Interview avec l’ambassadeur de Pologne, Tomasz Orłowski : “Du point de vue polonais, le conflit du Sahara a trop duré”

Fraîchement nommé au Maroc, le nouvel ambassadeur polonais, Tomasz Orłowski, veut accélérer la coopération déjà fructueuse ente Rabat et Varsovie qu’il juge, pourtant, en deçà de son potentiel réel. Il nous présente sa vision. Entretien.   -Etes-vous satisfait des relations bilatérales telles qu’elles sont aujourd'hui ?   Il y a toujours eu une proximité entre le Maroc et la Pologne, et ce, depuis les années 60. C’est une proximité historique. Il y eut des coopérants polonais dès les années 60 qui ont marqué par leur présence le développement du Maroc indépendant. Ce passé et cette présence mutuelle ont créé une sympathie partagée. Politiquement parlant, les deux pays ont de tout temps su entretenir des relations cordiales et forgé un partenariat prometteur. Mais, je pense personnellement qu’elles sont en dessous du potentiel de coopération, surtout que les deux pays ont radicalement changé pendant les deux dernières décennies. Le Maroc s’e

Interview avec l’ambassadeur de Pologne, Tomasz Orłowski  : “Du point de vue polonais, le conflit du Sahara a trop duré”
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Fraîchement nommé au Maroc, le nouvel ambassadeur polonais, Tomasz Orłowski, veut accélérer la coopération déjà fructueuse ente Rabat et Varsovie qu’il juge, pourtant, en deçà de son potentiel réel. Il nous présente sa vision. Entretien.   -Etes-vous satisfait des relations bilatérales telles qu’elles sont aujourd'hui ?   Il y a toujours eu une proximité entre le Maroc et la Pologne, et ce, depuis les années 60. C’est une proximité historique. Il y eut des coopérants polonais dès les années 60 qui ont marqué par leur présence le développement du Maroc indépendant. Ce passé et cette présence mutuelle ont créé une sympathie partagée. Politiquement parlant, les deux pays ont de tout temps su entretenir des relations cordiales et forgé un partenariat prometteur. Mais, je pense personnellement qu’elles sont en dessous du potentiel de coopération, surtout que les deux pays ont radicalement changé pendant les deux dernières décennies. Le Maroc s’est remarquablement développé sur le plan économique avec une ouverture sans précédent sur l’Europe au moment où la Pologne est devenu un acteur relativement puissant au sein de l’Union européenne. Je pense qu’il est temps de renforcer le dialogue politique. Force est de constater que le dernier déplacement du Premier ministre polonais au Maroc remonte à il y a vingt ans. Il n’y a pas eu de visite d’un chef du gouvernement marocain en Pologne depuis 2010.   -Vous êtes fraîchement nommé au Maroc. Quels sont les objectifs de votre mandat ?   Vous savez, comme il est de coutume, avant ma prise de fonction, j’ai fait un tour de l’ensemble des ministères pour sonder leurs attentes et avoir une idée sur les projets en cours. J’ai conclu qu’il existe un intérêt majeur pour le Maroc, surtout en ce qui concerne la sécurité. Le Royaume est l’un des rares pôles de stabilité dans le voisinage européen et a la capacité d’exporter cette stabilité autour de lui. C’est un élément d’une importance capitale pour nous et fait du Royaume un partenaire naturel dans la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine. Il serait utile pour la Pologne de développer un dialogue régulier avec nos partenaires marocains sachant qu’on fait face à des défis communs, le Maroc étant devenu à la fois un pays d'accueil et de transit des flux provenant de l’Afrique subsaharienne. Concrètement, on peut penser à une coopération renforcée dans l’échange de renseignements, le Maroc dispose de services efficaces dont la compétence est internationalement reconnue. Par ailleurs, j’attache beaucoup d’importance au partenariat économique. Nous avons assisté à une dynamique sans précédent pendant les cinq dernières années. Le commerce a remarquablement fleuri après la pandémie. Il nous incombe de l’accompagner en facilitant l’accès à nos marchés respectifs. N'oublions pas également le volet culturel où il y a beaucoup de choses à faire, dont l’enseignement supérieur. Il y a énormément à nous offrir. Il existe de nombreux étudiants marocains en Pologne. Nous désirons renforcer la mobilité en augmentant le nombre d’étudiants au plus haut niveau.   Je pense qu’il est temps d’engager un débat entre le Maroc et la Pologne sur la question du Sahara. Je suis là pour ça.   -Concernant la question du Sahara, peut-on s'attendre à l'évolution de la position de la Pologne vu qu'une majorité de pays européens ont officiellement soutenu le plan d'autonomie?   La position de la Pologne est alignée sur les Résolutions des Nations Unies et notamment celles du Conseil de Sécurité. C’est une affaire particulière qu’il faut appréhender en tenant compte de ses spécificités. Ce conflit, du point de vue polonais, a trop duré. On s’approche du 50ème anniversaire. L’option référendaire semble montrer ses limites. Dans ces circonstances, d’autres éléments comme la stabilité ou la prospérité de la population doivent être pris en compte. Le plan d’autonomie s’impose dans le débat. Je pense qu’il est temps d’engager un débat entre le Maroc et la Pologne sur ce point. Je suis là pour ça.   -Aujourd'hui, ce sont les libéraux qui dirigent le gouvernement. Les conservateurs avaient montré leur intérêt pour le Maroc. Peut-on en dire autant du gouvernement de Donald Tusk ?   Soyez assurés que le gouvernement actuel veille à renforcer nos relations avec nos partenaires extra-européens, dont le Maroc. Vous n’êtes pas sans savoir que les Libéraux sont à priori plus enclins à l’ouverture que les conservateurs. Dans un contexte de disruption de la scène internationale, la Pologne cherche des partenaires fiables et durables au-delà de l’Europe. Le Maroc fait figure d’un partenaire crédible sur lequel nous pouvons compter pour faire face aux défis communs, ô combien nombreux.   Le Maroc est aujourd’hui le premier partenaire commercial de la Pologne en Afrique.   -Le commerce bilatéral a remarquablement augmenté entre 2019 et 2023 avec une hausse estimée à plus de 50%. Peut-on avoir les chiffres de 2024 ?   La dynamique semble tellement forte qu’on a l’impression qu’elle durera éternellement. Nous assistons à une croissance remarquable qu’il convient de mettre en valeur parce qu'on ne se rend pas compte des avancées. Le Maroc est aujourd’hui le premier partenaire commercial de la Pologne en Afrique. En gros, selon les derniers chiffres, nous sommes à 2,3 milliards d’euros d’échanges avec un excédent de 150 millions d’euros pour le Maroc. J’ai l’intime conviction que cet essor est appelé à durer plus longtemps vu l’intérêt croissant des exportateurs et des investisseurs polonais pour le marché marocain.   -Quelle est votre stratégie pour poursuivre cet essor commercial ? Je suis extrêmement émerveillé du niveau de diversification de l’économie marocaine qui repose désormais sur une industrie solide, notamment dans les secteurs automobile et aéronautique. Pour sa part, la Pologne a connu également un essor économique et industriel si important qu’on pense à internationaliser davantage nos exportations au- delà du marché européen. L’Europe est devenue trop petite par rapport au potentiel d’export. Le Maroc fait partie de cette stratégie.   -Mais, nous avions pu remarquer que plusieurs investisseurs polonais méconnaissent le marché marocain et les opportunités qui y existent. Qu’en pensez-vous ?   Je voudrais saisir cette occasion pour souligner que des investisseurs polonais sont déjà présents au Maroc, parmi lesquels figurent des entreprises de renom telles que Canpack, l’un des plus grands producteurs de canettes en aluminium en Afrique, avec une capacité de production annuelle au Maroc de 1,02 milliard de canettes, dont 75 % sont destinées à l’exportation. Tous les Marocains connaissent les produits laitiers de la société Jibal, dont le propriétaire est le groupe polonais Polmlek qui emploie à Béni Mellal près de 1.500 salariés et offre un travail indirect à plusieurs milliers de collaborateurs. D’autres entreprises polonaises envisagent également d’investir au Maroc, notamment dans les secteurs de l’automobile, des énergies renouvelables et de l’industrie métallurgique. Evidemment, le potentiel d’investissement des sociétés polonaises est plus grand et pour qu’il soit plus visible au Maroc, il faut encore plus d’efforts de pédagogie du côté marocain et du côté polonais. A mon avis, il faut travailler dans les deux sens. Pour ma part, il m’incombe personnellement de donner une meilleure visibilité aux investisseurs en Pologne. Il y a beaucoup de choses à faire. Il est temps de passer à une vitesse de croisière.   "Ce que je peux vous dire, c’est que nous n'épargnons aucun effort en coordination avec la diplomatie européenne pour trouver une solution à l'impasse actuelle".   -Les accords agricole et de pêche entre le Maroc et l’Union Européenne ont été invalidés par la Cour de Justice de l’Union Européenne. Le Maroc a appelé les Etats-membres à trouver eux-mêmes une solution. La Pologne est-elle favorable à leur renouvellement ?   Pour les Etats-membres de l’UE, il ne fait aucun doute que c’était des accords mutuellement bénéfiques parce qu’ils ont été négociés par la Commission Européenne au nom des 27. Cela dit, la Pologne est évidemment favorable à préserver ce partenariat économique avec le Maroc. Nous sommes confiants quant à l’issue des pourparlers. Maintenant, le problème est interinstitutionnel et concerne l’équilibre interne dans l’UE entre le Conseil, la Commission, le Parlement et la Cour de Justice. Mais, ce que je peux vous dire, c’est que nous n'épargnons aucun effort en coordination avec la diplomatie européenne pour trouver une solution à l'impasse actuelle.   -Les agriculteurs polonais appellent depuis des mois à plus de protection de l’UE contre les traités de libre-échange. Est-ce que les produits marocains sont concernés ?   Absolument pas. Nous ne sommes pas en Pologne dans la même situation que certains de vos voisins car notre agriculture n'est pas en concurrence avec la vôtre. Je dirai même qu’elles sont complémentaires. Pour ce qui est de la colère des agriculteurs à laquelle vous faites allusion, ça concerne davantage le trafic à peine légal de certaines denrées ukrainiennes, notamment le blé, qui pose sérieusement un souci de concurrence déloyale. En outre, cette colère dépasse ce débat. C’est un cri de colère contre le Green deal européen qui suscite une forte opposition partout en Europe.