Tout comme l’année dernière, la récolte des olives s’annonce maigre, suscitant une nouvelle flambée du prix de l’huile. Le renforcement des importations peut limiter les conséquences, mais les professionnels appellent à plus de mesures.
Comme chaque automne, les oléiculteurs s’apprêtent à cultiver leurs olives après une septième année de sécheresse consécutive. Ces derniers mois, d’importantes pluies se sont abattues sur plusieurs régions du Royaume, mais sans impact sur les oliviers. « Pour les oliviers, les pluies printanières, généralement entre mars et mai, sont cruciales. C'est la période où les arbres se préparent à la floraison et où l’eau favorise une bonne formation des fleurs», nous explique Youssef Ghazali, oléiculteur à El Attaouia, petite ville de la province de Kelaâ des Sraghna. Ce quarantenaire, propriétaire d’une oliveraie de plus de 40 hectares, qu’il a héritée de son père, s’attend à une récolte «bien maigre». Un peu plus loin, au cœur de la région Béni Mellal-Khénifra, où les terres oléicoles s’étendent sur 100.000 ha, la situation est la même, apprend-on de la Direction régionale de l’Agriculture. Selon les professionnels de la région, la forte chaleur de l’été, surtout les rafales de vent chaud, ont porté le coup de grâce aux arbres. Dans ce contexte climatique délicat, le ministère de l’Agriculture s’attend à une campagne similaire à celle de l’année dernière, alors que la production nationale d'olives est en baisse de 44% par rapport à la production de l'automne 2021, qui avait enregistré un record historique de 1,9 million de tonnes. Les professionnels, eux, tablent sur un recul allant jusqu’à 60% par rapport à une année normale. Explosion des prix, déstresse des ménages Les perspectives pessimistes font augmenter les prix sur le marché, où celui des olives atteint 15 dhs/kg, selon nos oléiculteurs, soit plus de 100 dirhams le litre d’huile. Pour éviter les polémiques, mais aussi pour garantir le bon approvisionnement de cette denrée fondamentale pour les ménages marocains, le gouvernement s’oriente vers l’encouragement de l’importation, en simplifiant les procédures et en annulant les droits d’importation. «L’importation pourrait être une solution à court terme pour approvisionner le marché en huile d'olive et stabiliser son prix », affirme Rachid Benali, président de la Fédération Interprofessionnelle Marocaine de l’Olive, mais la vigilance s’impose pour ne pas détruire le tissu local. L'Espagne, premier fournisseur mondial d'huile d'olive, est parmi les grands favoris du gouvernement marocain pour maintenir les prix à des niveaux raisonnables. Le pays ibérique connaît également une légère hausse des prix suite aux conditions climatiques, mais «ils restent inférieurs à dix euros pendant toute l'année 2024 », selon Carles Peris Ramos, secrétaire général de l'association d'agriculteurs "La Unió", repris par «Euro news». Le Maroc, qui faisait autrefois partie des dix plus grands exportateurs d’huile d’olive au monde, dispose de plusieurs options pour approvisionner son marché à des prix compétitifs. Au moment où les marchés européens connaissent une hausse progressive de la demande et donc du prix de l’huile, le Royaume pourrait se tourner vers la Tunisie, avec qui les relations sont politiquement tendues dernièrement. Tunis se distingue comme le principal fournisseur d’huile d’olive de l’Union Européenne, représentant une part importante des importations du bloc. En mai 2024, plus de 12.000 tonnes d’huile d’olive ont été importées depuis la Tunisie. Sur l’ensemble de la campagne 2022/2023, 68% du total des importations de l’UE étaient constituées d’huile d’olive vierge extra, mettant en évidence l’importance de la Tunisie dans le maintien de l’approvisionnement en huile d’olive de haute qualité pour l’Europe, à un coût inférieur à celui des pays européens. Mais outre les mesures spéciales pour empêcher la flambée des prix sur le marché national, les professionnels appellent à des solutions durables pour améliorer la résilience de cette culture face aux chocs climatiques. La Fédération Interprofessionnelle Marocaine de l’Olive appelle à ce titre à la mise en place de mesures de soutien direct aux agriculteurs en ces temps de sécheresse. Fort de plus de 1.250.000 hectares d’oliviers, le secteur se trouve aujourd’hui dans une «situation catastrophique», selon les professionnels qui appellent le gouvernement à octroyer des dotations en eau pour l'oléiculture. Car, si ces arbres ne sont pas sauvés, c’est tout le secteur oléicole qui va mourir. Rime TAYBOUTA
Trois questions à Redouane Arrach, Secrétaire Général du département de l’Agriculture : « L’Etat encourage la diversification du profil variétal à travers l’utilisation des variétés Haouzia et Menara»
Dans un contexte marqué par une forte sécheresse, quelles sont les mesures prises par le ministère pour soutenir la filière oléicole ? Le gouvernement a lancé une nouvelle stratégie de développement du secteur agricole - “Génération Green 2020-2030” - en se basant sur les résultats de l’évaluation du Plan Maroc Vert. Un nouveau contrat-programme de nouvelle génération a été élaboré par le Département de l’Agriculture en concertation avec la profession oléicole et a été signé en mai 2023 pour le développement d’une filière plus résiliente et plus éco-efficiente. Ceci à travers le développement de l’oléiculture biologique et la promotion des systèmes économes en eau d’irrigation (+100.000 Ha), soit le maintien de l’aide de l’Etat pour l’équipement en goutte à goutte. Il y a aussi la promotion des énergies renouvelables (biomasse, solaire…) et l’accompagnement de la transition énergétique des agriculteurs vers le renouvelable (solaire). De plus, il y a la promotion de la valorisation des déchets issus de l’activité oléicole, comme la création d’unités de traitement de grignons d’olives et la création de bassins de séchage des margines. Et bien évidemment l’amélioration et la diffusion des techniques de conservation des sols. Comment peut-on adapter l’olivier à la sécheresse ? Face à la hausse progressive des températures et à la raréfaction conjointe des précipitations, les pratiques agricoles sont contraintes de s'adapter à cette situation à travers le choix des variétés d'oliviers plus résistantes. L’utilisation de la densité optimale selon le mode d’exploitation en intensif/extensif joue également un grand rôle. Il y a ensuite l’application de la taille qui a pour objectifs d'accroître la production, de limiter l'alternance, de freiner le vieillissement, d'éliminer le bois mort et le bois superflu. En plus, l’optimisation de l’usage des ressources hydriques est importante, comme l’utilisation de la paille/résidus des arbres autour des plantes, cequi peut réduire l’évaporation de l’eau du sol. Sur la question des variétés des arbres, avez-vous une stratégie pour inciter les producteurs ? Le ministère a procédé à l’intégration dans le programme de la recherche agronomique nationale des thèmes relatifs à l’olivier et aux changements climatiques (sélection et adaptation variétale, techniques culturales, etc.). Le verger oléicole est constitué essentiellement de la variété population "Picholine Marocaine" qui représente plus de 90% des plantations. Le reste, soit 10%, est constitué de plusieurs variétés, en particulier : Picholine du Languedoc, Dahbia et Mesllala concentrées essentiellement en irrigué (Haouz, Tadla, Kelaâ) et de quelques variétés espagnoles et italiennes. L’Etat, dans le cadre du Plan Maroc Vert, encourage la diversification du profil variétal à travers l’utilisation des variétés Haouzia et Menara. C’est ce qui constitue la résilience de la filière.
Stats : L'oléiculture marocaine en bref
L'oléiculture est une composante fondamentale du secteur agricole, elle est placée au carrefour d'enjeux économiques, sociaux, environnementaux avec des problématiques multiples qui s'entrecroisent. L'olivier constitue la principale filière fruitière cultivée étant donné qu'elle représente plus de 65% de la sole arboricole nationale. Ce secteur contribue à hauteur de 5% au PIB agricole national et réalise un chiffre d’affaires de l'ordre de 6,6 milliards de dirhams avec une valeur ajoutée de 5,5 millions de dirhams. Par ailleurs, l'oléiculture constitue une source importante d'emplois procurant plus de 51 millions journées de travail par an, soit l'équivalent de 380.000 emplois permanents. Grâce au Plan oléicole, le Maroc s'est imposé, en 2019, au niveau international avec une offre de qualité en conserves d'olives et occupe aujourd'hui le 3ème rang des exportateurs internationaux. La moyenne annuelle des exportations des olives de table était de 88.000 tonnes, alors que la moyenne des exportations de l'huile d'olive était de 31.000 tonnes.
Huile d’olive : Augmentation des importations sur le marché mondial
Le marché mondial de l’huile d’olive et des olives de table continue d’évoluer à un rythme soutenu, marqué par des fluctuations significatives des prix et des échanges commerciaux. Le Conseil Oléicole International (COI) a présenté un aperçu des tendances récentes dans ce secteur crucial de l’agriculture mondiale dans son dernier rapport. Selon le rapport, l’Amérique du Nord se distingue par une augmentation notable des importations d’huile d’olive. Le Canada, acteur clé sur ce marché, a vu ses importations croître de 1,4% depuis le début de la campagne en octobre 2023 jusqu’en mai 2024. Les États-Unis, pour leur part, ont enregistré une augmentation impressionnante de plus de 25% des importations entre avril et mai 2024. Cette croissance démontre un intérêt croissant pour l’huile d’olive sur ces marchés, malgré les pressions économiques globales. Au cours de la campagne précédente (2022/2023), le Canada a importé près de 50.000 tonnes d’huile d’olive et d’huile de grignons d’olive, dont la majorité, soit un peu plus de 38.000 tonnes, était constituée d’huiles d’olive vierges. Fait notable, 97% de ces huiles d’olive vierges appartenaient à la catégorie vierge extra, soulignant la demande accrue pour des produits de qualité supérieure. Les prix de l’huile d’olive vierge extra continuent de grimper en Europe, avec des hausses notables en Espagne et en Italie. À Jaén, en Espagne, le prix de l’huile d’olive vierge extra s’élevait à 781 euros les 100 kg à la fin du mois de juin, soit une augmentation de 18,6% par rapport à la même période de l’année précédente.