Au Mali, nous partageons un rêve étrange, presque obsessionnel : celui de devenir président de la République. Du simple ouvrier au cadre supérieur, chacun se voit un jour à Koulouba. Dans chaque famille, on dit à l’enfant : « Tu seras président », rarement : « Tu seras un bon enseignant, un chef de village respecté, ou un citoyen modèle. »
Ce rêve national, hélas, n’est souvent ni nourri par une vision de service public ni par une expérience concrète de gestion ou de proximité. Il est porté par la quête de pouvoir, le prestige social, et parfois par une forme de revanche personnelle. Dans ces conditions, organiser des élections sans refondation profonde revient à jouer avec le feu : la tension monte, la méfiance s’installe, et le cycle de l’instabilité menace de recommencer.
Plus inquiétant encore, cette ambition du sommet s’est aussi installée dans l’armée. L’histoire récente a montré que dans notre pays, porter l’uniforme et saisir une opportunité peut suffire à accéder au pouvoir suprême. Le message envoyé à une partie de la troupe est clair : « Vous êtes présidentiables, vous aussi. »
Ce climat nourrit un risque réel : celui de nouveaux coups d’État, chaque fois qu’un pouvoir ne satisfait pas, chaque fois que les intérêts de certains ne sont pas servis, chaque fois qu’un militaire plus audacieux estime que son heure est venue.
Face à cela, il est impératif de reconstruire notre culture politique. Cela commence par la revalorisation des fonctions locales et intermédiaires : chef de quartier, conseiller municipal, préfet, maire, député. Ce sont ces postes, souvent négligés, qui constituent les fondations de notre démocratie.
Ensuite, nous devons changer le récit que nous transmettons à nos enfants. Il ne suffit pas de leur souhaiter de devenir président. Il faut leur apprendre à servir, à bâtir, à contribuer. Le Mali n’a pas besoin de 20 millions de présidents. Il a besoin de 20 millions de bâtisseurs, de citoyens engagés dans leurs quartiers, leurs communes, leurs régions.
Enfin, rappelons une vérité essentielle : le pouvoir n’est pas un privilège, c’est une charge. Une responsabilité. Un engagement au service du bien commun, et non de soi-même.
Tant que cette compréhension ne sera pas partagée, chaque élection restera une menace potentielle. Chaque transition, un terrain glissant. Chaque mandat, une cible.
Il est temps de sortir de l’obsession présidentielle et de reconstruire, ensemble, les fondations de notre nation.
Sadou Abidine DialloIngénieur des constructions civilesSpécialiste en topographie et en foncier public