Le Monde Diplomatique (décembre 2024)

Dans son éditorial, Benoît Bréville évoque les réactions des dirigeants européens face à la réélection de Donald Trump : Peut-on bomber le torse tout en dansant du ventre ? Sur le plan artistique, la chose est déconseillée : la rigidité du buste nuisant à la souplesse du bassin, il en ressort un mouvement disgracieux, qui […]

Le Monde Diplomatique (décembre 2024)
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Dans son éditorial, Benoît Bréville évoque les réactions des dirigeants européens face à la réélection de Donald Trump : Peut-on bomber le torse tout en dansant du ventre ? Sur le plan artistique, la chose est déconseillée : la rigidité du buste nuisant à la souplesse du bassin, il en ressort un mouvement disgracieux, qui expose son exécutant à un certain ridicule. Et le résultat n’est guère plus probant sur le plan diplomatique. Les dirigeants européens, qui ont accueilli l’élection de M. Donald Trump avec un mélange de fanfaronnade et d’allégeance, ne tarderont pas à le constater. La victoire du candidat républicain a semé la panique dans les chancelleries du Vieux Continent, où chacun redoute qu’il applique son programme : arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine, fin du parapluie sécuritaire américain, remise en cause des alliances traditionnelles, protectionnisme agressif… Des mesures qui bouleverseraient l’ordre international mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale et auxquelles l’Union européenne n’est pas préparée. Qu’à cela ne tienne, de Paris à Bruxelles, les responsables politiques roulent des mécaniques. « Nous avons démontré que l’Europe pouvait prendre son destin en main quand elle était unie », se targue la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, tandis que M. Emmanuel Macron annonce l’avènement d’« une Europe plus unie, plus forte et plus souveraine », dotée d’une « autonomie stratégique ». De belles paroles auxquelles personne ne croit plus vraiment. Serge Halimi, pour sa part, parle de la “ revanche ” de Donald Trump : M. Donald Trump ne revient pas à la Maison Blanche tel un homme seul débarquant sur la scène politique sans trop savoir où il va. Huit ans après sa première victoire, sa base électorale est plus large, sa majorité parlementaire plus assurée. Et il s’est entouré d’une équipe de fidèles qui ne chercheront pas à endiguer ses élans, y compris diplomatiques. En 2008, l’élection de M. Barack Obama à la Maison Blanche devait annoncer l’avènement d’une nouvelle Amérique, plus diverse, plus intelligente, plus juste. On jugea alors que cette victoire démocrate ne constituait pas une rupture idéologique ou politique – le premier président afro-américain de l’histoire de son pays étant un intellectuel qui détestait les affrontements – mais l’aboutissement d’une métamorphose démographique et sociologique. D’une part, l’arrivée de nouveaux migrants n’avait cessé de diluer la part d’électeurs blancs, majoritairement républicains. D’autre part et simultanément, de nouvelles générations plus instruites, donc plus éclairées, avaient remplacé les anciennes, attachées à des traditions dépassées. Peut-on trouver un sens au travai, demande Danièle Linhart : Se lever, avaler un café, s’engouffrer dans une voiture, un métro ou un train. Embaucher, faire sa journée, rentrer, recommencer… Pourquoi ? Pour qui ? Et si le désarroi que suscite le travail traduisait en réalité un espoir ? Celui d’une activité humaine émancipatrice. Grégory Rzepski poursuit dans la même veine : “ Tout ce qui nous sépare ” : En être privé, une malédiction ; en avoir, trop souvent un supplice quand le travail donne le sentiment de se noyer dans un océan de tâches abrutissantes, surnuméraires, pénibles, dépourvues de sens. Depuis les années 1980, les gouvernants français contribuent à faire du salariat une expérience de l’injustice. Et consolident cette alternative : ça ou rien. Cet automne, dans l’automobile, la chimie ou la grande distribution, les annonces de réduction d’effectifs se succèdent. Le ministre de l’Industrie Marc Ferracci redoute des disparitions de postes par dizaines de milliers. La secrétaire générale de la Confédération générale du travail (CGT) Sophie Binet table, elle, sur 150 000 suppressions. Pourtant, malgré la conjoncture européenne en berne et l’échec patent de sa politique, le gouvernement accélère : le temps de travail devrait augmenter ; le nombre d’agents, diminuer dans plusieurs services publics – dont celui de l’emploi. Au Parlement, une majorité très relative défend, encore et toujours, les allégements de cotisations sociales. Cette mesure inefficace – qui consiste à dispenser partiellement les employeurs de leur obligation de payer les salariés puis de refacturer l’exonération à l’État – a coûté 80 milliards d’euros aux finances publiques en 2023, c’est-à-dire au contribuable Pour François Bégaudeau (“ Corps prolétaire ”), Ne rien méconnaître de la réalité sociale que décrit un film implique-t-il qu’il faille s’en détourner ? Sauf à ignorer le rôle politique de la mise en chair du savoir, non. Comme le suggère le visionnage de « L’Histoire de Souleymane ». Anne Jourdain croit en la foi des reconvertis du travail : « Échapper au salariat – qui épuise, abrutit, ennuie – en créant sa propre activité ? L’idée séduit, notamment chez les cadres, dont une partie se reconvertissent… dans la « reconversion professionnelle ». Un marché porteur, mais fragile. « Retrouvez du sens au travail », « (Re)donnez du sens à votre vie pro », « Tournez-vous vers un job qui fait sens pour vous »… Après la pandémie de Covid-19, alors que sévit une « grande démission » et tandis que la critique des bullshit jobs (« boulots à la con ») se banalise, l’offre foisonne à destination des salariés en questionnement. Toujours plus d’entreprises proposent d’accompagner les transitions ou les reconversions professionnelles de cadres qui n’y croient plus, s’ennuient, s’épuisent ou désespèrent de continuer à gravir les échelons de la hiérarchie. Pour les aider à trouver le « job de leurs rêves », la gamme de services comporte notamment du coaching – de 1 500 à 4 000 euros la dizaine de séances pour effectuer un travail sur soi. Paolo, Valenti écoute “ Le silence des usines ” : Une usine ferme, les ouvriers manifestent, l’État dit son impuissance. Les larmes coulent et, bientôt, la poussière s’accumule. « Ainsi va la vie », expliquent les médias, toujours disposés à taire la nature politique des choix du pouvoir. Comme celui de saper le travail et de briser les bastions ouvriers du Nord-Ouest italien, par exemple. Hélène Richard revient sur “ l’inégalité hommes-femmes ” : En 1957, le traité de Rome posait les bases d’une conception élargie de l’égalité salariale. Levier majeur pour les salaires féminins, ce principe est combattu par le patronat. Pour les syndicats, la bataille se mène alors calculette à la main. » Et Alexis Moreau sur les “ Marchands de précarité ” : Sous perfusion d’argent public, les multimillionnaires du travail temporaire prospèrent, avec un recours aux intérimaires qui n’a cessé de progresser depuis quarante ans. En interne comme dans la presse, la communication du secteur recourt souvent au registre de la saga familiale : à quelques aventuriers partis de rien, les fleurons de l’intérim reconnaissants. M. Roland Gomez, fondateur de Proman (4,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023), a souvent raconté son enfance en Provence, la bourlingue, sa première agence, en 1990, jusqu’au relais passé à Roland junior, en 2007. M. Samuel Tual, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef), dirige, lui, Actual – 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires –, créé par son père, Gérard, ancien marchand de caravanes. « Le travail temporaire touche deux axes de la vie, philosophait ce patriarche dans Nouvel Ouest en juin 2016. D’un côté, vous avez l’humain, un homme qui cherche du travail. De l’autre, vous avez le monde économique, qui veut combler ses besoins. » Les mettre en rapport relèverait de la vocation familiale. Alexia Eychenne dénonce les “ Impunités patronales ” : La France est le deuxième pays européen enregistrant le plus grand nombre d’accidents du travail mortels. De tels chiffres ne sont peut-être pas sans rapport avec la mansuétude qui caractérise le système judiciaire dès lors que des patrons sont assis sur le banc des accusés. Pour Vincent Sizaire, le gouvernement des juges est plus un mythe qu’une réalité : « Profondément choquant », a réagi l’ex-ministre de l’intérieur Gérald Darmanin à l’inéligibilité récemment requise contre Mme Marine Le Pen. « Chacun doit rester à sa place pour éviter un “gouvernement des juges” », déclarait-il déjà après que le Conseil constitutionnel eut partiellement censuré la loi Immigration. Cette rhétorique hostile aux magistrats est récurrente en politique. À quoi renvoie-t-elle ? Pour Maïlys Khider, le riz vietnamien est menacé : Sel, montée des eaux, pollution… Au Vietnam, le « delta des neuf dragons », par lequel le Mékong se jette dans la mer de Chine méridionale, pourrait disparaître avant 2100. Avec lui, c’est un pan entier de l’économie de la République socialiste qui se trouve menacé : la riziculture, dont dépendent également de nombreux pays africains pour leur approvisionnement en céréales bon marché. En Géorgie et en Moldavie, selon David Teurtrie, le rêve européen divise : Sur fond de guerre chez leur voisin ukrainien, la Géorgie et la Moldavie sont sorties fin octobre d’un cycle électoral sous haute tension. Le conflit aurait dû conduire les populations de ces anciennes républiques soviétiques, partiellement occupées par des troupes russes, à se tourner massivement vers les forces politiques les plus hostiles à Moscou. Ce ne fut pas le cas. Comment expliquer ce paradoxe ? À Chișinău, la Moldavie est en train d’opérer la “ grande bascule énergétique ” : La Moldavie a entamé une diversification de ses approvisionnements énergétiques, une rupture avec le géant gazier russe dont elle était totalement dépendante avant l’invasion de l’Ukraine. Mais la refonte des routes d’acheminement du gaz et de l’électricité, tout comme leur achat sur un marché concurrentiel, alourdit la facture. Fais-moi mal, Volodymyr !, supp^lie Pierre Rimbert : En Allemagne, l’art de battre sa coulpe oppose deux écoles. L’une, contemporaine, milite pour sous-traiter la culpabilité historique du génocide des Juifs par les nazis aux immigrés musulmans qui, contrairement aux Allemands, n’auraient pas développé des aptitudes morales exceptionnelles à l’issue d’un long travail de mémoire. Dans un pays où les partis de gouvernement acceptent sans ciller la destruction de Gaza par Israël, le Parlement a voté le 7 novembre dernier une résolution intitulée « Plus jamais ça, c’est maintenant » qui dénonce l’« ampleur effrayante de l’antisémitisme lié à l’immigration en provenance des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, où l’antisémitisme et l’hostilité à Israël sont répandus ». Seule l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) s’y est opposée. L’autre école des batteurs de coulpe enseigne le style plus classique de l’autoflagellation. Son dernier chef-d’œuvre s’expose dans les journaux à propos du sabotage des gazoducs Nord Stream fin septembre 2022. Lorsqu’elle publie le 15 novembre dernier un entretien avec M. Roman Tscherwinskyj, coordinateur présumé de l’attentat, la Frankfurter Allgemeine Zeitung dresse le portrait d’un sympathique humaniste. « “Pour l’ensemble du monde civilisé, ce fut une bonne chose” », titre le quotidien, qui aurait sans doute montré moins d’allant si un commando Greta Thunberg avait détruit à l’explosif les centrales à charbon qui génèrent un quart de l’électricité outre-Rhin. Le mandat de Donald Trump sera-t-il « puissant et sans précédent » (Jérôme Karabel) ? La réélection de M. Donald Trump avec, cette fois, une avance en voix sur son adversaire traduit d’importants glissements électoraux vers le Parti républicain au sein des catégories populaires, mais aussi chez les jeunes et les Hispaniques. L’écart entre les deux candidats a beau être inférieur à 2 % du corps électoral, les démocrates ne parviennent pas à se défaire d’une image de parti élitiste, urbain et surdiplômé. Pour Anne Vigna, au Mexique, le bilan du président populaire est contrasté : Le 1er octobre 2024, M. Andrés Manuel López Obrador a quitté le pouvoir. L’initiateur de la « quatrième transformation » est devenu l’une des figures les plus populaires de l’histoire de son pays. Certaines de ses politiques ont toutefois déçu, et font partie de l’héritage transmis à la nouvelle présidente Claudia Sheinbaum, dont la feuille de route – le changement dans la continuité – s’avère délicate. Tandis que pour Hélène Combes, il s’agit de « construire une victoire ” : La nouvelle présidente du Mexique ne doit pas seulement son élection à la popularité historique de son prédécesseur. Son succès se comprend aussi par le long travail de proximité réalisé par la gauche à Mexico auprès, ou au sein, des associations revendicatives. Selon Benjamin Fernandez, le Kenya se retrouve dans le bourbier haïtien : Le 20 novembre, la recrudescence des violences perpétrées par les gangs et les forces de l’ordre contraint Médecins sans frontières (MSF) à suspendre ses activités dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. À peine arrivée en Haïti, la Mission multinationale d’appui à la sécurité, pilotée par le Kenya et soutenue par Washington, sera-t-elle remplacée par une véritable opération de maintien de la paix ? Selim évoque “ L’héritage occulté de Messali Hadj ” : La France vient d’admettre sa responsabilité dans l’assassinat, en mars 1957, du chef indépendantiste Larbi Ben M’hidi lors de la bataille d’Alger. Si cette reconnaissance lève le voile sur certains non-dits de la guerre d’Algérie, il reste aussi à explorer d’autres épisodes, dont celui du conflit fratricide qui opposa le Front de libération nationale (FLN) et le Mouvement national algérien (MNA). Eva Thiébaud observe l’essor politique des Évangéliques en France : Longtemps marginal dans l’Hexagone, l’évangélisme y est aujourd’hui bien plus présent. Nourri par plusieurs influences, notamment celle des missionnaires anglo-saxons mais aussi celle de fidèles originaires d’Afrique subsaharienne, ce courant du protestantisme se structure peu à peu. Plusieurs de ses composantes entendent désormais peser dans le débat national en défendant des idées conservatrices. Pour Thomas Jusquiame, la vertu a ses fortunes : Capitalisme « éthique » ? La contradiction dans les termes reflète la volonté de l’ordre économique d’incorporer les questions environnementales dans une matrice marchande, à la fois pour se relégitimer et pour faire des affaires. Aux yeux des alchimistes du marché, le désastre social et écologique actuel se transforme en « opportunités ». Pour Nancy Fraser, la démocratie de marché est impossible : La démocratie va mal. Ce serait la faute des institutions, des réseaux sociaux, de l’individualisme. De la « radicalité des extrêmes », voire de l’impuissance devant la violence économique, qu’il faudrait adoucir. Or le capitalisme se fonde sur la division entre l’économique et le politique, ce qui le rend fondamentalement antidémocratique. Pour Elad Lapidor, Autant en emporte le vent jaune : Mettre en accusation le gouvernement Netanyahou ne suffit pas à comprendre la catastrophe actuelle. Il faut aussi considérer la faiblesse de son opposition et l’impuissance de ce qu’on appelle la « gauche » : démocratique, libérale, bonne. Or, dans son pays et au-delà, il n’y a guère de figure qui incarne davantage cet humanisme israélien que l’écrivain David Grossman. Sam Biddle observe une profession, celle de censeur pro-israélien : Depuis 2016, la directrice des politiques pour Israël et la diaspora juive chez Meta, propriétaire de Facebook et d’Instagram, est une ancienne haute responsable du gouvernement israélien. Avant d’intégrer l’entreprise de M. Mark Zuckerberg, Mme Jordana Cutler travaillait à l’ambassade d’Israël à Washington comme chargée des relations publiques et directrice de cabinet ; elle a participé à la campagne du Likoud en 2009, puis conseillé le premier ministre Benyamin Netanyahou durant quatre ans. Des échanges internes auxquels The Intercept a eu accès révèlent que Mme Cutler a utilisé les procédures de remontée hiérarchique pour faire censurer des comptes Instagram appartenant à Students for Justice in Palestine (« Étudiants pour la justice en Palestine », SJP), une organisation impliquée dans la mobilisation des campus américains contre la guerre menée par Israël à Gaza. Mme Cutler aurait ainsi signalé aux équipes de modération au moins quatre publications de SJP et divers autres contenus critiquant la politique extérieure menée par le gouvernement de M. Netanyahou. Pour ce faire, elle aurait invoqué la directive de Meta relative aux « organisations et personnes dangereuses », qui repose sur une liste secrète de plusieurs milliers d’entités dont la plate-forme interdit la « glorification », tout en permettant théoriquement qu’elles soient mentionnées « dans le cadre d’un discours social et politique » ou de « discussions neutres ». Source: https://www.legrandsoir.info/