Les médecins du secteur public montent au créneau contre le gouvernement avec un nouveau mouvement de grèves. Conséquence d’un dialogue social inachevé. Détails.
La colère continue de sévir au sein des hôpitaux où les médecins s’apprêtent à pousser la lutte à son paroxysme. Les blouses blanches sont en grève depuis mardi dernier. Organisés à l’appel du syndicat indépendant des médecins du secteur public (SIMSP), les débrayages concernent l’ensemble des établissements de santé excepté les services d’urgence et de réanimation. Ce n’est que le prélude d’un long mouvement de protestation qui durera trois semaines. “La deuxième semaine sera celle de la colère”, déclare Dr El Mountadar Alaoui, Secrétaire général national du syndicat, qui assure que la lutte ne cessera pas tant que le gouvernement n’aura pas répondu à leur dossier revendicatif. Le mutisme du nouveau ministre de la Santé, Amine Tahraoui, semble irriter davantage le syndicat indépendant, qui affirme que ses appels au dialogue n’ont pas été, jusqu’à aujourd’hui, suivis d’effets. Raison pour laquelle les blouses blanches comptent aller jusqu’au bout, quitte à paralyser les hôpitaux. Une démarche indispensable, juge M. El Mountadar, qui s’excuse au nom de ses confrères auprès des citoyens d’être obligés à recourir à une telle extrémité. L’agenda s’annonce chargé. Les syndicats prévoient, du 25 novembre au 1er décembre, de cesser les consultations tout en organisant, en parallèle, des sit-in aux échelons régional et provincial. Puis, une grève nationale est prévue du 4 au 5 décembre si le problème n’est pas résolu. Les médecins grévistes ont recours à d’autres formes de protestations telles que le boycott des caravanes médicales, des actes administratifs, des rapports et des registres médicaux. Colère chronique Ce n’est pas la première fois qu’on assiste à une telle éruption de colère chez les médecins du public, dont les grèves récurrentes sont devenues une scène familière. Ils revendiquent depuis des mois une réponse définitive sur le dossier revendicatif. Les médecins s’opposent farouchement au Projet de Loi des Finances 2025 qu’ils jugent attentatoire à leurs acquis sociaux, dont le statut de fonctionnaire qu’ils veulent préserver et la centralité des postes budgétaires qui signifie que les salaires du personnel médical émanent exclusivement du budget de l’Etat, à l’instar de ceux de l’ensemble des membres de la Fonction publique. Le syndicat indépendant des médecins du public semble méfiant, bien que le gouvernement ait fait voter un amendement de l’article 23 du PLF qui acte cette garantie. Le gouvernement rassure Pour les syndicalistes, ce n’est que de la poudre aux yeux. Un communiqué du SIMSP a fait savoir que cet amendement est une mesure de rafistolage en attendant une solution définitive. Cela dit, les syndicalistes pensent que le gouvernement n’a fait que reporter le problème jusqu’à nouvel ordre. En fait, cela devrait être acté par un texte d’application. Pour sa part, l’Exécutif apporte sa version des faits. Lors de la discussion du PLF au Parlement, le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, a fait preuve de nuance. Il a cité le cas du personnel affecté aux autres établissements non-hospitaliers tels que l’Institut Pasteur ou les agences de régulation, dont la Haute Autorité de la Santé et l’Agence du Médicament. Cette affectation entraîne des changements de statut. D’où ce débat qui sera tranché par la tutelle en concertation avec les syndicats dans le cadre du dialogue sectoriel, a précisé le ministre, qui a pris soin de rassurer les médecins que le dialogue prévu prochainement ne peut apporter que de nouveaux acquis au staff médical. «Il n’y a jamais eu dans l’Histoire du Maroc de statuts qui sont revenus sur les acquis précédents», a-t-il conclu. Ainsi, le message est clair du côté de l’Exécutif. Les textes d’application régissant les statuts du personnel médical dans son intégralité seront le fruit d’un commun accord. C’est le cœur des revendications des médecins, dont le syndicat indépendant exige catégoriquement qu’il soit associé à l’élaboration du nouveau Statut des professionnels de la Santé. En cours de préparation, ce fameux statut suscite d’ores et déjà la méfiance des syndicats qui redoutent des “retours” sur leurs acquis professionnels. Un dialogue en stand-by En réalité, ce qui se passe aujourd’hui n’est que le résultat d’un dialogue inachevé entre la tutelle et les syndicats, qui dure depuis deux ans. C’est l’ancien ministre Khalid Ait Taleb qui a mené les discussions qui furent couronnées par un accord consigné dans un procès-verbal le 29 décembre 2023 et ensuite le 2 janvier 2024. C’était un accord de principe avec des engagements généraux. Le gouvernement avait à l’époque répondu favorablement à la majeure partie des revendications des syndicats, à la fois sur le volet financier et sur le statut du personnel médical. Cet accord contient plusieurs engagements du gouvernement, à savoir l’augmentation des salaires dans le cadre d’un nouveau système de rémunération comprenant une partie fixe et une autre variable. Idem pour les indemnités. Pour ce qui est des perspectives de carrière, le gouvernement s’est engagé à préserver le statut de fonctionnaire du personnel du ministère de la Santé et la centralité des postes budgétaires. En ce qui concerne les conditions de travail, il a été convenu de fixer selon une approche participative la hausse des indemnités de garde et de permanence, les horaires de travail, ainsi que la mobilité public-privé. Quelques mois plus tard, le syndicat indépendant des médecins n’a pas signé l’accord du 17 juillet à l’instar du reste de la coalition des syndicats des professionnels de la Santé parce qu’il jugeait que les médecins en étaient exclus. Maintenant, les médecins exigent de participer impérativement à l’élaboration du décret portant Statut des professionnels de la Santé pour qu’ils puissent s’assurer du respect de leur cahier revendicatif, dont la hausse de la partie fixe du salaire indépendante du paiement à l’acte et la création de deux grades hors-échelle. À cela s’ajoutent les primes de risque et les indemnités de spécialité. Les médecins aspirent également à plus de flexibilité dans les horaires de travail, la mobilité et la garde avec plus de renforcement de la formation continue.
Trois questions à El Mountadar Alaoui : « Notre demande est claire : Le maintien du statut de fonctionnaire avec toutes les garanties qui vont avec »
Pensez-vous que la grève est le seul moyen de se faire entendre ? Ce mouvement de lutte dure depuis trois semaines. Nous allons continuer sans interruption avec une grève de 3 jours avant de prendre d’autres mesures la semaine suivante. Nous avons engagé pendant une année une série de négociations avec le ministère de la Santé sous l’autorité du Chef du gouvernement. Nous sommes parvenus à deux accords actés dans les procès-verbaux de décembre 2023 et janvier 2024, en vertu desquels nous sommes convenus de préserver les acquis sociaux des médecins : le maintien du statut de fonctionnaire et le versement des salaires à partir du Trésor public. Pourtant, nous étions surpris de voir que le gouvernement est revenu sur ses engagements dans le PLF 2025. Le gouvernement a préservé le statut des fonctionnaires suite à l’amendement de l’article 23 du PLF 2025. N’estce pas une de vos principales revendications ? Le PLF 2025 n’est pas l’unique motif de colère mais uniquement la goutte qui a fait déborder le vase, sachant que nous exigeons que l’Exécutif réponde à l’ensemble de notre dossier revendicatif. Notre demande est claire : le maintien du statut de fonctionnaire avec toutes les garanties qui vont avec. Raison pour laquelle il faut revoir le nouveau projet de Statut des professionnels de la Santé qui contient des atteintes inquiétantes à la profession. Il faut qu’on soit associé à l’élaboration du texte. Il nous est aussi important de revoir les autres textes réglementaires en ce qui concerne les conditions de la garde, la permanence, la revalorisation des indemnités, la mobilité au sein des groupements territoriaux de la Santé, la hausse du salaire fixe, le paiement à l’acte, la formation continue, la mobilité vers le secteur privé… Nous revendiquons également deux grades hors échelle. Est-ce que vous comprenez la colère des citoyens qui souffrent le plus souvent de ces grèves répétitives ? Nous présentons nos excuses aux citoyens qui sont évidemment impactés par les grèves que nous sommes obligés de mener. Nous veillerons à préserver le service minimum, les services d’urgence et de réanimation étant exclus.
Débrayages : Les internes et les résidents rejoignent la lutte
Les médecins semblent solidaires entre eux. Les résidents et les internes entrent en ligne en se mettant, à leur tour, en grève. A l’appel de la Commission nationale des médecins internes et résidents, ils ont tenu une grève du mercredi au jeudi. Cette mesure n’est pas seulement un acte de solidarité, mais un moyen d’attirer l’attention du ministère de tutelle sur ses propres revendications. La commission réclame depuis des mois qu’elle soit associée également au dialogue sur une série de réformes en cours, telles que celle du troisième cycle des études en médecine et celle relative aux groupements territoriaux de la Santé. Les médecins résidents appellent la tutelle à améliorer leurs conditions de travail et leur indemnisation. Cette catégorie de blouses blanches, dont une partie travaille pendant son parcours de spécialité, se sent marginalisée et délaissée, bien que son rôle soit vital dans les hôpitaux, surtout dans les services d’urgence.
Professionnels de la Santé : Gain de cause !
Contrairement aux médecins du secteur public, le reste du personnel de la Santé semble avoir obtenu gain de cause. Les syndicats représentatifs du personnel soignant ont signé l’accord du 17 juillet 2024 dont les termes ont commencé à être appliqués. Ils n’ont pas manqué de réagir sévèrement contre le gouvernement lorsqu’ils ont senti que le statut de fonctionnaire risquait d’être sur la balance après l’annonce du PLF 2025. En faisant pression, ils ont finalement été entendus. La coalition syndicale s’est dite satisfaite de la préservation des acquis au Projet de Loi des Finances. Adopté en commission, le texte a été amendé de sorte à préserver le statut des professionnels de la Santé en tant que fonctionnaires, ainsi que la centralité des postes budgétaires. Ceci a fait l’objet d’un amendement de l’article 23 qui a été approuvé et qui traduit deux engagements principaux du gouvernement à l’égard des syndicats dans le cadre de l’accord de juillet 2024. Dans un communiqué conjoint, les syndicats ont déclaré que cet amendement traduit leur revendication de préserver les acquis des professionnels avec le maintien du paiement de leurs salaires à partir du Trésor public et l’ensemble des droits et garanties conférés par la Fonction publique. Rappelons que le PLF 2025 a été adopté par la Chambre des Représentants et transmis, ensuite, à la deuxième Chambre. Les Conseillers ont pris acte des amendements adoptés par les députés.