À l’occasion des 16 Jours d’Activisme contre la Violence Basée sur le Genre, une véritable vague de solidarité a déferlé, portée par des associations et des centres de protection des femmes. Cette campagne vise à redonner voix aux victimes et à trouver les clés pour briser le cycle de la violence. Fathiya Saïdi, Secrétaire générale de l’Union de l’Action Féministe, a partagé les lignes de force de cette mobilisation.
Comment décririez-vous les objectifs principaux de votre campagne de sensibilisation ? L’objectif de cette initiative est de lutter contre les violences faites aux femmes, en sensibilisant le grand public ainsi que les institutions et associations impliquées. Dans ce cadre, l’Union du Travail Féminin, le Réseau Annajda et l’Association AIDA ont lancé la campagne « La loi 103-13 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes : quelle protection ? », qui s’inscrit dans le projet « Unies et Unis pour l’Égalité », et qui vise à sensibiliser sur la violence sexiste, plaider pour une loi plus protectrice et promouvoir l’égalité. La conférence a également permis de faire le point sur les efforts du Maroc en matière de lutte contre la violence sexiste, avec des présentations sur les progrès réalisés, une étude sur la loi 103-13 et la diffusion de vidéos de sensibilisation. Quelles sont, selon vous, les failles principales de la loi 103- 13 que vous souhaitez souligner au cours de cette campagne ? Nous avons réalisé une étude intitulée « Cinq ans après la loi 103-13 », portant sur la loi relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Cette étude évalue l’impact de la loi à partir d’entretiens menés avec des représentant.e.s des institutions (tribunaux, hôpitaux, Sûreté Nationale), des associations gérant des centres d’écoute, des expert.e.s juridiques, ainsi que des femmes victimes de violence. Bien que la loi 103-13 ait été vue comme un progrès, des critiques persistent, notamment sur son efficacité réelle dans la protection des femmes. L’étude met en lumière plusieurs lacunes majeures. Il est urgent d’harmoniser la législation marocaine avec les standards internationaux en matière de droits des femmes. La loi manque de clarté, notamment en l’absence d’un préambule et d’une définition précise de certains concepts, ce qui compromet son application cohérente. De plus, les violences sexuelles dans le cadre conjugal ne sont toujours pas criminalisées et, dans de nombreux cas, les agresseurs bénéficient encore de circonstances atténuantes. Enfin, le suivi des mesures de protection reste difficile et insuffisant, et il manque des moyens pour imposer un traitement psychologique aux condamnés. Quelles révisions législatives devraient être envisagées au Maroc pour mieux combattre la violence basée sur le genre ? Le cadre légal est un élément clé dans la lutte contre les violences faites aux femmes (VFF), et il est impératif de mettre en place une loi spécifique, indépendante du Code Pénal. Une telle législation devrait couvrir tous les aspects de la problématique : la prévention, la protection des victimes, la sanction des agresseurs, et la prise en charge des survivantes. Cette loi doit être exhaustive et adaptée aux réalités des violences de genre, en garantissant une protection juridique renforcée et un soutien à long terme pour les victimes. En dehors de la répression, elle doit aussi intégrer des mesures préventives et éducatives pour éviter la reproduction de ces violences. Cependant, une législation seule ne suffit pas. Il est essentiel de former les acteurs impliqués dans la lutte contre les VFF, qu’il s’agisse des professionnels de la justice, des forces de l’ordre, des travailleurs sociaux, ou des personnels de santé. Cette formation doit inclure non seulement une connaissance des lois et des conventions internationales, mais aussi une approche genre, un respect des droits humains et des bonnes pratiques en matière de prise en charge des victimes. Une telle formation permettrait d’assurer une réponse adéquate et sensible aux besoins des victimes, tout en garantissant que les actions menées respectent les principes fondamentaux d’égalité et de dignité. Enfin, le changement des mentalités est crucial pour réduire les violences faites aux femmes. Les campagnes de sensibilisation, bien que nécessaires, ne suffisent pas à elles seules. L’implication active de l’État, des institutions publiques (justice, éducation, santé, police) et des médias est indispensable pour provoquer une véritable transformation des normes sociales. Cela inclut une remise en question des stéréotypes de genre et une promotion de l’égalité entre les sexes. Par ailleurs, la lutte contre les VFF doit devenir une priorité politique, avec la mise en place d’une politique globale soutenue par des moyens financiers et humains adéquats. Ce changement doit être soutenu par des actions concrètes, telles qu’une meilleure coordination des institutions et des ressources adaptées à la prise en charge des victimes. Quels sont vos projets à venir pour renforcer la lutte contre la violence basée sur le genre et promouvoir l’égalité ? Dans notre démarche pour lutter contre les violences faites aux femmes (VFF), nous prévoyons un plaidoyer impliquant les associations spécialisées dans ce domaine afin de promouvoir une réforme législative. Ces associations, fortes de leur expertise et de leur proximité avec les victimes, joueront un rôle clé dans la pression pour améliorer les lois existantes, en particulier pour renforcer la protection des victimes et la sanction des agresseurs. Ce plaidoyer sera accompagné de rencontres de concertation régulières avec les institutions clés telles que la Justice, la Santé et la Sûreté Nationale, pour favoriser une coordination efficace et une prise en charge intégrée des victimes. En parallèle, des campagnes de sensibilisation seront menées auprès d’un large public, notamment les jeunes dans les universités et les écoles, afin de changer les mentalités et déconstruire les stéréotypes de genre. L’implication des médias sera également essentielle pour diffuser largement ces messages et sensibiliser davantage la population. Ensemble, ces actions visent à provoquer un véritable changement dans la société et à faire pression pour une réforme législative qui protège mieux les femmes contre les violences.
2.254 femmes victimes de violence accueillies cette année
Concernant le rapport annuel 2024 des centres Annajda de l’UAF, Rim Bribri, secrétaire générale de la section de Kénitra du centre Annajda, a répondu à notre question : Dans notre Centre d’Aide pour Femmes Victimes de Violence (Annajda), nous nous engageons pleinement à accompagner les survivantes de violence dans leur parcours de reconstruction après avoir subi des agressions physiques, psychologiques ou autres formes de maltraitance. Chaque année, nous dressons un rapport détaillant les actions entreprises et les résultats obtenus. Ce bilan permet non seulement de mesurer l’impact de nos efforts, mais aussi de sensibiliser le grand public à la réalité des violences faites aux femmes et à l’importance de la solidarité et du soutien collectif. Cette année, parmi les faits marquants, nous avons accueilli 2.254 victimes de violence au sein de nos différents centres, un chiffre qui témoigne de l’ampleur du problème auquel nous nous attaquons. Parmi ces victimes, la majorité se situe dans la tranche d’âge de 18 à 34 ans, suivie par celles âgées de 35 à 50 ans. Il est également important de souligner que de nombreuses femmes ont subi non seulement des violences physiques, mais aussi des violences psychologiques, qui peuvent être tout aussi dévastatrices à long terme. Les femmes au foyer représentent la première catégorie de victimes, suivies par les femmes travaillant comme domestiques et celles sans emploi. Ces statistiques révèlent un élément clé : la dépendance économique des victimes à leur agresseur, ce qui les rend particulièrement vulnérables à toutes formes de maltraitance. En effet, l’absence d’autonomie financière contribue fortement à leur situation de soumission et d’isolement. Ces données soulignent l’importance cruciale de l’indépendance économique pour préserver la dignité des femmes et leur permettre de se libérer de la violence. Parmi les actions que nous mettons en place pour soutenir ces femmes, nous privilégions une approche globale qui comprend plusieurs axes essentiels : la sensibilisation, le suivi psychologique et social, ainsi que l’éducation des victimes et des générations futures. Nous menons des campagnes de sensibilisation dans les écoles, les entreprises, et au sein des communautés pour informer sur les différents types de violences, leurs conséquences, et les ressources disponibles pour les victimes. Ce travail de prévention est crucial pour briser les cycles de violence et créer une société plus consciente et plus responsable. En parallèle, nous assurons un suivi personnalisé pour chaque femme accueillie dans nos centres. Cela inclut un accompagnement psychologique pour l’aider à surmonter les traumatismes vécus, ainsi qu’un soutien juridique et administratif pour les aider à accéder à leurs droits et à se réinsérer dans la société. Nous proposons également des formations et des ateliers de développement personnel pour renforcer leur confiance en elles et leur donner les outils nécessaires pour se réapproprier leur vie et leur avenir. Enfin, nous mettons un accent particulier sur l’éducation des générations futures, car la lutte contre la violence faite aux femmes passe également par la sensibilisation des jeunes.