« Le Royaume s’affirme comme un pays modèle en Afrique »
Dans cet entretien exclusif, Achraf Hassan Tarsim, responsable-pays Maroc du Groupe de la Banque africaine de développement, détaille les projets en cours dans le cadre d’un partenariat avec le Royaume dans différents domaines stratégiques avec des retombées pour le pays, la région et tout le continent.
Pourriez-vous détailler la récente opération déployée par la Banque africaine de développement pour soutenir les femmes et les jeunes dans l’agriculture ?
Achraf Hassan Tarsim : La Banque africaine de développement vient d’approuver un financement de 100 millions d’euros au Maroc pour déployer le Programme d’appui à l’agriculture solidaire et inclusive des femmes et des jeunes.
Grâce à cette nouvelle opération, nous les accompagnerons pas à pas pour construire une agriculture moderne, inclusive et résiliente, capable de révéler tout le potentiel de celles et ceux qui aspirent à innover et à créer de la valeur et de l’emploi sur leurs territoires.
Au cœur du dispositif figurent des mécanismes de financement et d’incitation adaptés, complétés par un renforcement des dispositifs d’accompagnement technique et financier destinés aux femmes et jeunes entrepreneurs en zones rurales. Le projet favorisera également l’essor d’infrastructures de production et de services agricoles, tout en consolidant la place des femmes dans les chaînes de valeur locales par le biais de montées en compétences et d’un accroissement de productivité.
Cet ensemble d’actions favorisera l’émergence de femmes entrepreneures dans les secteurs agricole, para-agricole, de la transformation et du numérique. Il soutiendra la nouvelle feuille de route pour l’emploi en favorisant l’entrepreneuriat rural.
La Banque africaine de développement a été active ces dernières semaines avec deux nouveaux autres projets dans les domaines de l’entrepreneuriat, de l’emploi, de la gouvernance économique et de la résilience climatique. Pourriez-vous nous en dire plus?
En plus du projet que je viens d’évoquer, deux autres programmes ont été lancés sur les trois dernières semaines portant notre engagement total à plus de 400 millions d’euros en faveur de l’entrepreneuriat, de la création d’emplois, du renforcement de la gouvernance économique et de la résilience climatique. Nous agissons, vous pouvez le constater, de manière intégrée.
Le premier programme, doté de 181,8 millions d’euros, vise à renforcer davantage la gouvernance économique et à accroître la résilience du pays face aux chocs externes, notamment climatiques, en modernisant les secteurs clés de l’eau et de l’énergie. Il soutient la compétitivité, favorise l’investissement privé et s’aligne sur le Nouveau modèle de développement marocain, en particulier à travers la promotion de l’investissement portée par la nouvelle Charte de l’investissement.
Nador West Med s’inscrit dans une approche de développement intégré de la région de l’Oriental, fondée sur la synergie entre infrastructures, logistique et industrie.
D’un montant de 119 millions d’euros, le second programme permettra de promouvoir la création d’emplois en développant l’entrepreneuriat et les très petites et moyennes entreprises. Il contribuera à instaurer une culture axée sur les résultats, notamment en matière d’impact sur l’emploi. Il a pour objectif de soutenir les dispositifs publics d’accompagnement des entrepreneurs, le financement d’un entrepreneuriat inclusif, le renforcement des mécanismes d’incitation destinés aux TPME et le soutien aux approches opérationnelles innovantes en faveur de l’emploi. Ce projet appuiera la nouvelle feuille de route pour l’emploi afin de favoriser l’insertion professionnelle et l’entrepreneuriat.
L’élaboration de ce programme est fondée notamment sur les résultats d’une étude intitulée « Profil entrepreneurial du Maroc », réalisée avec le ministère de l’économie et des finances du Maroc et la Banque africaine de développement, à travers son initiative de soutien à l’entrepreneuriat « EinA » (Entrepreneurship, Innovations and Advice for North Africa). Inédite sur le continent, elle s’appuie sur une enquête nationale relative au profil entrepreneurial, représentative du marché du travail sur le plan national et régional. Elle identifie les caractéristiques socio-démographiques et les capacités intrinsèques des entrepreneurs et détermine les principales contraintes et besoins en termes d’appui à la création et au développement de leurs entreprises.
Notre vision est celle d’une économie plus compétitive, plus résistante aux aléas climatiques et porteuse d’encore plus d’opportunités pour les femmes et les jeunes. Pour les années à venir, notre priorité réside dans l’accompagnement des grands chantiers de la Coupe du monde de football 2030, en particulier dans le secteur des transports, essentiel au succès d’un événement d’une envergure mondiale.
Avec Casablanca Finance City (CFC), vous avez co-organisé un évènement pour définir une nouvelle approche régionale pour accélérer la mise en place de la ZLECAf ?
En association avec Casablanca Finance City (CFC), nous avons animé une réflexion approfondie sur la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). À cette occasion, les participants ont souligné la nécessité d’engagements concrets pour renforcer la compétitivité du secteur privé, financer des infrastructures commerciales propices au développement des échanges et rendre opérationnelles les chaînes de valeur régionales.
Cet événement marque notre volonté de renforcer encore plus notre partenariat stratégique avec CFC, acteur clé capable de mobiliser des opérateurs au Maroc et en Afrique pour valoriser pleinement le potentiel de la ZLECAf. Nous sommes convaincus que ce sont les acteurs régionaux qui pourront établir les réseaux d’affaires aptes à catalyser les investissements, intégrer les chaînes régionales et dynamiser le commerce intra-africain.
Nous pensons enfin qu’il est temps d’avancer dans une perspective pragmatique d’intégration fondée sur un environnement propice à l’investissement et au commerce africains.
Que faites-vous concrètement à la Banque pour donner corps à l’intégration régionale? Un exemple de projet ?
L’intégration régionale est une de nos priorités majeures. Au Maroc comme sur l’ensemble du continent, nous la soutenons par des investissements stratégiques en infrastructures de transport, ports, chemins de fer, corridors économiques et des lignes de financement dédiées à la facilitation du commerce.
Prenons par exemple la construction du complexe industrialo-portuaire de Nador West Med (NWM) que nous finançons depuis 2015 afin de positionner le Maroc sur les grandes routes du commerce africain et mondial. Opérationnel dès 2026, ce hub maritime optimisera la chaîne logistique et les échanges entre l’Afrique du Nord et de l’Ouest, accélérant le déploiement de la ZLECAf.
Plus largement, NWM s’inscrit dans une approche de développement intégré de la région de l’Oriental, fondée sur la synergie entre infrastructures, logistique et industrie. En 2023, la Banque a ainsi financé l’autoroute Guercif-Nador pour relier le port au reste du pays. L’an dernier, l’institution a aussi appuyé la création de la zone industrielle de Betoya, catalyseur d’investissements et d’emplois dans la région.
Financé à hauteur de 565 millions de dollars, cet ensemble renforce l’attractivité du Maroc et du continent et soutient le développement de chaînes de valeur africaines tournées vers l’export.
Votre action se décline à partir d’une vision de développement partagée avec le Royaume? Quels en sont les priorités et les résultats ?
Notre partenariat repose sur une vision partagée, incarnée par la Stratégie-pays 2024-2029. Les opérations que je viens d’exposer s’inscrivent dans ce cadre de coopération bilatérale qui définit deux grandes priorités: d’un côté, la promotion d’une croissance inclusive via le développement des compétences, de l’employabilité et de l’entrepreneuriat ; de l’autre, la consolidation de la résilience face aux chocs extérieurs par le développement d’infrastructures durables.
Depuis l’entrée en vigueur de cette stratégie, des investissements significatifs ont été mobilisés pour moderniser les secteurs de l’énergie, des transports et de l’eau, renforçant ainsi l’attractivité du Maroc et accélérant sa diversification productive. Ces interventions multisectorielles ont permis d’accélérer l’industrialisation du pays et d’améliorer la connectivité territoriale grâce à l’investissement dans les réseaux routiers, ferroviaires, aériens et portuaires.
L’accès à l’eau et l’assainissement constituent également l’un des axes stratégiques de notre engagement au Maroc. Face à l’aggravation de la sécheresse liée au changement climatique, nous avons soutenu des opérations de grande ampleur, en particulier dans le domaine du dessalement. Aux côtés de l’Office chérifien des phosphates, par exemple, la Banque a appuyé la réalisation de trois unités modulaires de dessalement de l’eau de mer, d’une capacité annuelle totale de 110 millions de mètres cubes, entièrement alimentées par des énergies renouvelables. Ce dispositif innovant répondra aux besoins industriels des sites de Safi et El Jorf, tout en garantissant l’accès à près de 75 millions de mètres cubes d’eau potable pour 1,5 million d’habitants des villes de Safi et El Jadida.
À ce jour, notre appui au secteur de l’eau au Maroc dépasse 1,5 milliard d’euros. Grâce à cet investissement, des projets majeurs ont été mis en œuvre dans tout le pays — de Rabat-Casablanca à Marrakech, en passant par Guercif, Zagora, Al Hoceima et Tanger —, améliorant la performance des réseaux d’alimentation et de distribution dans une trentaine de villes, couvrant plus de 15 millions de citoyens.
Au-delà des infrastructures, notre action s’étend aux secteurs sociaux, avec un appui ciblé aux réformes engagées dans la santé, la protection sociale, l’éducation et la formation professionnelle. Notre objectif : renforcer l’employabilité en soutenant le développement des compétences et l’entrepreneuriat, en cohérence avec la feuille de route nationale pour l’emploi. Depuis 2021, notre contribution aux chantiers de la santé et à la protection sociale a atteint près de 700 millions de dollars. Ce soutien a notamment permis d’accompagner l’extension progressive de la couverture maladie, passée de 62 % de la population en 2017 à une généralisation complète aujourd’hui.
Je mettrais l’accent sur deux autres opérations structurantes. La première a permis d’élargir la couverture sociale aux travailleurs non-salariés, auto-entrepreneurs, très petites entreprises, start-up et coopératives. La seconde vise à renforcer l’accessibilité aux infrastructures de santé, en appui au programme national qui prévoit de doter chacune des 12 régions du Royaume d’un centre hospitalier universitaire, de centres hospitaliers régionaux et de structures de soins primaires répondant aux standards de qualité les plus élevés.
L’ensemble de ce portefeuille multisectoriel bénéficie d’un appui transversal à travers la production d’études et de rapports stratégiques.
Tout récemment, nous avons participé à la restitution d’un rapport visant à harmoniser les normes nationales de sauvegardes environnementales et sociales avec les standards internationaux. La production de ce document a été précédée d’un atelier de renforcement des capacités institutionnelles qui a permis de partager des connaissances, de capitaliser sur les retours d’expérience et de consolider les compétences institutionnelles nécessaires à une mise en œuvre plus efficace et durable des projets que nous finançons au Maroc.
Votre relation avec le Maroc, quels en sont les déterminants ?
Le partenariat entre le Royaume du Maroc et le Groupe de la Banque africaine de développement repose sur des liens profonds, construits dans la durée et fondés sur une vision commune du développement. Membre fondateur de notre institution en 1964, le Maroc s’est imposé comme l’un de nos partenaires les plus stratégiques, avec plus de 15 milliards d’euros mobilisés dans plus de 150 projets couvrant des domaines essentiels tels que la santé, l’éducation, l’accès à l’eau, l’énergie, l’agriculture et les infrastructures.
Portées par les vastes chantiers de développement initiés sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, ces relations d’exception ne cessent de se renforcer, générant des retombées concrètes pour le peuple marocain. Le Royaume s’affirme ainsi comme un pays modèle en Afrique, doté d’une économie stable et résiliente aux chocs externes.
Cette relation ne se limite pas à un cadre simplement bilatéral. En décembre 2022 à Tanger, l’organisation de la 16e reconstitution des ressources du Fonds africain de développement a permis de mobiliser un montant record de près de dix milliards de dollars. En 2023 et 2024, les Market Days de l’Africa Investment Forum, respectivement organisés à Marrakech et à Rabat, ont généré des dizaines de milliards de dollars en intérêts d’investissement. Autant d’évènements majeurs qui illustrent la volonté du Royaume d’être un acteur moteur de la transformation de l’Afrique.
En cette année marquant le 26ème anniversaire de l’intronisation de Sa Majesté, je tiens à saluer les avancées majeures réalisées sous Son règne, et à adresser mes vœux les plus sincères à Son Altesse Royale le Prince Héritier Moulay El Hassan, à Son Altesse Royale le Prince Moulay Rachid, ainsi qu’à l’ensemble des membres de la Famille Royale.
Le Groupe de la Banque africaine de développement renouvelle son attachement indéfectible à accompagner les efforts de développement et de progrès du Maroc, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
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