma exige d’abord une grande et profonde connaissance des différents cinémas du monde : indien, japonais, russe, chinois, américain, allemand, britannique, italien, espagnol, sud-américain, africain, arabe, turc, iranien, français, etc. Car, il est impossible de prétendre écrire sur le cinéma en ignorant les différentes représentations de cet art dans chaque région du monde, dans chaque culture, dans chaque cinématographie. Dans ce sens, il faut avoir vu des milliers de bons films, réalisés par d’excellents cinéastes, lesquels sont porteurs d’une vision, d’une éthique artistique, d’une philosophie, d’un regard sur soi et sur le monde. Il faut avoir étudié toutes ces cinématographies, à travers les films, les auteurs, les textes analytiques des cinéastes eux-mêmes quand ils écrivent sur le métier de cinéaste comme c’est le cas de Ingmar Bergman, Satyajit Ray, Abbas Kiarostami, Martin Scorsese, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Ettore Scola, Wim Wenders, Akira Kurosawa, Andreï Tarkovski, Yilmaz Güney et tant d’autres grandes figures du cinéma mondial qui ont aussi donné une grande profondeur à la critique de cinéma en allant au-delà du visible pour faire parler l’invisible : «La photographie, c’est la vérité et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde», avait coutume de répéter Jean-Luc Godard, à qui l’on doit, entre autres essais, «Une ville sans pitié». Ce sont ces vérités que la critique doit aller chercher au prix d’une longue spéléologie dans les séquences filmiques des uns et des autres pour y trouver quelque début de sens, à cette condition : ne jamais faire dire à un cinéaste ce qu’il n’a pas filmé ni à une scène ce qu’elle ne suggère pas en allant projeter des concepts tout faits et des jugements à l’emporte-pièce. C’est faire affront au cinéma et aux cinéastes que de prétendre savoir mieux qu’eux ce qu’ils ont mis dans leurs images comme propos, comme émotion, comme sentiments, comme non-dit, comme silence : «Quiconque a eu le privilège de réaliser un film est conscient que c’est comme vouloir écrire Guerre et Paix dans l’auto-tamponneuse d’un parc d’attraction, mais lorsqu’enfin la tâche est bien accomplie, peu de choses dans la vie peuvent se comparer à ce que l’on ressent alors», écrivait Stanley Kubrick, auteur du sublime «Barry Lyndon», pour montrer à quel point faire du cinéma est un métier à part, qui puise dans d’autres arts et métiers, mais qui a des spécificités propres. Ce qui confirme les propos d’Akira Kurosawa disant que : « le cinéma ressemble tellement aux autres arts ; s’il y a des caractéristiques éminemment littéraires, il y a aussi des caractéristiques théâtrales, un aspect philosophique, des attributs empruntés à la peinture, à la sculpture, à la musique». C’est en maîtrisant tous ces éléments, et bien d’autres encore, que le cinéaste peut aller au fond de lui-même pour nous proposer une vision du monde. Tout comme le critique, qui doit faire le même cheminement pour rendre compte de cette vision sans vouloir l’assujettir à ses propres préjugés et fantasmes. Comme la peinture, il faut révéler ce qu’on ne peut ni voir, ni identifier, à la fois du côté de celui qui fait œuvre de cinéma que de celui qui écrit dessus, après coup : Pour Akira Kurosawa, l’auteur inspiré de «Kagemusha», les choses sont claires : «C’est le propre des grands peintres que de voir au-delà des apparences. Ils veulent capter cette chose mystérieuse».  C’est cela le cinéma, voir le mystère sans le dévoiler. Et la critique doit se positionner à la lisière de ces deux extrêmes : entre le mystère et l’intime. Ce n’est que de cette manière que le critique peut entrer en scène pour nous accompagner dans la lecture des images et de leurs tensions, de leurs contradictions, de leurs variations sur le même thème, pris dans différents angles, sans jamais en tenir le bout. Parce que, quoi que l’on en dise, on ignore constamment ce qui se cache dans cette part obscure qu’est un film. Et c’est parce que c’est inconnu, que c’est excitant pour le critique d’aller s’y frotter, quitte à s’y perdre. Comme le précise David Lynch, à maintes reprises : «Il y a une logique dans chacun de mes films, mais l’important c’est votre logique à vous», dit-il. C’est celle-ci, la logique de celui qui regarde qui apporte cet angle mystérieux qui réside au-delà du visible. C’est dans cet esprit que le réalisateur de «Lost Highway» dit ceci : «La vie est très, très compliquée; donc on devrait pouvoir faire des films tout aussi complexes». Complexe dans leur traitement, dans leur écriture, dans la manière de les filmer, dans leurs angles de vision et d’attaque, dans leurs silences, dans leurs dialogues, dans leurs caractères, dans leur pourquoi, dans leur comment. Parce qu’un film se doit de remuer la vie, d’aller la scruter dans ses recoins les plus lointains, d’aller illuminer ses zones d’ombre, en interrogeant le passé, le présent, les projections mentales, la capacité de cognition pour toucher du doigt ce qui sous-tend toute œuvre de cinéma digne de ce nom. Une œuvre qui va de la vie vers la vie. Une œuvre qui puise en soi l’intime pour le partager avec l’autre, dans son intimité propre. Complexe dans ce sens que l’œuvre de création doit être délestée des lieux communs, du déjà-vu, de fioritures, de remplissages et autres redondances. Une œuvre complexe est une œuvre de simplicité, qui va droit à l’essentiel, qui privilégie le peu ou trop plein, qui suggère et ne souligne jamais, qui dit sans montrer, qui perturbe, qui secoue, qui dérange, qui questionne, qui bouleverse. Car, comme le dit le réalisateur de «Les ailes du désir», Wim Wenders : «Nous pouvons améliorer les images du monde et, comme ça, nous pouvons améliorer le monde». C’est en somme cela la finalité de l’art : changer le monde, le rendre plus vivable, plus humain, trop humain si on peut y arriver. Et souvent, ce sont quelques œuvres d’arts, livres, films, toiles, symphonies… qui participent à la transmutation des valeurs de ce monde. C’est cela le rêve de tout artiste : pouvoir rendre plus belle la vie : «La vérité n’est pas dans un seul rêve, mais dans beaucoup de rêves», nous dit l’auteur de «Le Décaméron», Pier Paolo Pasolini. W Recevez les dernières actualités d’Aujourd’hui Le Maroc directement sur WhatsApp