Une conférence-débat du Forum des économistes du progrès
Le Forum des économistes du progrès (FEP) a organisé, mercredi 25 décembre au siège national du Parti du Progrès et du Socialisme, une conférence-débat intitulée « Construire une souveraineté numérique : de la vision à l’action », animée par l’expert en la matière Taieb Debbagh et en présence d’une pléiade d’éminents spécialistes.
M’Barek Tafsi
Mohammed Benmoussa : « Les GAFAMs, des concurrents sérieux des Etats en matière de régulation du numérique »
Dans une allocution liminaire, le président du FEP, Mohammed Benmoussa a rappelé que la souveraineté est une notion multidimensionnelle liée à l’Etat-nation.
Outre ses éléments constitutifs classiques que sont un territoire, une population, et un pouvoir politique organisé avec une armée, l’Etat se doit à présent disposer de sa souveraineté sanitaire, industrielle, technologique, agricole et numérique, etc….
Le numérique n’est pas un espace limité, défini. Il est plus un espace virtuel, voire un mode d’échanges qui transcende les frontières. Quelque 5,6 milliards de personnes utilisent actuellement internet avec des règles définies non pas les Etats-nations, mais par les grands opérateurs en particulier les grandes plateformes technologiques, appelées GAFAMs (Acronyme de Google, Apple, Facebook (aujourd’hui Meta) et Amazon, auquel est souvent adjoint Microsoft. Les GAFA(M), entreprises stars de la Silicon Valley californienne, ont envahi le quotidien des gens. Elles ont même fait des petits avec les NATU pour Netflix, Airbnb, Tesla et Uber..
Ceux-ci concurrencent les Etats en matière de régulation et surtout la régulation internet.
Actuellement, il y a un enjeu de démocratisation de ces modes de régulation qui se pose dans le cadre d’un rapport de forces, au niveau duquel les géants GAFAM sont devenus plus puissants que les Etats. Certains de ces Etats préfèrent aujourd’hui avoir une diplomatie en leur direction, comme c’est le cas du Danemark. Et ce dans le but notamment d’avoir une quelconque influence sur ces géants du Web.
Pour l’Union Européenne, elle essaie tant bien que mal de s’en sortir avec sa propre réglementation.
Le problème de cette souveraineté numérique se pose pour le Maroc, qui se cherche une stratégie en la matière dans le but d’assurer son autonomisation et de s’assurer de la capacité de ses règlementations nationales d’être respectées.
D’autres problèmes d’ordre fiscal se posent aussi pour des pays comme le Maroc avec le développement des cryptomonnaies », appelés aussi «crypto-actifs » ou le bitcoin.
Taieb Debbagh : «Les pays africains ont intérêt à fédérer leurs efforts pour aspirer à leur souveraineté numérique»
Prenant la parole, Dr. Debbagh a d’entrée fait savoir que le problème de la souveraineté numérique nationale revêt actuellement une importance majeure pour les Etats soucieux de la maîtrise de leurs ressources et données numériques. Ce qui l’a poussé à prendre au sérieux la question, a-t-il dit, c’est l’exemple récent du Mali où une société française, qui avait mis en place une base de données de la population, a tout simplement bloqué tout le système pour non-paiement après le coup d’Etat dans le pays.
C’est aussi l’exemple de l’Afrique dont les pays dépendent de câbles sous-marins, qui une fois tombent en panne, ils n’ont plus d’internet, a-t-il dit. C’est justement ce qui s’est passé quand une gigantesque panne des câbles sous-marins de fibre optique a plongé l’Afrique de l’Ouest dans une crise internet sans précédent. Seul Moov Africa, filiale du groupe Maroc Telecom, a réussi à maintenir la connectivité grâce aux réseaux redondants du géant marocain des télécoms. Le Maroc dispose en effet d’un câble sous-marin qui fait 9400 km qui relie le Maroc jusqu’au Gabon et aussi la fibre optique à travers un câble terrestre qui relie le Maroc jusqu’au Niger, qui fait 5700 km.
Compte tenu de l’importance de la question, le nouveau gouvernement français par exemple compte parmi ses membres deux ministres chargés du secteur numérique, a-t-il dit, avant de rappeler que Pierre Bellanger, président de Skyrock disait que « la souveraineté numérique est la maîtrise de notre présent et de notre destin tels qu’ils se manifestent et s’orientent par l’usage des technologies et des réseaux informatiques ».
Concrètement parlant, a-t-il dit, c’est la capacité d’un Etat à contrôler ses données, ses infrastructures et ses technologies et à assurer son indépendance relative par rapport aux GAFAMs.
Pour Dr. Debbagh, cette souveraineté repose sur cinq piliers que sont une réglementation et un cadre légal, indispensables pour la protection de la souveraineté, les infrastructures numériques pour assurer l’indépendance du pays en la matière, les télécommunications pour assurer la protection du pays, les logiciels et les plateformes et enfin les ressources humaines.
En matière de cadre légal nécessaire, a-t-il expliqué, le législateur est appelé à jouer un rôle majeur en adoptant les lois et décrets indispensables à la protection des données sensibles et pour l’encadrement des pratiques numériques, avec le concours d’experts, citant l’exemple de la loi 09-08, de la loi 05-20 et d’autres, dont il a été l’artisan.
Il a fait savoir que le défi pour le législateur requiert d’adapter constamment la réglementation nationale à l’évolution technologique (décret N° 2-24-921 relatif au recours aux prestataires de services Cloud).
Le développement des infrastructures numériques est un autre pilier indispensable pour garantir au pays l’indépendance technologique qui lui permet la maitrise des Datacenter, des réseaux et autres nouveautés, a-t-il ajouté, notant toutefois que le défi à relever à ce propos a trait aux coûts élevés requis et à la possibilité de nouer des partenariats pour réduire la dépendance internationale du pays.
Il a souligné dans le même ordre d’idées que le renforcement de la sécurité et de la résilience du pays en la matière requiert de lui de développer ses télécommunications et de se doter d’importants réseaux nationaux en capacité de sécuriser les échanges et garantir la continuité des communications, comme ce fut le cas de la fibre optique Maroc-Niger (5.700km), du câble West Africa (9400km).
De tels projets ont donc pour objectif d’améliorer la résilience face aux cyberattaques et aux crises, susceptibles de survenir à tout moment, a-t-il expliqué, tout en recommandant de parler plutôt dans le cas des pays africains de souveraineté numérique africaine pour fédérer les efforts des Etats du continent pour pouvoir faire face aux géants du net en se dotant d’un satellite africain. Un pays comme le Maroc n’est pas en mesure de faire tout seul le poids devant des géants comme Neflix ou Tesla, par exemple.
Mais le Maroc est toutefois en mesure de développer des logiciels et des plateformes en s’inspirant par exemple de l’expérience d’Israël, devenu champion en matière de sécurité numérique, au terme de deux décennies de recherches et d’efforts, a-t-il dit. Le Maroc dispose en effet des ressources humaines nécessaires pour se lancer sur cette voie pour réduire sa dépendance de l’international et empêcher quiconque de s’emparer de ses données et informations sensibles.
Il a toutefois fait savoir qu’une telle œuvre requiert des investissements massifs et une collaboration avec des start-ups locales, un défi difficile à relever pour un pays comme le Maroc.
Et ce ne sont pas les ressources humaines qui manquent au Maroc, a-t-il estimé, appelant à investir davantage dans la formation et le renforcement des capacités nationales, en s’inspirant par exemple d’un petit pays comme l’Estonie, dans le but d’assurer au pays sa souveraineté numérique à travers une bonne gouvernance et dans le cadre du plan Morocco Digital 2030.
Des investissements importants sont en effet prévus pour la promotion de startups, qui doivent en contrepartie tenir compte des besoins du pays dans les domaines de leur compétence (agritech, sporttech, healthtech, powertech, a-t-il souligné.
Au terme de ces interventions, un riche débat axé notamment sur les risques qui pèsent sur la souveraineté numérique des Etats de la part des GAFAMs et du fait de l’extraterritorialité des lois américaines a dominé la rencontre.
Taieb DEBBAGH est un expert en transformation digitale, cybersécurité, audit, risques et contrôle des SI (systèmes d’information), en management de projets et PMO (Project management office), en gouvernance et stratégie des SI et en confiance Numérique
Il est titulaire d’un Doctorat en Informatique des Organisations (Paris Dauphine).
L’article «Construire une souveraineté numérique : de la vision à l’action» est apparu en premier sur ALBAYANE.