Par El Mostapha BAHRI, Economiste
Des mesures urgentes seront prises pour réduire les prix des produits agricoles. C’est ce qui ressort de la réunion du 10 octobre 2024, présidée par le Chef du Gouvernement, en présence des acteurs des chaînes de production.
Les mesures qui devraient être prises, visent à contribuer à la réduction des prix des produits agricoles, ainsi qu’à protéger et reconstituer le cheptel. Elles cherchent également le renforcement de la résilience du secteur agricole face à un contexte mondial défavorable marqué par les changements climatiques et la rareté de l’eau.
D’après le communiqué, le gouvernement veillera à suivre la mise en œuvre des différentes mesures urgentes qui contribueront à la baisse des prix des produits agricoles, tout en préservant le pouvoir d’achat des citoyennes et citoyens, et en garantissant un approvisionnement suffisant et continu des marchés nationaux[1].
Cependant, les mesures prises par le gouvernement depuis que les taux d’inflation commençaient à prendre une allure ascendante et alarmante en 2021, enregistrant 6,3% en 2022 et 6,6% en 2023[2], n’ont pas eu les effets escomptés. Et les prix n’ont pas cessé d’augmenter, à tels points que certains spécialistes ont qualifié cette situation de structurelle.
La question des soutiens à certaines filières a toujours posé des problèmes au Maroc. En effet, si l’objectif recherché est d’offrir des appuis significatifs pour agir sur l’offre et par conséquent sur les prix, il n’en demeure pas moins que le cadre mis en place pour sa mise en œuvre n’était pas toujours efficient et souffrait de plusieurs insuffisances.
D’ailleurs, et à titre d’exemple, plusieurs cas de détournement d’orge destinées aux éleveurs ont fait l’objet de poursuite par les tribunaux, tel le cas de deux salariés d’un établissement public d’appui à l’investissement agricole et d’un commerçant, à Berkane[3].
Une autre affaire a été traité par le tribunal correctionnel de Fès concernant deux fonctionnaires à Targuist[4].
Les actions entreprises par le gouvernement pour soutenir les agriculteurs ont été détournées de leurs objectifs et n’ont pas profité aux petits agriculteurs alors que ces derniers restent à la marge et reçoivent des miettes et dans la plupart des cas, ils n’obtiennent aucun soutien ; sachant que c’est l’agriculture traditionnelle qui fait vivre la majorité de la population rurale et intéresse à peu près 80% des terres cultivées. Les conséquences de ce type de soutien, qui n’est jamais parvenu au maillon le plus faible de la chaine, à savoir le petit éleveur et le petit agriculteur, a eu un impact négatif sur le capital cheptel. En effet, les petits agriculteurs disposant d’un faible effectif du cheptel d’ovins et/ou de caprins ont tendance à disparaitre en raison des années successives de sécheresse et de la cherté des aliments de bétail. La plupart de ces agriculteurs se sentent abandonnés par les pouvoirs publics et seraient un jour tentés par l’exode vers les villes.
De même, les efforts déployés par le gouvernement pour soutenir certaines filières font l’objet de critiques de la part des éleveurs qui sont confrontés à des critères de manque de transparence et d’équité.
En effet, plusieurs éleveurs contestent les conditions de déroulement des opérations d’appuis encadrées par l’administration. Ils ont par ailleurs protesté contre des faits de trafic illégal et des pratiques de spéculation, et ont estimé que la distribution de l’orge subventionnée se fait en toute opacité (il s’agit des agriculteurs de Settat).
Ils ont signalé que certains spéculateurs inscrivent des personnes qui ne sont pas des éleveurs et ne possèdent pas de moutons pour bénéficier de cette aide. L’orge ainsi obtenue est rachetée par ces spéculateurs qui la revendent sur le marché à un prix excessif[5].
De ce fait, les mesures urgentes qui seraient prises pour réduire les prix des produits agricoles, restent tributaire à une bonne gouvernance des programmes mis en place. Les actions qui seront menées, nécessitent des préparations soigneuses, une bonne gouvernance, une très bonne gestion pour minimiser les inconvénients et maximiser les bénéfices pour l’ensemble de la société et une évaluation régulière du système. Malheureusement, toutes les actions réalisées, n’ont pas permis de tirer suffisamment d’enseignements pour mettre en place un système transparent et inviolable. Le système de gestion de l’appui du secteur agricole, devait être revu et conçu pour garantir que les fonds alloués à des bénéficiaires spécifiques ne peuvent être détournés ou mal utilisés. Un type de système qui doit reposer sur des principes et des mécanismes transparents, clairs avec une reddition des comptes, pour assurer son intégrité et son efficacité.
En conclusion, bien que le gouvernement ait pris depuis des années, des mesures pour réduire les prix des produits agricoles et soutenir le secteur agricole, les effets escomptés n’ont pas été atteints, en grande partie en raison de la mauvaise gestion et la faiblesse de l’encadrement des aides allouées. Les problèmes structurels persistent, notamment en ce qui concerne la distribution opaque des soutiens et l’exclusion des petits agriculteurs des bénéfices réels. Afin de garantir le succès des futures actions, une réforme en profondeur du système de soutien est impérative, reposant sur une gouvernance transparente, une gestion rigoureuse, ainsi qu’une évaluation régulière et stricte des mécanismes mis en place. Sans ces améliorations, les efforts pour stabiliser les prix agricoles et renforcer la résilience du secteur risquent de rester insuffisants.
Ainsi et pour améliorer l’efficacité des actions de soutien au secteur agricole et au pouvoir d’achat, il est proposé :
Le renforcement de la transparence et de la gouvernance des subventions : Il est essentiel de mettre en place un système de gestion efficace, basé sur des mécanismes de contrôle rigoureux. Ce système devra inclure la traçabilité des soutiens accordés ainsi que la réalisation d’audits réguliers, afin de s’assurer que les appuis programmés parviennent aux bénéficiaires légitimes, notamment les petits agriculteurs, conformément aux objectifs initiaux.
Le ciblage des petits agriculteurs excentrés : Prioriser les petits agriculteurs et éleveurs dans la distribution des aides et les opérations de soutien, avec des programmes spécifiquement conçus pour leurs besoins. Cela inclurait des critères d’éligibilité plus adaptés, une simplification des démarches administratives et un accompagnement technique pour améliorer leur résilience face aux crises économiques et climatiques.
La digitalisation du processus de distribution des aides : Mettre en œuvre des solutions numériques pour gérer la distribution des subventions et du soutien agricole. Un tel système pourrait inclure des plateformes en ligne transparentes, accessibles à tous les acteurs, avec des listes publiques des bénéficiaires et des mécanismes de dénonciation des fraudes, afin de limiter les pratiques de spéculation et d’abus.
L’évaluation et le suivi réguliers des politiques publiques : Instaurer des évaluations périodiques et indépendantes des programmes de soutien au secteur agricole afin de mesurer leur efficacité et d’identifier les dysfonctionnements. Cela inclurait la mise en place d’indicateurs de performance et l’ajustement des politiques en fonction des résultats obtenus, garantissant ainsi une amélioration continue des actions menées.
[1] Source : https://rue20.com/ du 10 octobre 2024.
[2] https://fr.statista.com/statistiques.
[3] https://fr.le360.ma/ du 09/05/2023.
[4] https://fr.hibapress.com/ du 5 octobre 2024.
[5] https://maroc-diplomatique.net/ du 25 mars 2024.
The post Libre Tribune : Réduction des prix agricoles et protection du cheptel, défis de gouvernance et transparence en jeu appeared first on La Nouvelle Tribune.