Le système éducatif face aux défis du chômage

En 1959, déjà, Gabriel Ardant, pouvait écrire : «le tiers monde est un monde de chômeurs chroniques. Le sous-développement et le sous-emploi vont de pair», dans... L’article Le système éducatif face aux défis du chômage est apparu en premier sur Lequotidien - Journal d'information Générale.

Le système éducatif face aux défis du chômage
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En 1959, déjà, Gabriel Ardant, pouvait écrire : «le tiers monde est un monde de chômeurs chroniques. Le sous-développement et le sous-emploi vont de pair», dans son livre «Le monde en friche». Il est vrai que dans la plupart des pays sous-développés comme le nôtre, à cause du chômage, d’importantes potentialités productives sont sous-utilisées : des usines tournent à moitié de leur capacité -Sonacos, Ics, Les Phosphates, pour ne citer que celles-là ; l’eau gaspillée, des terres pourtant fertiles ne sont pas mises en valeur convenablement, des capitaux sont exportés à travers les ressources naturelles –or, zircon et autres. La plupart des spécialistes s’accordent à souligner que chômage et sous-emploi sont actuellement une des causes fondamentales de la perpétuation des «cercles vicieux» du sous-développement. Ainsi, comme beaucoup de gens ne trouvent pas de travail, ils sont pauvres et ne peuvent acheter les marchandises dont ils ont besoin et qui, dans bien des cas, pourraient, pour une grande part, être produites avec les équipements existants. D’où la nécessité de préserver autant que possible, les unités industrielles existantes et même d’en créer d’autres. Heureusement, les autorités actuelles semblent aller dans cette direction, notamment avec le pétrole, surtout avec le gaz. Autrement, et c’est ce que nous avons vécu jusqu’ici, les entreprises s’étouffent, n’investissent pas, n’embauchent guère et faibles sont les salaires de ceux qui ont la chance d’avoir du travail, puisque les demandeurs d’emploi sont innombrables ; les gens restent donc pauvres. Dès lors, comment le système éducatif, dans son ensemble, devrait-il se comporter devant un tel phénomène ? C’est le système qui produit les ressources humaines ; le capital humain indispensable à tout processus de développement, c’est évident. Et, c’est dans cette perspective que les questions suivantes trouvent toute leur pertinence : à quoi destine-t-on les élèves à qui l’on enseigne ? Quel rôle ont les savoirs que nous donnons à connaître ? Si nous admettons avec Castoriadis, qui parle d’auto-éducation de l’homme, l’idée d’éducation est bien celle d’une auto-transcendance, c’est-à-dire la capacité de l’homme à attribuer les finalités de sa propre éducation. La finalité -fin- est ce but différé, ce que l’homme pense que l’homme doit être ce «au nom de quoi» l’on éduque, liant le «pourquoi» et le «comment» on éduque. Aussi, parcourant les trois orientations, les trois mouvements de la conception de l’éducation comme mode de pensée que sont : «ancien», «mo­dernité» et «post-modernité», j’ai plutôt été persuadé par le second, à savoir la modernité, notamment avec la vision de Condorcet qui perçoit l’instruction comme un agent du progrès social/ Peut-on parler de progrès social dans une société où le chômage est endémique ? De ce point de vue, il est évident qu’on éduque pour être, pour devenir, pour donner un sens à une exigence individuelle et sociale, et non pas seulement pour éduquer -«Jang ngir tekki». C’est là que les nouvelles autorités doivent agir avec la plus grande prudence, car l’idée est sortie aussi bien lors de la Dpg du Premier ministre qu’au niveau du message du Président, le 31 décembre 2024. Il ne s’agit pas de former pour grossir le rang des chômeurs. Ce qui compte vraiment, c’est trouver un emploi après les études, sinon à quoi bon ! L’accès effectif à l’emploi à l’issue des études secondaires ou supérieures ou, à l’inverse, le taux de chômage selon le niveau du diplôme -Cfee et Bfem- (pourquoi pas ?) constituent à priori les premiers indicateurs du «rendement externe» de l’école. En principe, avoir fait des études supérieures devrait «protéger» du chômage. Est-ce le cas ? Jugez-en. Non seulement les titulaires de diplôme de grandes écoles, mais aussi les licenciés ou titulaires de Master 1 ou 2 sont pratiquement absorbés par le chômage. Cela veut tout simplement dire que le «terrain de chute» fait défaut. On forme certes bien, mais les structures d’accueil manquent terriblement. Pour l’année 2024, au Concours de recrutement des élèves-maîtres -Crem- pour deux mille places, il y a eu quatre-vingt mille dossiers enregistrés. Fort de ce constat, la tendance doit, à mon avis, inévitablement être inversée. Tout le monde n’est pas fait pour entrer à l’université. Sur tout le cursus, du préscolaire à l’université, ce que j’appelle des «bretelles» doivent être instaurées, à la fin de chaque cycle, en commençant par celui dit fondamental -fin classe de 3ème. Que peut-on entendre par «bretelles» ? Elles seraient des structures de formation pratique indispensables à la vie moderne : plomberie-sanitaire, carrelage, électricité, restauration, hôtellerie, etc. Il en serait de même au niveau du cycle moyen secondaire. L’université étant réservée à l’excellence pour la formation des cadres de conception de haut niveau. C’est comme cela que ça se passe dans les pays industrialisés, y compris le Japon que j’ai eu l’opportunité de visiter. Ainsi, on éviterait le phénomène du «remplissage» dans les structures d’enseignement supérieur, qui ne fait qu’aggraver le chômage avec tout ce que cela entraîne comme désagréments -«Mbeuk-mi» notamment. Mais on ne peut négliger pour autant le rôle que joue la dégradation des conditions économiques des «familles défavorisées» du fait du chômage qui les affecte massivement et durablement. L’école est aussi «malade du chômage». Si les parents n’ont pas de présent pour eux-mêmes, il leur est impossible d’imaginer un futur pour leurs enfants. L’aggravation des situations de «rupture sociale» telle que nous la vivons depuis un certain temps, fait craindre que l’amélioration quantitative et même qualitative des moyens consacrés au système éducatif ne suffise à réduire la fracture sociale. Il faut, à mon sens, aussi chercher ailleurs, et notamment dans la sphère économique elle-même, les voies et moyens de renforcer la cohésion sociale. Du pain sur la planche pour des hommes de bonne volonté. Yakhya DIOUF Inspecteur de l’Enseignement Elémentaire à la Retraite L’article Le système éducatif face aux défis du chômage est apparu en premier sur Lequotidien - Journal d'information Générale.