IA à la vie à la mort !

Point de vue Par Pr. Jamal Eddine NAJI Si vous n’êtes pas parmi les 2,6 milliards d’humains victimes de « l’illectronisme », exclus de l’Internet, vous aurez, après votre mort, la chance, dans 40 ou 50 ans, d’apprendre des nouvelles de vos arrière-petits-enfants qui communiquerons avec vous régulièrement. A leur initiative, car dans l’au-delà l’Intelligence Artificielle (IA)... L’article IA à la vie à la mort ! est apparu en premier sur ALBAYANE.

IA à la vie à la mort !
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Point de vue Par Pr. Jamal Eddine NAJI Si vous n’êtes pas parmi les 2,6 milliards d’humains victimes de « l’illectronisme », exclus de l’Internet, vous aurez, après votre mort, la chance, dans 40 ou 50 ans, d’apprendre des nouvelles de vos arrière-petits-enfants qui communiquerons avec vous régulièrement. A leur initiative, car dans l’au-delà l’Intelligence Artificielle (IA) n’existe pas… Alors qu’ici-bas elle fait « parler » les morts ! Possible qu’il existe là-haut autre chose, plus inimaginable, comme l’était l’IA, il y a à peine 20 ans ! Au siècle dernier, les années 20 étaient, pour les Français, des « années folles », des « années rugissantes » (« Roaring twenties ») pour les Américains, des « années d’or » pour les Anglais (« Golden twenties ») et pour les Allemands (« Golden zwanziger »). Nos années vingt actuelles, comment les qualifier ? « Stressantes » ? « Anxieuses » ? « Existentielles ? » ou tout simplement « Virtuelles » ? Déjà, avec la génération née il y a moins de dix ans (génération Alpha, en attendant la Beta – ! – qui naitra entre 2025 et 2039), notre avenir se profile : une plus vaste domination du monde virtuel/digital sur le monde réel… Allons-nous vers une disparition totale du « réel » comme dans l’au-delà ? En tout cas, la marche du numérique annonce sa totale domination sur l’essentiel de la vie des enfants, dès l’âge de 5 ou 6 ans, alors que dans certains pays hyper digitalisés la connectivité est déjà rendue possible pour les enfants dans les crèches (la petite enfance avant 5 ans) au moins pour des jeux éducatifs d’apprentissage de mots ou pour associer un mot à une image. ! L’apprentissage, voilà le maître mot dans notre monde numérisé qui compte déjà 5,5 MM d’humains en ligne (soit 67% de la population mondiale), comme le soulignait récemment l’IUT qui vise, par ses appuis, une « connectivité universelle » en 2030 ! Pour cette agence de l’ONU, créée en 1865 pour gérer, à l’origine, le partage du spectre des fréquences radioélectriques au niveau mondial, « l‘Internet est un outil essentiel pour avoir accès à l’information, à l’emploi et à l’éducation. Les personnes qui ne disposent pas d’un accès efficace risquent de rester sur le bord de la route, et ce d’autant plus que des technologies comme l’intelligence artificielle prennent une place de plus en plus grande dans notre quotidien ». La génération contemporaine de l’apparition de l’IA est bel et bien enchainée à cette intelligence transfrontalière et virtuelle. Selon l’ONU, trois quarts de la population mondiale âgée de 10 ans et plus possèdent un téléphone facilitant l’accès à Internet. Les téléphones cellulaires forment la passerelle la plus commune vers Internet et donc vers l’IA. En 2020, 27 % de la population canadienne de plus de 15 ans ont déclaré passer plus de 20 heures devant un écran par semaine (cellulaire surtout), selon une enquête de Statistique Canada. En France, la population de plus de 12 ans passe en moyenne un tiers de son temps éveillé devant un écran, selon le plus récent rapport du Baromètre français du numérique. « Tout est fait pour nous maintenir connectés », remarque Guillaume Pitron, auteur français de « L’enfer numérique : Voyage au bout d’un like ». Les impacts négatifs de cet « enfer », de cette addiction aux écrans du numérique sont multiples : qualité du sommeil, capacité de concentration et d’attention, développement des enfants, santé mentale des grands comme des petits, risques d’obésité, d’hypertension, de dépression, de problèmes chroniques, de maladies et même de mort prématurée, prévient l’Agence de la santé publique du Canada (ASPQ), qui recommande de limiter son temps d’écran à 3 heures par jour. On sait également que choisir de se déconnecter implique une « prise de risque ». Le risque de s’ennuyer, de se retrouver seul, de perdre en efficacité. Le risque « de se mettre à distance du monde », comme dit le sociologue du CNRS français, Francis Jauréguiberry… Se déconnecter aurait nécessairement des impacts sur sa vie familiale, sociale, professionnelle. Résultat : « on ne peut pas se passer [de la connexion]. On serait complètement handicapé sans elle dans notre société », souligne-t-il encore.  « Le sens de l’histoire est celui d’une connexion toujours plus grande de l’humanité », résume Guillaume Pitron. De plus, plusieurs experts nous prédisent un avenir proche dans lequel les objets, les animaux et même les végétaux seront connectés… Sachant qu’il y avait déjà en 2020 près de 10 milliards d’objets connectés dans le monde, et ce nombre devrait tripler pour atteindre plus de 29 milliards en 2030, selon « Statista » (portail online allemand de statistiques mondiales). Réguler le numérique, ce nouveau pouvoir ? En un mot, la progression impressionnante de l’intelligence artificielle dont nous connaissons à peine les limites, les « ChatGPT 5, 6, 7 et 8 » de demain, façonneront notre quotidien dans de multiples aspects de notre vie… et de notre mort ! Rester connecté, partout, tout le temps, y compris après notre trépas ou celui de nos proches ! C’est le modèle économique de l’internet, basé sur la captation des données et de l’attention. Pour y parvenir, les entreprises technologiques créent des algorithmes puissants et déploient des milliers de satellites (comme la Starlink de SpaceX d’Elon Musk) dans l’espace pour connecter le plus grand nombre d’humains possible. « La connexion, c’est la donnée, la donnée, c’est de l’argent, et l’argent, c’est du pouvoir », souligne Guillaume Pitron. Plusieurs gouvernements tentent par d’interminables tentatives législatives ou de justice, d’encadrer, de réguler ce permanent « tsunami » du numérique et de ses nouveaux avatars… Notamment pour en limiter les impacts sur la vie politique, l’économie, l’éducation, la sécurité, la santé publique, la culture et… les croyances religieuses ou autres valeurs constitutives de l’identité d’une communauté ou d’un peuple… S’il est déjà aisé et advenu pour un Chinois ou un Japonais de parler avec un mort, ce n’est pas évident pour un musulman ou autre monothéiste à la foi fidèle aux saintes écritures qui recommandent le respect des morts dans leur paix éternelle jusqu’au jugement dernier. Ceci pour dire que réguler le numérique est bel et bien mission impossible au regard, d’une part, de ses incessantes et bouleversantes inventions, et d’autre part, en raison de son imbrication quasi consubstantielle dans tous les aspects de notre vie, depuis la politique jusqu’au deuil, en passant par l’économie, l’apprentissage, la culture etc… Au regard de ces tentatives de régulation, l’idéal de liberté est remis en question. Mais un idéal qui risque de reprendre de la force avec des décideurs mondiaux comme les milliardaires Trump et Musk lequel est maintenant l’homme le plus riche de l’histoire pesant plus de 326 Milliards US ! Chiffre presque égal au PIB du Danemark et le double du PIB du Maroc ! Néanmoins, on voit aujourd’hui que des gouvernements, qui ont refusé de se mêler de cet idéal – libertarien – depuis 25 ans, font tout en leur pouvoir pour encadrer et réglementer le numérique. Est-ce la bonne solution ?  Il y a 15 ans, pour le régulateur des médias canadien (CRTC), par exemple, « Internet, c’est pas touche… Avec le recul, refuser d’encadrer l’internet a peut-être été la décision la plus loufoque de l’histoire du CRTC », affirme Pierre Trudel, spécialiste du numérique à la faculté de droit de l’Université de Montréal. Ce revirement du CRTC est dans l’air du temps. Depuis deux ans, Ottawa a soumis non pas un, mais cinq projets de loi pour mieux encadrer les « nouveaux médias ». De son côté, l’Union Européenne a voté une loi sur les marchés numériques pour combattre les activités anticoncurrentielles des géants de l’internet, comme les GAFAM. Aux USA, Joe Biden a annoncé par décret, il y a un an, son intention d’encadrer l’intelligence artificielle…Or, le retour au pouvoir de  Trump rend bien incertain cet encadrement. Plus globalement, l’ONU et l’OCDE s’activent pour aider leurs États membres à limiter les dérapages du numérique, comme une utilisation abusive des réseaux sociaux ou de l’IA. L’idée de confier à une organisation supranationale le rôle de gendarme du numérique circule depuis des années, mais semble loin de faire consensus. La jungle des réseaux et commerce de la donnée Comment y arriver, alors qu’il est quasi impossible d’encadrer et de réguler les grands territoires, ces jungles et forêts sauvages, du numérique, en plus de l’IA, que sont les réseaux dits sociaux ?! En janvier dernier, Facebook, leader de ces réseaux, comptait plus d’un milliard de comptes et plus de trois milliards d’utilisateurs actifs…  YouTube Vidéo et la messagerie WhatsApp comptaient respectivement 2,5 milliards et 2 milliards d’utilisateurs, la plateforme de partage de photos Instagram près de 2 milliards. L’application chinoise de partage de vidéos, TikTok, comptait plus de1,5 milliard d’utilisateurs … ! Comment envisager une régulation dans une industrie si forte et si tentaculaire dans l’économie mondiale basée sur un commerce de la donnée : en 2023, Meta a généré un chiffre d’affaires de 134 Milliards de dollars (presque notre PIB national !) et près de 40 milliards en revenus nets.… Autre exemple d’éclairage sur le poids économique mondial du numérique : Facebook (qui employait 67.000 personnes en 2023) a généré, en 2022, 113 Milliards US en revenus publicitaires… Parions que ces chiffres paraitront bientôt bien modestes quand l’IA envahira toute pratique numérique chez tous les connectés de la planète et les « addictera », par ses innovations à venir, aux rapports virtuels avec le réel comme aux rapports, incarnés, avec le monde des morts. Vœu pieux que de vouloir éviter d’accorder à l’IA le même laisser-faire qu’aux médias sociaux ? Le Parlement européen définit l’intelligence artificielle comme tout outil utilisé par une machine capable de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité » … « Dans les années à venir, tous les réseaux d’information – des armées aux religions – gagneront des millions de nouveaux membres IA, qui traiteront les données différemment de ce que font les humains », nous annonce le visionnaire Yuval Noah Harari dans son récent « Nexus, une brève histoire des réseaux d’information depuis l’âge de pierre à l’IA » (Albin Michel. 2024. 556 pages). Et il ajoute : « L’invention de l’IA est potentiellement plus capitale que celle du télégraphe, de l’imprimerie ou même de l’écriture, car l’IA est la première technologie capable de prendre des décisions et de générer des idées par elle-même ».Le but donc est de « permettre aux ordinateurs de penser et d’agir comme des êtres humains », sinon plus et différemment, et ce dans la vie réelle, ajouterait-on, comme dans la mort aussi, avec cette application- déjà largement commercialisée – qui permet de dialoguer avec les morts en utilisant les traces numériques qu’ils ont laissées derrière eux…On en laissera tous…n’est-ce pas ? Alors, pour tous, IA, à la vie à la mort ! L’article IA à la vie à la mort ! est apparu en premier sur ALBAYANE.