Le Maroc s'apprête à se doter d’un Centre de recherche et formation franco- marocain dans des domaines de pointe, tels que l’IA, l’hydrogène et les énergies renouvelables, et les sciences humaines et sociales, entre autres. Ce projet d'envergure a fait l'objet d'un protocole d’accord entre un consortium français et un consortium marocain, réunissant l'Université Internationale de Rabat (UIR), l’Université Mohammed V et l’Université Ibn Tofail, dans le cadre de la visite du Président français au Maroc. Pour en savoir plus sur la portée de cette structure, nous avons interviewé le président de l'UIR, Noureddine Mouaddib.
Vous avez signé un protocole d'accord avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et les universités Sorbonne Université, Université de Lorraine et l’Université de Franche Comté pour la création d'un centre de recherche franco-marocain à vocation africaine. Comment a germé l’idée de cette structure ? Tout d'abord, je tiens à vous remercier de nous offrir l'opportunité de partager nos réflexions sur ce projet qui nous tient particulièrement à cœur. En effet, ce projet s'inscrit pleinement dans la continuité de la stratégie de l’Université Internationale de Rabat, qui met l'accent non seulement sur la formation, mais également sur la recherche et l'innovation. Quatre ans après la pose de la première pierre par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’Assiste, en 2010, l’Université Internationale de Rabat (UIR) avait lancé deux Laboratoires Internationaux Associés (LIA) en partenariat avec le CNRS. Le premier, nommé LIA DataNet, est dédié à l’intelligence artificielle, au big data et à la cybersécurité. Le second, LIA Atlas, se concentre sur les matériaux et les énergies renouvelables. Ces initiatives ont non seulement renforcé la recherche et l’innovation dans ces domaines clés, mais elles ont également permis de mettre en lumière les compétences et l’excellence des travaux menés par les chercheurs de l’UIR à l’échelle internationale. Il convient de souligner que la majorité de ces chercheurs – aujourd’hui plus d’une centaine – provient de la diaspora universitaire marocaine. Sans leur contribution, la création de ces deux LIA en partenariat avec le CNRS n’aurait pas été possible. Fort de ces 10 années de collaboration avec le CNRS et des universités françaises et marocaines partenaires, nous avons décidé de capitaliser sur ces acquis pour créer un Centre à portée internationale, en vue de relever de nouveaux défis, en ligne avec les ambitions du Maroc d’aujourd’hui. Il est à noter que le projet de création d’un tel Centre n’aurait pu avoir l’aval de nos partenaires, particulièrement le CNRS, sans qu’il n'y ait des résultats scientifiques probants, particulièrement des publications scientifiques indexées, des plates-formes de recherche et une masse critique de chercheurs reconnus. Ainsi, la signature de la convention de création du CRFM, en présence des deux Chefs d’État, constitue un témoignage fort de l’importance accordée par les deux pays à la coopération universitaire et à la recherche scientifique, qui, comme vous le savez, sont des leviers essentiels de développement et de création de valeur. À travers ce centre, nous espérons modestement contribuer à renforcer durablement les liens entre universitaires, chercheurs et étudiants, tout en dynamisant la coopération scientifique dans les domaines d’intérêt commun aux deux États. Qu'attendez-vous d'un niveau de coopération aussi élevé entre les deux pays ? Ce nouveau Centre de Recherche Franco-Marocain (CRFM) est conçu pour répondre à un double objectif : la recherche et la formation. Comme vous le savez, la compétition internationale repose de plus en plus sur la capacité à innover. Celui qui innove rapidement et efficacement acquiert un avantage décisif, qu’il soit économique, stratégique ou en termes de soft power. Dans cette optique, le Centre se concentrera sur des thématiques d’une grande pertinence actuelle, telles que l’intelligence artificielle, l’énergie, et l’hydrogène vert. À cela s’ajoute un focus particulier sur les sciences humaines, un domaine central pour le CRFM. Nous reconnaissons l’urgence de former une nouvelle génération de sociologues, anthropologues, historiens et géographes, capables d’analyser et d’anticiper les profondes mutations sociales qui touchent notre monde en général, et notre pays en particulier. Ainsi, notre ambition est de faire du CRFM une structure de recherche de standard international, fédérant nos partenaires universitaires marocains, français et américains. Chacun contribuera à une ou plusieurs thématiques de recherche du Centre, renforçant ainsi une coopération académique et scientifique à haute valeur ajoutée. Comment ce projet bénéficiera-t-il au Maroc ? Les bénéfices qu’offre le CRFM sont multiples et significatifs. Tout d’abord, il y a la formation d’excellence, qui constitue l’un des objectifs principaux du Centre, ainsi que la production scientifique et l’innovation à forte valeur ajoutée. Permettez-moi de préciser ces points. Formation d’excellence et employabilité Grâce à des formations de pointe élaborées en partenariat avec des institutions académiques de renom – dont certaines sont membres du CRFM – nous visons à offrir des cursus qui garantissent un fort taux d’employabilité. Par exemple, à l’Université Internationale de Rabat (UIR), nous enregistrons un taux d’employabilité de 90 %, grâce à des programmes novateurs et adaptés aux besoins du marché. Production scientifique, innovation et rayonnement international Le second bénéfice majeur réside dans la production scientifique et l’innovation, qui renforcent la visibilité internationale de notre pays. À titre d’exemple, le Maroc a progressé dans le Global Innovation Index, notamment grâce à la contribution significative de l’UIR en matière de brevets. Avec plus de 630 brevets déposés (selon l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle), l’UIR est la première université africaine dans ce domaine. Cette capacité d’innovation est un levier important pour attirer les entreprises internationales souhaitant externaliser ou délocaliser une partie de leur recherche, comme cela se fait en Inde ou dans d’autres pays. Je suis convaincue que le Maroc dispose des atouts nécessaires pour devenir une destination attractive pour ces entreprises, à condition d’investir davantage dans la formation, la recherche et l’innovation. Une plateforme pour l’économie du savoir et de la connaissance Enfin, le CRFM peut contribuer à faire du Maroc une véritable plateforme de l’économie du savoir. Comment ? En renforçant la visibilité de nos universités auprès des étudiants internationaux, un marché considérable qui regroupe plus de 6,5 millions d’étudiants dans le monde, dont 500 000 étudiants africains. Avec un coût moyen de scolarité annuel d’environ 20 000 euros par étudiant, ce flux représente un marché potentiel estimé à 130 milliards d’euros. Pour attirer ces étudiants, il est impératif de répondre à deux prérequis majeurs : - Accréditations internationales : Par exemple, l’UIR a obtenu l’accréditation américaine AACSB pour sa Business School, ainsi que l’accréditation française CTI et le label européen Eurace pour ses écoles d’ingénieurs (Aerospace, Automobile, Informatique, et Énergie). - Classements internationaux : Nous avons intégré le classement du Financial Times, où notre Business School occupe la 32ᵉ place parmi les 100 meilleures écoles de commerce au monde. Ces deux éléments – accréditations et classements – sont essentiels pour attirer les étudiants internationaux cherchant une mobilité totale ou partielle. Un centre tel que le CRFM peut jouer un rôle déterminant dans l’atteinte de ces objectifs. Un accélérateur pour les entreprises marocaines Enfin, le CRFM peut également devenir un accélérateur de croissance pour les entreprises marocaines en les aidant à développer leurs propres produits, tout en intégrant le cercle vertueux de la recherche, du développement et de l’innovation. En somme, le CRFM a le potentiel de devenir un pilier stratégique pour la formation, la recherche et l’innovation, tout en positionnant le Maroc comme un acteur clé de l’économie du savoir à l’échelle mondiale. Concrètement, comment ce centre va-il bénéficier aux jeunes générations ? Ce centre sera basé au Maroc et sera ouvert à l'ensemble des chercheurs, africains, étrangers ou marocains, des universités marocaines et internationales. La recherche sera également intégrée dans les premiers cycles; permettant aux étudiants de bénéficier des dernières avancées scientifiques dans leurs domaines d’étude. Les étudiants en master, ainsi que les doctorants, auront la possibilité de réaliser des stages de fin d’études ou des projets de recherche au sein des laboratoires du centre. De notre côté, nous souhaitons amplifier le partenariat avec les établissements internationaux, pour accueillir davantage de doctorants, non seulement de France, mais également des États-Unis. Ce projet a également une dimension africaine, dans la mesure où les thématiques de recherche seront orientées vers l'Afrique, en tenant compte de ses spécificités. Il s'inscrit dans la volonté de faire de cette nouvelle structure un véritable pont entre les universités africaines et la jeunesse du continent, conformément à la Vision Royale. Il contribuera ainsi à former une élite africaine au Maroc. Enfin, quels sont les défis de réalisation de ce projet d’envergure ? Le principal défi auquel nous devons faire face réside dans notre capacité à attirer les meilleurs chercheurs, doctorants et post-doctorants, tout en disposant des moyens financiers nécessaires pour les accueillir et accomplir la mission de formation et de recherche. Cela est d’autant plus crucial que les équipements scientifiques requis pour ces activités représentent un investissement considérable. Pour répondre à ce défi, le CRFM s’appuiera sur deux principales sources de financement : - Les ressources mutualisées des partenaires, qu’ils soient marocains, français ou internationaux. - Les financements levés auprès d’institutions publiques et privées, notamment à travers des contrats de recherche et la réponse à des appels d’offres nationaux et internationaux, tels que les programmes européens comme Horizon Europe. Je ne peux finir sur ce point de financement de la recherche, sans lancer un appel aux pouvoirs publics pour mettre en place d’une Agence Nationale de Recherche pour financer les projets de recherches par appels d’offres autour de thématiques prioritaires pour l’Etat. Une telle initiative permettrait de structurer le paysage de la recherche nationale, tout en offrant aux chercheurs les moyens nécessaires pour développer des projets ambitieux au service du progrès scientifique et du développement socio-économique du Maroc.