IX – Les causes antisémites du sionisme colonialiste

Sionisme, antisionisme et antisémitisme Mokhtar Homman Le sionisme juif naissant va fusionner avec le colonialisme européen de la fin du XIXe siècle et donc porter ses stigmates : discrimination, spoliation arbitraire et pillage des terres, oppression des populations autochtones. Comme il s’agit d’un colonialisme de peuplement pour des millions de Juifs, il devra faire encore... L’article IX – Les causes antisémites du sionisme colonialiste est apparu en premier sur ALBAYANE.

IX – Les causes antisémites du sionisme colonialiste
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Sionisme, antisionisme et antisémitisme Mokhtar Homman Le sionisme juif naissant va fusionner avec le colonialisme européen de la fin du XIXe siècle et donc porter ses stigmates : discrimination, spoliation arbitraire et pillage des terres, oppression des populations autochtones. Comme il s’agit d’un colonialisme de peuplement pour des millions de Juifs, il devra faire encore plus : chasser les populations autochtones. « Bien qu’il ait coïncidé avec une ère où l’antisémitisme était le plus virulent en Occident, le sionisme a aussi coïncidé avec une période sans précédent d’acquisition de territoires par l’Europe en Afrique et en Asie, et c’était en tant que partie de ce mouvement général d’acquisition et d’occupation que le sionisme, initialement, avait été lancé par Theodor Herzl. […] Il est important de rappeler qu’en se joignant à l’enthousiasme général de l’Occident pour l’acquisition de terres au-delà des mers, le sionisme ne s’est jamais présenté sans ambiguïté comme un mouvement de libération juif, mais plutôt comme un mouvement juif d’implantation coloniale en Orient » (1). Tel sera le sort pour les Palestiniens, chassés par des colons venus d’horizons lointains. Il le sera d’autant plus que les objectifs du sionisme vont se confondre avec ceux de l’impérialisme britannique au Proche-Orient (2), déjà au fait des richesses en hydrocarbures de la région dont sa flotte de guerre avait besoin, le sionisme devenant l’instrument mais aussi le manipulateur de l’impérialisme britannique. Son histoire politique est marquée d’abord par le Congrès de Sion à Bâle en 1897 dirigé par Theodor Herzl qui va fonder l’Organisation Sioniste et faire adopter le programme de Bâle visant « à établir pour le peuple juif une patrie en Palestine qui soit garantie par le droit public ». Cambon avant Balfour La convergence des objectifs des sionismes chrétien et juif et de l’impérialisme britannique se concrétise dans la déclaration de Lord Balfour, secrétaire aux Affaires Étrangères britannique, qui promet l’instauration d’un foyer national juif en Palestine le 2 Novembre 1917, en pleine guerre mondiale, en échange du soutien financier de la Banque Rothschild à l’effort de guerre britannique. Les 90% des habitants de Palestine de l’époque seront réduits au statut de « non juifs » dans cette déclaration. Notons que la France avait adopté une position similaire le 4 Juin 1917, soit cinq mois avant, dans une lettre de Jules Cambon, un haut diplomate français (ancien gouverneur d’Algérie, ancien ambassadeur à Washington), à un haut dirigeant du mouvement sioniste, Nahum Sokolow (3). Le 10 Février 1918, la France s’associe à la déclaration Balfour. Cette position commune sera consacrée par le Traité de Sèvres le 10 Août 1920. L’officier colonial britannique John Henry Patterson, qui forma et encadra « la Légion juive » pendant la 1ère guerre mondiale, résumera parfaitement cette symbiose entre l’impérialisme britannique et la nature du projet sioniste (4) : « la Palestine doit être colonisée par un peuple dont les intérêts correspondront à ceux de l’Angleterre et qui aspirera à l’union avec l’Empire britannique. Les Juifs sont le seul peuple qui remplisse ces conditions ». Ceci explicite le soutien impérialiste au sionisme : les Juifs doivent servir comme chair à canon. Le soutien de l’Empire ottoman à l’Allemagne pendant la 1ère guerre mondiale (5) lui coûta son démantèlement. Le Proche-Orient, province ottomane depuis des siècles, passe alors sous mandat franco-britannique le 25 Avril 1920 lors de la Conférence de la Société des Nations à San Remo (6). Les accords franco-britanniques Sykes-Picot (7) de Mai 1916, redessinant la carte politique de la région par la création de royaumes soumis aux intérêts de ces puissances européennes et aux frontières artificielles (8), vont entrer en application. La Palestine va passer sous mandat britannique. Parallèlement le mouvement sioniste saisit cette opportunité pour dynamiser l’émigration des Européens juifs vers la Palestine et procéder à l’acquisition massive de terres et de propriétés de gré (principalement auprès de Syriens, Libanais et Ottomans absents ou séparés de la Palestine par les nouvelles frontières) ou de force. Notez qu’à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, une partie des Palestiniens juifs, arabophones (9) et non sionistes, s’opposaient à cette immigration intrusive d’est-européens juifs, les Ashkénazes, si différents culturellement, voire religieusement, mais devenus majoritaires au sein de la population juive de Jérusalem et d’autres villes palestiniennes. « La société juive traditionnelle resta donc essentiellement religieuse, extérieurement semblable à la population arabe, et parlait sa langue. Les juifs ne voulaient en aucune façon modifier leur mode de vie urbain aux côtés des arabes à Jérusalem, ou dans les autres villes palestiniennes plus petites comme Safed, Tibériade et Hébron, […] ainsi que Jaffa et Gaza » (10). Le sionisme, qui brisa en Palestine la coexistence pacifique millénaire entre Juifs, Musulmans et Chrétiens, fut importé par l’immigration ashkénaze. « Certains dirigeants de la communauté juive locale […] s’élevèrent publiquement contre les projets sionistes. En 1920, ils signèrent une pétition antisioniste lancée par des Arabes palestiniens » (11). Les authentiques descendants des Hébreux, des Judéens de confession juive en Palestine voulaient continuer à vivre en paix avec leurs compatriotes musulmans et chrétiens, comme depuis des siècles. Leurs droits progressèrent vers l’égalité totale sous l’Empire ottoman en 1839. Les colons européens d’ascendance nullement ou très faiblement levantine, fidèles à l’idéologie colonisatrice européenne, rompirent cette harmonie et ouvrirent la boîte de Pandore. Notons aussi la faible adhésion des Juifs européens au sionisme juif, à l’émigration en Palestine, lui préférant logiquement l’émigration vers des pays occidentaux. À la fin du XIXe siècle les est-européens juifs partirent par centaines de milliers vers l’Europe de l’Ouest et deux millions vers les États-Unis, seulement 2 à 3% vers la Palestine (12). Face aux menaces antisémites des nazis (le parti nazi, fondé en 1920, prit le pouvoir électoralement en 1933) un grand nombre d’Allemands juifs vont quitter leur pays. C’est à ce moment-là, en 1924, que les États-Unis vont restreindre les visas d’immigration aux Allemands et est-européens juifs (13). Le programme hitlérien prévoyait initialement l’expulsion des Juifs d’Allemagne dans sa logique de « race aryenne » pure. Des lois discriminatoires contre les Juifs furent adoptées. Le mouvement sioniste saisit cette opportunité pour obtenir le transfert des Allemands juifs en Palestine. C’est ainsi qu’il y a eu un accord en Août 1933, après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Janvier de la même année, entre le nazisme et le sionisme dans une claire convergence d’intérêts. 53 000 Allemands juifs émigreront de force en Palestine (14), seule destination possible. Rejet des Juifs en Occident Lors de la Conférence d’Évian en Juillet 1938, les pays européens, américains et autres refusèrent d’accueillir les 650 000 Allemands et Autrichiens juifs qu’Hitler voulait expulser, excepté la République Dominicaine qui voulait « blanchir » sa population. Les États-Unis ne délivraient que 27 000 visas par an pour ces deux pays. Hitler avait proposé le départ des Juifs, qui venaient de perdre leur citoyenneté allemande ou autrichienne. Conférence d’Évian-les Bains, Juillet 1938 (source : Herodote.net). La résolution finale, proposée par les délégations américaine, britannique et française et approuvée à l’unanimité par les autres délégations, décida de ne rien faire. « La France organise la conférence qui se tient à Évian-les-Bains, du 6 au 15 juillet 1938, durant laquelle les délégués de vingt-neuf nations se révèlent incapables de mettre au point un plan de sauvetage qui aurait permis à six cent cinquante mille Juifs allemands et autrichiens, sans compter ceux des Sudètes, d’échapper à l’humiliation de l’errance et à une mort programmée » (15). À qui profite cette « incapacité » ? Ce fait historique majeur passera sous silence dans les médias occidentaux pro sionistes. La raison est simple : « le monde occidental porte la responsabilité de la destruction de six millions de femmes et d’hommes, dont un million d’enfants. Extermination perpétrée presque sous les yeux de tous, au cœur même de l’Europe chrétienne » (16). Qui ces médias accusent d’antisémitisme ? La Shoah et le transfert forcé des Européens juifs en Palestine L’extermination nazie des Juifs européens et des Tziganes (17) pendant la deuxième guerre mondiale par le nazisme avec la collaboration des régimes pro nazis en Europe, dont Vichy, va donner force à la revendication d’un foyer national juif. « La Shoah a fait basculer toute l’opinion publique mondiale en faveur d’Israël, laissant peu de place pour – ou ignorant totalement – les aspirations et la détresse des Palestiniens » (18). Face à la barbarie contre les Européens juifs, permise par « le laxisme teinté d’antisémitisme dont firent preuve des dirigeants » (19) occidentaux, la reconnaissance de ces crimes contre l’Humanité par des pouvoirs européens ne va pas entraîner l’indemnisation des victimes, le respect de leurs droits et le retour de leurs biens en Europe, dans leurs pays d’origine, mais par leur transfert hors d’Europe, cohérent avec le fond antisémite européen. « Depuis le début, il existe une confluence d’intérêts entre les antisémites, qui veulent se débarrasser des juifs, et les sionistes, qui veulent les concentrer tous sur un territoire » (20). Libération du camp d’Auschwitz par l’Armée Rouge le 27 janvier 1945 (source : RTS.ch) « Le 31 Août 1945, le président Truman, ému par la situation critique des survivants de l’Holocauste, avait fait pression sur le gouvernement anglais pour qu’il autorise l’immigration immédiate de 100 000 Juifs d’Europe en Palestine » (21). Tellement ému qu’il n’en voulait pas aux États-Unis, comme les dirigeants européens. Ce sera au peuple palestinien, qui n’a aucune responsabilité, comme tous les pays arabes, dans les souffrances des Européens juifs, de subir les conséquences des crimes commis en Europe par des Européens contre des Européens. « Les puissances occidentales, qui ont refusé d’accueillir les Juifs persécutés, qui n’ont pas réagi au génocide des Juifs pendant la seconde guerre mondiale et qui se sont ensuite débarrassé des survivants, portent une responsabilité majeure dans le drame qui s’est joué en Palestine » (22). Sionisme, colonialisme et antisémitisme En conclusion de cet article, nous pouvons constater que le sionisme est un projet colonialiste fabriqué à partir de l’antisémitisme occidental exprimé par quatre constituants majeurs. 1) Le sionisme chrétien qui poussait au regroupement des Juifs en Palestine pour accélérer la fin des temps, tout en faisant disparaître le Judaïsme. 2) Les persécutions et pogroms en Europe de l’Est, qui donneront naissance au projet sioniste juif, et le programme nazi, point culminants de l’antisémitisme européen et chrétien depuis des siècles. 3) Le refus des pays occidentaux d’accueillir les Juifs fuyant ces persécutions et menaces avant les camps de concentration nazis, leur inaction à la veille de l’extermination nazie. Ce refus était explicitement motivé par des considérations antisémites (loi des visas aux États-Unis, Australie dans la Conférence d’Évian). 4) Le refus occidental d’accueillir et de faire justice aux victimes du nazisme sur le sol européen et leur départ forcé vers la Palestine. Le sionisme, chrétien et juif, va exploiter cet antisémitisme pour implanter en Palestine une population européenne juive, de culture ashkénaze, victime des horreurs et qui majoritairement ne voulait pas s’installer chez les Arabes. Les Ashkénazes ne seront pas les seuls à être forcés. Les autres Juifs aussi. Mokhtar Homman, le 14 Février 2025 Demain : X- Le sionisme expansionniste Notes 1.Edward W. Said : La Question de Palestine, p. 137-138. 2.Afin de simplifier le discours, nous utilisons ici le terme Proche-Orient pour désigner l’aire géographique couvrant l’arc Turquie/Égypte et incluant l’Irak, l’ancien croissant fertile, l’Iran et la péninsule arabique. Selon les pays et l’époque les termes Proche-Orient et Moyen-Orient, tous les deux euro-centrés, couvrent ces zones. 3.Nahum Sokolow persuadera la France en Juillet 1919 de permettre l’activisme sioniste au Maroc. In Alma Rachel Heckman: “Radical Nationalists: Moroccan Jewish Communists 1925-1975”, p. 57. 4.Extrait du livre de John Henry Patterson With the Judæans in the Palestine Campaign, cité dans Jean-Pierre Filiu: « Les « parrains » britanniques de l’armée israélienne », Le Monde du 26 janvier 2025. 5.L’alliance entre l’Empire ottoman et l’Empire allemand en expansion s’était nouée sur les plans militaire, la modernisation de l’armée ottomane par l’Allemagne, économique (construction du chemin de fer de Bagdad) et financier via la Deutsche Bank. 6.Les colonies allemandes et les possessions de l’Empire ottoman vont être confiées à des puissances victorieuses par mandat de la Société des Nations le 28 Juin 1919. L’Empire ottoman va finir par être remplacé par la République turque dirigée par Mustafa Atatürk. 7.Mark Sykes était un militaire attaché au  War_Office pour les Affaires du Proche-Orient entre 1915 et 1916, spécialiste du Proche-Orient. Il a participé à la promotion de la Déclaration Balfour auprès du Cabinet britannique (source : Mark Sykes — Wikipédia). François-Georges Picot est un diplomate français, ancien consul à Beyrouth en 1914 et partisan du Liban chrétien. Attaché au Ministère des Affaires étrangères, il signe pour la France les accords Sykes-Picot (source : François Georges-Picot — Wikipédia). 8.James Barr : Une ligne dans le sable. 9.Amnon Cohen : Juifs et musulmans en Palestine et en Israël, p. 89. 10.Amnon Cohen : op. cit., p. 88. 11.Ella Shohat : Le sionisme du point de vue de ses victimes juives, p. 61. 12.Amnon Cohen : Juifs et musulmans en Palestine et en Israël, p. 88, Jean-Pierre Filiu : Comment la Palestine fut perdue, p. 45. 13.La loi d’immigration Johnson-Reed limitait l’immigration des asiatiques et des européens de l’Est et du Sud, dans une vision antisémite des défenseurs de cette loi. Johnson était influencé par l’idéologie du Ku Klux Klan (source :  Loi d’immigration Johnson-Reed de 1924 — Wikipédia). 14.Jean-Pierre Filiu : op. cit., p. 55. 15.Raphaël Delpard : La Conférence de la honte. Évian, juillet 1938, p. 9. 16.Raphaël Delpard : op. cit., p. 10. 17.Selon les estimations les plus fiables les deux tiers des Européens juifs ont été exterminés par les nazis, dont 90% dans certains pays, la proportion varie entre 20% et 50% pour les Tziganes (source : Wikipédia). 18.Ilan Pappé : La guerre de 1948 en Palestine, p. 350. 19.Raphaël Delpard : ibidem, p. 10. 20.Yakov M. Rabkin : « L’opposition juive au sionisme », p. 18. 21.Ilan Pappé : op. cit. , p. 27. 22.Pierre Khalfa : « Sionisme, Israël et judaïsme, entre mythes et réalités ». Bibliographie Barr, James : Une ligne dans le sable. Éditions Tempus, Paris, 2019. Cohen, Amnon : Juifs et musulmans en Palestine et en Israël. Éditions Tallandier, Paris, 2021. Delpard, Raphaël : La Conférence de la honte. Évian, juillet 1938. Michalon Éditeur, Paris, 2015. Filiu, Jean-Pierre : Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n’a pas gagné. Éditions Le Seuil, Paris, 2024. Heckman, Alma Rachel: “Radical Nationalists: Moroccan Jewish Communists 1925-1975”. UCLA Electronic Theses and Dissertations, 2015. Khalfa, Pierre : « Sionisme, Israël et judaïsme, entre mythes et réalités ». Les Possibles, n°38, hiver 2024 (Le Club de Mediapart, 1 Mars 2024). Pappé, Ilan : La guerre de 1948 en Palestine. La fabrique éditions, Collection 10-18, 2000. Rabkin, Yakov M. : « L’opposition juive au sionisme ». Entretien avec Pascal Boniface. La revue internationale et stratégique, n° 56, hiver 2004-2005, pp. 17-23. Saïd, Edward W. : La Question de Palestine. Éditions Actes Sud, Paris, 2010, nouvelle édition. Shohat, Ella : Le sionisme du point de vue de ses victimes juives. Les juifs orientaux en Israël. La fabrique éditions, Paris, 2006. L’article IX – Les causes antisémites du sionisme colonialiste est apparu en premier sur ALBAYANE.