Avec l’arrivée hier à Kazan, capitale de la République russe du Tatarstan, des principaux dirigeants des pays BRICS+, le sommet du club des principales économies émergentes de la planète a débuté. À la lecture des journaux, les attentes quant aux décisions et à l’orientation politique que prendra ce sommet sont nombreuses et vont d’une discussion sur la réforme du système financier international à la guerre au Moyen-Orient, du débat sur les règles d’adhésion des nouveaux membres à une réforme du système de paiement international. Un signe qui ne trompe pas sur le poids politique (et pas seulement économique) que représente ce groupe de pays. Il ne sera possible de tirer un bilan complet des résultats que demain, à l’issue du forum, mais il est utile d’en retenir d’ores et déjà quelques éléments clés.
Tout d’abord, le fait que le sommet soit organisé en Russie et que les dirigeants de pays qui représentent ensemble 45 % de la population mondiale et un PIB (PPA) supérieur à celui du G7 soient venus ici, rompt avec la rhétorique en vogue en Occident de « l’isolement de la Fédération de Russie » par la communauté internationale. Un mensonge factuel si l’on considère, par exemple, les votes dans des forums tels que les assemblées générales des Nations unies ou la liste des pays adhérant à la politique de sanctions des États-Unis, mais un mensonge qui s’est frayé un chemin dans la perception de masse ici en Europe. La deuxième considération, peut-être encore plus importante, découle du fait que BRICS+ est le résultat d’un élargissement progressif des sommets informels des pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), qui ne se sont jamais considérés comme le pivot d’un pôle géopolitique naissant, homogène politiquement et idéologiquement et dirigé contre d’autres pays ou blocs géopolitiques. Cela entraîne une conséquence fondamentale : comme il n’y a pas de hiérarchie de pouvoir dans les relations entre les pays, ce club ne peut prendre de décisions que par consensus. Cela ne signifie pas que les relations de pouvoir n’existent pas et ne sont pas valables, ni que les décisions ne doivent pas être arbitrées entre les différentes exigences, mais que l’on expérimente une méthodologie des relations entre grands pays qui est une alternative à celle qui est en vogue ici en Occident où, sous le vernis (de plus en plus estompé) d’une démocratie affichée mais non pratiquée, se cache un système de relations basé sur la dépendance d’une « périphérie » vis-à-vis d’un « centre » de commandement politique et militaire, qui annule la souveraineté des États individuels. De ce point de vue, la différence entre le modus operandi en vogue parmi les pays BRICS+ et, par exemple, le G7, est flagrante.
Un autre signe intéressant à noter est la présence au sommet de Kazan du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Ce n’est pas une nouveauté en soi. A. Guterres avait déjà participé au précédent sommet en Afrique du Sud et il a l’habitude d’assister à des sommets réunissant un grand nombre d’États membres de l’ONU, mais sa participation aujourd’hui revêt une signification particulière. Dans les couloirs de la diplomatie internationale, les paroles de condamnation de l’ONU par Israël résonnent toujours, sans être atténuées ni déplorées par ses principaux partenaires et soutiens, à commencer par les Etats-Unis. Plus encore, ils font écho aux missiles israéliens qui ont délibérément attaqué les bases de la mission de l’Unifil déployée au Sud-Liban, en violation flagrante du droit international et de la résolution 1701 du Conseil de sécurité. Une fois de plus, le double standard occidental apparaît : la stratégie de sécurité nationale étasunienne de 2017 (la première signée par Donald Trump) définissait la Russie et la Chine comme deux adversaires ayant adopté une « posture révisionniste » à l’égard de l’ordre international, indiquant l’intention de ces deux pays de bouleverser l’équilibre mondial. C’est précisément l’affaire Unifil de la part d’Israël et l’aval substantiel des États-Unis (son principal partenaire et fournisseur d’équipements militaires) qui montrent que ceux qui veulent bouleverser les règles internationales sont plutôt certains pays du bloc occidental (dont beaucoup ont un poids colonial), dans leur tentative anti-historique d’empêcher l’émergence de pays (dont beaucoup sont d’anciennes colonies), dont le poids accru dans les relations internationales conduit à une démocratisation croissante des règles du jeu.
L’un des principaux domaines sur lesquels ce sommet BRICS+ devrait faire des progrès significatifs est un ensemble de propositions pour un nouvel ordre financier international. L’ordre financier actuel repose en effet sur un système institutionnel fortement déséquilibré qui sert les intérêts des pays riches du Nord au détriment de la plupart des pays à faible revenu du Sud. Une étude du World Inequality Lab montre qu’il y a eu un transfert net de richesses des pays pauvres vers les pays riches au fil des ans. Les plus grandes économies du monde ont reçu un transfert direct de richesse égal à 1 % de leur PIB (1 % si l’on prend en compte les 20 % des économies les plus riches du monde, 2 % si l’on réduit le champ à 10 % de ces économies) de la part des 80 % des pays les plus pauvres qui sont ainsi contraints de transférer environ 2 à 3 % de leur PIB chaque année, des sommes qui pourraient être consacrées à des politiques de développement à l’échelle nationale. Ce transfert de richesse est rendu possible par la centralité du dollar dans le commerce international, un privilège qui institutionnalise cette fuite des ressources des pays pauvres vers les pays riches.
Pour ces raisons, une discussion est mûre sur la manière de surmonter ce système inique, à travers des actions capables de définir un nouvel ordre financier international, par exemple à travers la création d’une unité monétaire comptable commune aux pays BRICS+ (un nom possible a déjà été identifié : « l’Unité »), la réalisation d’une plateforme de paiements en monnaies numériques des différents États (BRICS Bridge) et d’un nouveau système de paiement (BRICS Pay), basé sur une chaîne de blocs (blockchain), capable de contourner les transactions en dollars, auxquels il faut ajouter la naissance d’une nouvelle agence de notation alternative aux trois plus importantes étasuniennes (S&P Global Ratings, Moody’s et Fitch Group).
Personnellement, je ne crois pas qu’un seul sommet puisse démêler un écheveau de nœuds compliqués et offrir des solutions avancées dans l’immédiat. Mais ce à quoi nous assistons est, sans aucun doute, la maturation de réflexions et de processus qui appellent à une refonte globale des équilibres internationaux. Pour ne pas céder à la condamnation de l’émergence d’une nouvelle guerre froide et, surtout, pour rendre ce monde plus accueillant et plus juste.
23 octobre 2024
Francesco Maringiò est un militant communiste italien. Il a occupé des fonctions dirigeantes au sein du Partito della Rifondazione Comunista et du Partito dei Comunisti Italiani, en particulier au sein du département des relations internationales des deux partis. Il a écrit pour L’Ernesto, Marx 21 et un certain nombre de sites web chinois, dont Global Times. Il collabore avec Radio China International Italie. Il est président de l’Association italo-chinoise pour la promotion de la nouvelle route de la soie.
Source: https://www.legrandsoir.info/