Imane Kendili : «Ramadan, une période propice pour gérer les addictions»

Entretien avec Imane Kendili, psychiatre et addictologue Dépendances : Avec la montée des conduites addictives au niveau national, le Ramadan représente une période propice pour gérer ces dépendances. Cette période de l’année se veut une opportunité de sevrage et lève le voile sur les difficultés qu’une personne dépendante doit surmonter. Imane Kendili, praticienne experte et […]

Imane Kendili : «Ramadan, une période propice pour gérer les addictions»
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Entretien avec Imane Kendili, psychiatre et addictologue Dépendances : Avec la montée des conduites addictives au niveau national, le Ramadan représente une période propice pour gérer ces dépendances. Cette période de l’année se veut une opportunité de sevrage et lève le voile sur les difficultés qu’une personne dépendante doit surmonter. Imane Kendili, praticienne experte et en addictologie, énumère dans cet entretien des tendances dominantes et prescrit des solutions pour pouvoir contrôler ces dépendances. ALM : Au Maroc, quelles addictions rencontrez-vous le plus souvent ? Imane Kendili : Au Maroc, les conduites addictives représentent une problématique de santé publique grandiose, touchant aussi bien les substances psychoactives que les comportements compulsifs. En tant que psychiatre, il est essentiel d’aborder ces addictions sous l’angle d’un phénomène complexe, mêlant facteurs individuels, environnementaux et sociaux. Le tabac reste la substance la plus consommée, avec plus de 6 millions de fumeurs, dont 500.000 âgés de moins de 18 ans. Cette banalisation précoce expose une large partie de la population à des risques de dépendance et de complications de santé majeurs. Le cannabis, quant à lui, affiche une prévalence inquiétante de 3,94 % au sein de la population générale et plus de 9 % des lycéens ont déjà expérimenté une drogue à base de cette substance. Ces chiffres témoignent d’une initiation précoce, souvent sous-estimée, qui peut engendrer des troubles cognitifs et psychiatriques à long terme. L’ alcool, bien que plus tabou, concerne entre 50.000 et 70.000 Marocains en situation de consommation problématique. Souvent cachée ou minimisée, cette dépendance entraîne des souffrances psychiques et physiques importantes, nécessitant une prise en charge adaptée. Mais au-delà des substances, les addictions comportementales connaissent une ascension fulgurante. Les jeux d’argent touchent 3,3 millions de personnes et l’usage excessif des écrans, des jeux vidéo et d’Internet, particulièrement chez les jeunes, entraîne des répercussions sur la concentration, l’anxiété et les interactions sociales. Face à cette montée en puissance des addictions, il devient impératif de renforcer les stratégies de prévention et d’ accès aux soins spécialisés. La psychiatrie et l’addictologie doivent s’adapter aux nouveaux profils de dépendance, en proposant des approches thérapeutiques adaptées au contexte socioculturel marocain. L’enjeu dépasse la simple prise en charge médicale : il s’agit d’une mobilisation collective pour sensibiliser, éduquer et accompagner les populations vulnérables, afin d’endiguer ces comportements à risque et offrir des alternatives saines à une jeunesse en quête de repère. Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui jeûnent pour mieux gérer ces addictions ? Le jeûne du Ramadan représente une occasion unique pour les personnes souffrant d’ addictions de reprendre le contrôle sur leurs habitudes et leur dépendance. Cependant, pour beaucoup, l’accès à une thérapie ou à un suivi médical spécialisé n’est pas une option envisageable en raison du coût, du manque de ressources ou même d’un tabou social autour de la dépendance. Il est donc essentiel d’adopter une approche pragmatique et accessible, fondée sur des stratégies simples, inspirées des recommandations des psychiatres spécialisés en addictologie. Dès les premiers jours du jeûne, la gestion des symptômes du sevrage devient un défi majeur. Pour les fumeurs, la privation soudaine de nicotine peut entraîner de l’irritabilité, de l’anxiété et des maux de tête. Dans ce cas, boire beaucoup d’eau entre le ftour et le shour aide à éliminer plus rapidement les toxines et atténue les sensations de manque. Remplacer la cigarette par des bâtons de réglisse ou des graines (tournesol, courgette, etc.) permet d’occuper les mains et de tromper l’envie de fumer. Pratiquer des exercices de respiration profonde au moment des envies compulsives est également une technique efficace pour calmer le système nerveux. Pour ceux qui luttent contre la dépendance à l’alcool ou aux drogues, les premiers jours de jeûne peuvent être particulièrement difficiles. L’un des moyens les plus efficaces pour éviter une rechute est d’ éviter l’isolement. Passer du temps en famille ou dans un cadre spirituel aide à détourner l’attention des pensées obsessionnelles liées à la consommation. S’entourer de personnes bienveillantes et occuper son temps avec des activités apaisantes comme la prière, la lecture ou les promenades nocturnes après les Tarawih permet de mieux gérer les moments de faiblesse. Quel rôle joue le sommeil dans ce processus ? Le sommeil joue un rôle clé dans la gestion des addictions, car la fatigue et le stress amplifient les envies. Il est donc important d’avoir un sommeil de qualité en ajustant son rythme pendant le mois du Ramadan. Réduire la consommation de café et de thé après le ftour peut éviter les insomnies et privilégier une alimentation riche en protéines et en bons gras (dattes, amandes, avocat) aidant à stabiliser l’énergie et l’humeur tout au long de la journée. Un autre aspect important concerne la gestion des émotions. De nombreuses personnes dépendantes utilisent la substance comme un moyen de fuir le stress, l’anxiété ou la dépression. Pendant le Ramadan, l’état de privation met ces émotions à nu, rendant le sevrage encore plus difficile. Il est donc essentiel d’apprendre à canaliser ces émotions autrement. Écrire un journal quotidien, noter ses progrès et exprimer ses ressentis permet de mieux comprendre ses déclencheurs et de prendre du recul. L’invocation et la méditation peuvent également être des outils puissants pour apaiser l’esprit et renforcer la volonté. Comment observez-vous les comportements addictifs pendant le Ramadan par rapport au reste de l’année ? Pendant le Ramadan, les comportements addictifs subissent des modifications notables en raison des obligations du jeûne et des changements de routine quotidienne. Cette période de privation volontaire impose une interruption soudaine de la consommation de substances telles que la nicotine, la caféine, l’alcool ou d’autres drogues, ce qui peut entraîner des symptômes de sevrage chez les personnes dépendantes. Ces symptômes se manifestent souvent par de l’irritabilité, de l’anxiété, des maux de tête et une nervosité accumulée, particulièrement lors des premières journées de jeûne. Ce phénomène, communément appelé «tramdina», est caractérisé par une humeur maussade et une tendance à l’agressivité, surtout à l’approche de l’heure de la rupture du jeûne. Ce mal-être peut être attribué au manque de substances addictives, au déficit de sommeil et aux fluctuations de la glycémie dues aux changements alimentaires pendant le Ramadan. Paradoxalement, le Ramadan est également perçu par de nombreux Marocains comme une occasion propice pour initier un processus de sevrage. La dimension spirituelle et la discipline requise durant ce mois sacré offrent un cadre favorable pour réduire ou cesser la consommation de substances addictives. Cependant, sans un accompagnement approprié, cette période peut s’avérer difficile pour les personnes dépendantes, en raison des symptômes de sevrage et des défis psychologiques associés. Il est donc essentiel de reconnaître ces défis et de mettre en place des stratégies d’accompagnement adaptées. Cela peut inclure des campagnes de sensibilisation sur les effets du sevrage, la promotion de techniques de gestion du stress et l’encouragement à consulter des professionnels de santé pour un soutien approprié. Ainsi, le Ramadan peut devenir une période de renouveau et de dépassement des dépendances, contribuant à une durabilité de la santé publique. Peut-on considérer le Ramadan comme une période propice pour amorcer un sevrage ou réorienter ses habitudes de consommation ? Oui, le Ramadan peut être considéré comme une période propice pour amorcer un sevrage ou réorienter ses habitudes de consommation, notamment en raison des restrictions volontaires imposées par le jeûne et de la dimension spirituelle qui accompagne ce mois sacré. Pour de nombreuses personnes, cette période constitue une occasion unique de se détacher de leurs dépendances, qu’il s’agisse de substances psychoactives comme le tabac, l’alcool et le cannabis, ou d’ addictions comportementales telles que l’usage excessif des écrans ou les jeux d’argent. Le changement de rythme imposé par le jeûne joue un rôle majeur dans ce processus. L’interdiction de consommer du matin jusqu’au soir force naturellement une réduction de la fréquence d’usage, ce qui peut briser certaines habitudes ancrées. Pour les fumeurs, par exemple, le fait de devoir s’abstenir de fumer pendant de longues heures constitue déjà une étape vers le déconditionnement progressif. De même, pour les consommateurs d’ alcool, le mois de Ramadan peut être un déclencheur puissant pour une abstinence prolongée, voire définitive. Qu’en est-il du volet spirituel ? La spiritualité et la discipline du Ramadan offrent également un cadre psychologique et social favorable au service. L’engagement religieux et moral pousse de nombreuses personnes à revoir leur mode de vie et à chercher à adopter des comportements plus sains. Le soutien social, notamment au sein de la famille et de la communauté, joue un rôle essentiel, car il crée un environnement plus sécurisant, où les pressions sociales liées à la consommation de substances sont moins présentes. Cependant, il est important de souligner que le sevrage pendant le Ramadan peut être difficile, notamment pour les personnes ayant une forte dépendance. Les symptômes de sevrage (irritabilité, fatigue, anxiété, troubles du sommeil) peuvent être accentués par le manque de nourriture et d’hydratation pendant la journée. C’est pourquoi il est recommandé d’adopter une approche progressive, en se préparant mentalement et physiquement avant le début du jeûne, et en mettant en place des stratégies d’adaptation, comme la gestion du stress par la méditation, la prière et la respiration profonde. En conclusion, le Ramadan représente une opportunité précieuse pour amorcer un changement durable, à condition de l’aborder avec une réelle volonté de transformation, un soutien social adapté, et si possible, des outils de gestion du sevrage. Il peut ainsi être le point de départ vers une vie plus équilibrée, où les habitudes de consommation sont mieux maîtrisées et réorientées vers des pratiques plus saines.