Layla Triqui : Un autre regard sur le cinéma

Elle vient de signer l’un des films les plus aboutis de ces 15 dernières années au Maroc La productrice et réalisatrice marocaine Layla Triqui a réalisé un opus sous le titre très symbolique de «Carved By The Wind». Un tatouage par le vent qui place Layla Triqui, à qui l’on doit d’autres films de belle […]

Layla Triqui : Un autre regard sur le cinéma
   aujourdhui.ma
Elle vient de signer l’un des films les plus aboutis de ces 15 dernières années au Maroc La productrice et réalisatrice marocaine Layla Triqui a réalisé un opus sous le titre très symbolique de «Carved By The Wind». Un tatouage par le vent qui place Layla Triqui, à qui l’on doit d’autres films de belle facture, parmi les grandes figures du cinéma sérieux, avec un univers particulier et une vision artistique et esthétique singulières.   Ce que l’on attend en tant que public et en tant qu’amoureux du septième art, c’est que le réalisateur nous donne à voir un film sincère. Notre exigence, si nous devions en avoir une, est de passer deux heures dans une salle obscure et de nous dire à la fin qu’on n’a pas perdu notre temps. Au contraire, nous en avons gagné, puisque le film que nous venons de voir, nous a offert un univers à découvrir, une histoire à parcourir, des personnages crédibles et profonds, un réel décor, des dialogues justifiés, des silences appropriés, le tout dans un traitement particulier dont le point nodal est la logique, quand bien même le film traite de l’illogique. C’est exactement le sentiment et les sensations que nous offre le film signé par la réalisatrice marocaine Layla Triqui, sous le titre de «Washm Arri7», traduit en anglais par «Carved by the wind». Un film juste, sincère, traité avec intelligence, avec des dialogues subtils, un scénario bien dosé et sans fioritures et surtout un style, une manière de voir et de faire, qui caractérise le travail de Layla Triqui dont on connaît les grandes références cinématographiques, elle qui explore toujours les univers ramifiés d’auteurs comme Martin Scorsese, David Lynch, Abbas Kiarostami, Darren Aronofsky, James Gray ou encore un certain cinéma japonais que l’on doit à des figures comme Akira Kurosawa et d’autres. Dans le film de Layla Triqui, curieusement absent du dernier FIFM, la réalisatrice fait sienne cette formule si connue chez les aficionados du grand cinéma: «Le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde», avait coutume de répéter Jean-Luc Godard. Ce sont exactement ces vérités que la critique doit aller chercher au prix d’une longue spéléologie dans les séquences filmiques des uns et des autres pour y trouver quelque début de sens, à cette condition: ne jamais faire dire à un cinéaste ce qu’il n’a pas filmé ni à une scène ce qu’elle ne suggère pas en allant projeter des concepts tout faits et des jugements à l’emporte-pièce. Pourtant, et sans entrer dans les vides polémiques de faux-critiques, certains ont écrit sur « Washm Arri7» sans le voir ! C’est faire affront au cinéma et aux cinéastes que de prétendre savoir mieux qu’eux ce qu’ils ont mis dans leurs images comme propos, comme émotion, comme sentiments, comme non-dit, comme silence… À ce propos, Layla Triqui signe ici l’un des films les plus aboutis de ces quinze dernières années au Maroc. Un film sobre, découpé au scalpel, avec une véritable maîtrise de la mise en scène, du montage et du séquençage de son propos. De bout en bout, nous sommes face à un film qui naît dans les tripes et qui est livré avec poésie, traitant d’un sujet fort complexe et compliqué, avec une trame filmique aux multiples strates. «La vie est très, très compliquée; donc on devrait pouvoir faire des films tout aussi complexes», disait David Lynch, à juste titre. Des films complexes dans leur traitement, dans leur écriture, dans la manière de les filmer, dans leurs angles de vision et d’attaque, dans leurs silences, dans leurs dialogues, dans leurs caractères, dans leur pourquoi, dans leur comment. Parce qu’un film se doit de remuer la vie, d’aller la scruter dans ses recoins les plus lointains, d’aller illuminer ses zones d’ombre, en interrogeant le passé, le présent, les projections mentales, la capacité de cognition pour toucher du doigt ce qui sous-tend toute œuvre de cinéma digne de ce nom. C’est exactement ce qu’essaie de faire Layla Triqui dans son travail cinématographique. Son souci premier est de nous donner à voir une œuvre qui va de la vie vers la vie. Une œuvre qui puise en soi l’intime pour le partager avec l’autre, dans son intimité propre. Faire des films complexes dans ce sens que l’œuvre de création doit être délestée des lieux communs, du déjà-vu, de fioritures, de remplissages et autres redondances, comme on en voit souvent dans le paysage filmique marocaine, où la bêtise le dispute à la médiocrité dans ce qu’elle a de basique et de sournois, parce qu’elle nivelle par le bas. Une œuvre complexe est une œuvre de simplicité, qui va droit à l’essentiel, qui privilégie le peu ou trop plein, qui suggère et ne souligne jamais, qui dit sans montrer, qui perturbe, qui secoue, qui dérange, qui questionne, qui bouleverse, comme nous avons pu le vérifier de très près dans le film de Layla Triqui, qui a dû faire face à une certaine forme de « cabale » avant même que son film soit vu. Ce qui est très curieux ! Mais, en l’absence d’une critique de cinéma digne de ce nom, de nombreux plumitifs pensent qu’assembler des formules toutes faites peut donner corps à un texte critique crédible. Car, il faut savoir qu’écrire sur le cinéma requiert plusieurs règles élémentaires de base pour éviter de tomber dans les interprétations hâtives, pour ne pas recycler les mêmes poncifs puisés dans d’autres domaines de la critique, comme la littérature et les arts plastiques, comme c’est le cas chez la majorité de ceux qui affirment être des critiques de cinéma au Maroc, et dont la majorité ne fait que dans le commentaire mâtiné de quelques formules obscures pour faire profond, docte et pédant. Écrire sur le cinéma exige d’abord une grande et profonde connaissance des différents cinémas du monde : indien, japonais, russe, chinois, américain, allemand, britannique, italien, espagnol, sud-américain, africain, arabe, turc, iranien, français, etc. Car, il est impossible de prétendre écrire sur le cinéma en ignorant les différentes représentations de cet art dans chaque région du monde, dans chaque culture, dans chaque cinématographie. Dans ce sens, il faut avoir vu des milliers de bons films, réalisés par d’excellents cinéastes, lesquels sont porteurs d’une vision, d’une éthique artistique, d’une philosophie, d’un regard sur soi et sur le monde. Il faut avoir étudié toutes ces cinématographies, à travers les films, les auteurs, les textes analytiques des cinéastes eux-mêmes quand ils écrivent sur le métier de cinéaste comme c’est le cas de Ingmar Bergman, Satyajit Ray, Abbas Kiarostami, Martin Scorsese, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Ettore Scola, Wim Wenders, Akira Kurosawa, Andreï Tarkovski, Yilmaz Güney et tant d’autres grandes figures du cinéma mondial qui ont aussi donné une grande profondeur à la critique de cinéma en allant au-delà du visible pour faire parler l’invisible. C’est cela écrire sur le cinéma. Le reste du verbiage et des conversations de café, entre oisifs.