Président de l’Association Nationale des Fabricants de Farine et d’Huile de Poisson (ANAFAP), Hassan Sentissi El Idrissi, nous dévoile les perspectives de l’industrie marocaine de la farine et de l’huile de poisson, qui est bien plus qu’un moteur économique.
Le secteur de la farine et de l’huile de poisson est souvent critiqué pour sa pression sur les ressources marines. Que répondez-vous à ces accusations, et comment défendez-vous votre rôle dans la durabilité ? Ces critiques sont souvent le fruit d’une méconnaissance des réalités de notre secteur. Contrairement aux idées reçues, notre industrie valorise uniquement les poissons non usinables et les coproduits issus des activités de transformation – comme les têtes, arêtes et viscères – qui ne peuvent pas être destinés à la consommation humaine. En d’autres termes, nous transformons ce qui aurait été perdu, en produits à haute valeur ajoutée. Ce modèle place notre secteur au cœur de l’économie circulaire. Les données parlent d’elles-mêmes. Le Maroc, grâce à un cadre réglementaire solide et à une gestion rigoureuse des ressources halieutiques, a réussi à protéger ses stocks tout en permettant le développement d’une industrie compétitive. Le secteur de la farine et de l’huile de poisson génère 174 000 tonnes de farine et 45 000 tonnes d’huile de poisson par an, pour un chiffre d’affaires à l’export de 2,8 milliards de dirhams en 2022. En cas de transformation de l’Huile de poisson en Oméga 3 sous forme de gellule et de sirop, un complément alimentaire consommé par plus que la moitié des humains, ce qui constitue une niche extrêmement valorisante qui reste méconnue. Nous avons également renforcé nos engagements environnementaux en modernisant nos infrastructures. Par exemple, plusieurs unités ont investi dans des systèmes de traitement des rejets et des équipements réduisant leur empreinte carbone. En collaboration avec les autorités, nous œuvrons pour une gestion équilibrée qui protège nos ressources tout en soutenant l’économie. A l’instar de toutes les industries exportatrices nous nous sommes engagés de prendre la décarbonation à travers l’utilisation de l’énergie propre. Pouvez-vous détailler en quoi votre secteur est un exemple d’économie circulaire et pourquoi cette approche est cruciale pour l’avenir ? L’économie circulaire n’est pas une simple tendance pour nous, c’est notre ADN. Chaque maillon de notre chaîne de production est pensé pour maximiser la valorisation des ressources marines tout en réduisant les pertes. Nos unités transforment des coproduits en farine et huile de poisson, qui jouent un rôle clé dans plusieurs industries. L’aquaculture mondiale, qui consomme environ 57 % de la farine de poisson produite, en dépend largement pour nourrir ses poissons d’élevage, assurant ainsi leur croissance et leur qualité nutritionnelle. Parallèlement, les farines et huiles de poisson jouent un rôle essentiel dans d’autres secteurs clés. Il s’agit en l’occurence de l’alimentation animale, puisqu’elles sont utilisées dans les formulations pour l’aviculture et les ruminants, contribuant à améliorer leur performance et leur santé. Il y a également l’industrie pharmaceutique et nutraceutique. Les huiles riches en Oméga-3, extraites des poissons, sont largement employées pour leurs bienfaits sur la santé humaine, notamment dans la prévention des maladies cardiovasculaires et inflammatoires. Nous citons également les produits cosmétiques, puisque ces huiles entrent également dans la composition de produits haut de gamme, en raison de leurs propriétés hydratantes et régénérantes pour la peau. Ces applications multiples illustrent le potentiel stratégique des farines et huiles de poisson, non seulement pour l’aquaculture, mais aussi pour des industries à forte valeur ajoutée, offrant ainsi des opportunités considérables pour la transformation locale et l’innovation. Nous voyons également des opportunités d’élargir cette circularité vers de nouveaux secteurs, comme l’extraction de bioactifs marins pour l’industrie cosmétique ou les biotechnologies. Cela pourrait renforcer encore davantage notre contribution à l’économie bleue. La circularité est cruciale non seulement pour des raisons économiques, mais aussi pour des enjeux environnementaux. Réduire la pression sur les stocks naturels tout en augmentant la valeur ajoutée est la voie vers un avenir durable. Le Maroc est déjà un modèle dans ce domaine, et nous souhaitons amplifier cette dynamique à travers des initiatives régionales. Quels sont les défis actuels du secteur, et quelles stratégies mettez-vous en place pour les surmonter ? Notre secteur fait face à plusieurs défis, mais chaque défi est aussi une opportunité. Trop souvent, notre industrie est perçue comme gaspillant les ressources. Pour changer cette image, nous devons communiquer de manière plus proactive sur nos pratiques durables et notre rôle essentiel dans la valorisation des coproduits. Par ailleurs, la qualité et la régularité des matières premières influencent directement la compétitivité de nos produits. Nous travaillons avec les pêcheurs, les usines de transformation, les autorités sanitaires, pour optimiser les chaînes de collecte et garantir des standards élevés. Le dernier point concerne l’accès aux marchés internationaux. Bien que nous exportions principalement vers des l’UE comme la Turquie, la Chine ou l’Union Européenne, nous devons diversifier nos débouchés. Les marchés asiatiques, notamment le Vietnam et l’Indonésie, offrent un potentiel immense. Pour surmonter ces défis, nous avons adopté une stratégie en trois axes : modernisation des infrastructures, innovation dans les produits à haute valeur ajoutée en valorisant davantage l’Oméga 3 niche essentielle pour améliorer nos performances, et coopération régionale pour renforcer notre positionnement en Afrique. Quel rôle joue votre secteur dans le développement de l’aquaculture et quels sont vos objectifs dans ce domaine ? L’aquaculture, secteur en plein essor à l’échelle mondiale, représente une opportunité stratégique pour l’industrie nationale. Les farines et huiles de poisson produites au Maroc sont des composants essentiels dans l’alimentation des poissons d’élevage, assurant leur croissance rapide et leur qualité nutritionnelle. Cependant, ces produits sont majoritairement exportés, pour être ensuite réimportés sous forme de granulés, privant ainsi l’industrie locale d’une part significative de la chaîne de valeur. Actuellement, presque toutes nos exportations de farines et huiles de poisson sont destinées à l’aquaculture mondiale. Actuellement, presque toutes nos exportations de farines et huiles de poisson sont destinées à l’aquaculture mondiale. Au Maroc, cette filière reste encore embryonnaire et non industrialisée, malgré son potentiel important. En tant qu’industrie de soutien, nous jouons un rôle clé dans son développement, en garantissant un approvisionnement durable et compétitif, et en plaidant pour une transformation locale accrue, afin de maximiser les retombées économiques pour le pays. Nos objectifs dans ce domaine sont clairs : Renforcer notre capacité de production, avec une attention particulière à la durabilité et à l’efficacité ; accompagner les projets d’aquaculture nationaux, en fabricants localement les aliments aquacoles pour une meilleure intégration verticale et partager notre expertise avec nos partenaires africains, pour développer une aquaculture durable sur le continent et consolider l’intégration régionale. Comment voyez-vous l’avenir de l’industrie marocaine de la farine et de l’huile de poisson dans le contexte de l’économie bleue ? L’industrialisation de la farine serait un vecteur qui pourrait un maillon essentiel de valorisation. Je vois un avenir prometteur, mais exigeant. Nous devons continuer à innover et à investir pour rester compétitifs dans un marché mondial en évolution rapide. Nos priorités pour l’avenir concernent d’abord la diversification de nos produits et marchés. En développant des produits à haute valeur ajoutée, comme les compléments alimentaires Oméga-3, et en explorant de nouveaux marchés. Il y a également le renforcement de notre leadership régional, du fait que nous avons un rôle stratégique à jouer pour soutenir le développement des chaînes de valeur africaines, en partageant nos ressources et notre expertise. Mais notre avenir repose aussi sur la préservation des ressources marines et le bien-être des communautés qui en dépendent. L’industrie marocaine de la farine et de l’huile de poisson est bien plus qu’un moteur économique. C’est un pilier de la durabilité et un levier pour l’intégration régionale. Avec une stratégie claire et une ambition partagée, nous pouvons faire du Maroc un modèle dans l’économie bleue mondiale.