Rachid Hamouni interpelle le ministre de l’Intérieur
Najib Amrani
La question écrite adressée par Rachid Hamouni au ministre de l’Intérieur soulève une problématique fondamentale pour la démocratie marocaine : la frontière floue entre l’action caritative et l’instrumentalisation politique. Le cas de la Fondation « Joud », perçue comme le bras social d’un parti de la coalition gouvernementale, illustre parfaitement cette dérive où l’aide humanitaire, légitime et nécessaire, devient un levier de clientélisme électoral.
Quand la charité se teinte de politique
Hamouni met en lumière une réalité dérangeante : l’utilisation présumée de ressources publiques pour faciliter la distribution de ces aides, ce qui, si avéré, représenterait une double infraction. D’une part, il s’agirait d’une appropriation indue de moyens appartenant à l’ensemble des citoyens. D’autre part, cela instaurerait une inégalité flagrante entre les formations politiques, faussant les règles du jeu démocratique.
Il est crucial de rappeler que la lutte contre la pauvreté ne devrait pas se transformer en campagne électorale déguisée. Une véritable politique sociale passe par des réformes structurelles, touchant l’ensemble des citoyens de manière équitable, et non par des distributions ponctuelles visant à gagner des voix. Or, comme le souligne Hamouni dans sa lettre écrite au ministre de l’Intérieur, ce type de pratiques « non éthiques et non légitimes » contribue à creuser le fossé entre les citoyens et leurs représentants, alimentant le désenchantement populaire face à la politique.
Le cadre juridique existe, mais qu’en est-il de son application ?
Notre pays s’est pourtant doté d’un cadre législatif clair avec la loi 18.18, régulant la collecte et la distribution des dons. Ce texte impose transparence et contrôle : déclaration préalable, identification des bénéficiaires, traçabilité des fonds, et rapport détaillé à l’administration. La question posée par Hamouni devient alors essentielle : pourquoi ce cadre n’est-il pas rigoureusement appliqué dans ce cas précis ? L’État a la responsabilité de garantir que ces lois ne restent pas lettre morte. La confiance citoyenne repose sur la capacité des institutions à garantir l’équité et à sanctionner les abus, quels que soient les acteurs impliqués.
Au-delà de la dimension légale, ce type de pratiques pose un véritable problème éthique. En exploitant la vulnérabilité des populations précaires à des fins partisanes, on transforme la misère en instrument électoral. Cela discrédite non seulement le travail associatif authentique, mais aussi l’action politique elle-même, réduite à une course aux faveurs plutôt qu’à un débat de fond sur les solutions à apporter aux problèmes de la société. Plus grave encore, ce type de pratiques entretient un modèle de dépendance : au lieu d’encourager les citoyens à exiger des réformes structurelles, on les maintient dans une logique d’assistanat opportuniste. Cela freine l’émergence d’une citoyenneté active et critique, nécessaire au progrès démocratique. Si l’engagement social des partis est légitime, il doit passer par des propositions de politiques publiques et non par des gestes ponctuels déguisés en bienfaisance. Une réforme du financement de la vie politique pourrait inclure un encadrement plus strict des activités « caritatives » liées aux partis, avec des sanctions dissuasives en cas de dévoiement. En parallèle, il serait pertinent de renforcer les associations indépendantes et les initiatives citoyennes locales, afin que l’aide humanitaire ne dépende plus des agendas politiques. La société civile, lorsqu’elle est autonome, est un rempart essentiel contre la récupération électorale.La question de Hamouni, en plus de son aspect dénonciateur, ouvre la porte à une réflexion plus large sur la moralité de la vie publique. Pour restaurer la confiance des citoyens, il ne suffit pas de sanctionner les abus ; il faut aussi réhabiliter la politique comme espace de débat et de propositions concrètes, au service de tous.Si cette affaire est traitée avec la rigueur nécessaire, elle pourrait même devenir une opportunité : celle de poser les bases d’une pratique politique plus saine et plus respectueuse de la dignité des citoyens. Car après tout, la véritable solidarité ne se mesure pas en paniers de denrées, mais en réformes durables capables de sortir définitivement les Marocains de la précarité.
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