Point de vue
Par Jamal Eddine NAJI
Il y a près de 120 ans, le 29 mars 1907, notre territoire national fût violé à Oujda, depuis la frontière algérienne que franchirent alors allègrement les troupes coloniales du Général Hubert Lyautey, royaliste français frustré par la république des « droits de l’Homme et du citoyen » (Déclaration de1789). Pour le Général, qui allait gérer notre pays de 1912 à 1925 en tant que Résident Général du Protectorat imposé au Royaume Chérifien, cette expédition à Oujda n’était que le prolongement de sa mission d’occupant en chef en terre algérienne avalée par la France depuis 1830…Six mois plus tard, en Août, on le retrouvera aux commandes du bombardement et du massacre (plus de 3000 morts) de la petite ville d’alors sur la côte atlantique : Anfa ou Casablanca.
Pourquoi un tel rappel, quelque peu ringard au goût de certains, probablement ?
Pour l’évidente raison qu’en ces temps actuels, l’ère digitale est furieusement à l’œuvre dans le re-façonnement du monde, de ses peuples, territoires, identités et cultures. Un nouveau viol du Maroc actuel est en marche. Il ne concernera plus nos territoires, ni ceux de l’Est et du Sud-Est, dépecés et subtilisés par les généraux de l’Algérie Française, depuis Lyautey jusqu’à De Gaulle… Ni notre extrême sud que nous envient les généraux d’Alger qui rêvent même de connaître le « mal de mer » sur notre côte atlantique… Non, le viol de notre pays risque cette fois-ci d’être encore plus existentiel pour nous et plus destructeur, capable de désintégrer tout ce qui nous compose comme peuple depuis des siècles. Un sort qui menace également d’autres peuples aussi vulnérables que nous digitalement, cybernétiquement, sans structures solides (économiques et bien d’autres), sans cerveaux performants et anticipateurs, en avance sur leur temps pour affronter les nouvelles troupes du colonialisme que sont : les Data, les données, les algorithmes, les IA et leurs frères et sœurs, avatars et robots à venir et déjà là en fait… Ce colonialisme est mobilisé jour et nuit pour préparer ses plans de bataille, sans tambours ni trompettes. Ses têtes de pont, espions, éclaireurs, pisteurs, commandos, artilleurs, armuriers, canonniers, aviateurs chasseurs, chars, missiles… sont nous-mêmes !
Que faire alors ?
Nous sommes ses fournisseurs en armes de destruction massive, consciemment comme à notre insu ou par simple naïveté d’« info-pauvres ». L’arsenal voué à notre destruction massive et que nous offrons à ce nouvel occupant (venant de multiples horizons publics et privés, États et GAFAM) est tout simplement la somme de nos propres données, les individuelles comme les collectives, les économiques comme les culturelles, les publiques comme les secrètes ou sensibles (pensez au tout récent « SignalGate », dernière bourde de la bande à Trump !).
Bref, ce colonialisme, par nos propres données, cogéré donc par nous-mêmes (!) ne trouvera pas face à lui, à date, comme celui d’il y a 120 ans, un mouvement national de libération, usant de violence nécessaire, comme de diplomatie conquérante et persévérante, de manifestations comme d’attentats, d’émeutes comme de grèves, de guérillas comme de boycotts généralisés… En face de ce nouvel occupant (hydre à plusieurs têtes, manœuvrant depuis les quatre points cardinaux, d’Asie, d’Amérique, d’Europe…), ne se dresseront ni résistants armés, ni combattants de tribus du Rif, du Haut ou du Moyen Atlas, ni combattants de l’armée de libération du Sud… Ni, non plus, des politiciens chevronnés, rompus au lobbying conséquent dans les chancelleries et les instances internationales, onusiennes en tête !
Nous voici dans un nouveau monde, face à un nouveau colonialisme, et nous sommes en panne de nouveaux combattants et de nouvelles formes de lutte et de défense…
Le réel derrière cette menace du monde virtuel est à regarder en face par nos enfants et nos petits enfants pour l’avenir de ce pays. Un pays encore en « transition numérique » comme le reconnait officiellement notre État en dédiant un Maroquin à cet état à la traîne. Quel sursaut pour l’État, la Nation et surtout sa jeunesse pour qu’au futur ce pays ne subisse pas un viol plus violent, voire fatidique, que celui du 29 mars 1907 vécu par nos aïeux du siècle dernier ?
Tel est le défi générationnel pour notre Maroc encore « info-pauvre » ou « a-numérique ». Car : « De la Rome antique à la Grande Bretagne du XIXème siècle, les empires devaient autrefois envoyer des soldats conquérir pays et territoires. Les nouveaux empires du XXIème siècle pourraient conquérir un pays sans dépêcher de soldats, mais en s’emparant de données. Un petit nombre d’entreprises ou de gouvernements qui moissonnent les informations du monde pourraient transformer le reste du globe en colonies numériques ». (in « Homo deus, une brève histoire du futur ». par Yuval Noah Harari. Albin Michel.2015.460 pages. Préface 2022.page 11.).
Légende : Soldats français à Oujda en avril 1907. / Ph. Mémoires du patrimoine marocain.
L’article Le colonialisme nous revient…par nos données ! est apparu en premier sur ALBAYANE.