Présent à Marrakech en tant que président du jury de la 21ᵉ édition du Festival international du film, Luca Guadagnino, réalisateur italien oscarisé, a partagé lors d’une table ronde sa vision unique sur deux éléments fondamentaux de son art : la musique et l’émotion. Par ses réponses sincères et introspectives, Guadagnino offre un aperçu de sa philosophie de mise en scène, alliant instinct et collaboration créative.
Interrogé sur son processus de sélection musicale, Guadagnino révèle une tension entre son instinct et ses choix artistiques. « Instinctivement, je préférerais ne pas utiliser de musique dans mes films », nous confie-t-il. Pour lui, le cinéma possède une « musique interne » qui pourrait suffire à transmettre l’essence d’une scène. Toutefois, il admet ne pas avoir encore atteint ce degré de dépouillement, espérant y parvenir un jour. Malgré cette aspiration, Guadagnino reconnaît son privilège d’avoir collaboré avec des compositeurs de renom tels que Thom Yorke, Sufjan Stevens et, à quatre reprises, Trent Reznor et Atticus Ross. Ces collaborations, loin de submerger l’œuvre, enrichissent son langage cinématographique en apportant une dimension sonore complémentaire à la narration visuelle. Lorsqu’il s’agit de capturer les émotions, Guadagnino adopte une approche instinctive mais rigoureuse. « Il est essentiel de se demander constamment : quel est le moment clé de la performance ? Quel est le point de vue utilisé pour révéler ce moment ? » explique-t-il. Cette introspection guide son travail, lui permettant de conjuguer profondeur émotionnelle et esthétisme visuel. Ce processus repose également sur une symbiose créative entre l’instinct du réalisateur, la contribution des interprètes et l’expertise technique de son équipe. « J’ai eu la chance de travailler avec des performeurs extraordinaires et des techniciens incroyables derrière la caméra », souligne-t-il. Selon Guadagnino, c’est cette alchimie entre les performances, les choix narratifs et l’excellence visuelle qui confère à ses films une authenticité tout en préservant leur éclat esthétique. Luca Guadagnino et son rôle de président du jury au FIFM Lorsqu’il évoque son rôle de président du jury pour cette édition du Festival International du Film de Marrakech, Luca Guadagnino laisse transparaître une profonde gratitude et une fierté sincère. Invitée par Milita Toscano Plantier, la figure emblématique du cinéma italien confie avoir été « touché et surpris » par cette responsabilité. « Pour un cinéaste, participer à un jury est une manière d’exprimer une autre facette de soi », explique-t-il, voyant dans cette expérience une étape clé de son parcours artistique. Le réalisateur de Call Me by Your Name souligne l’intensité des échanges avec ses collègues jurés. Certains étaient déjà ses amis, mais tous, précise-t-il, le sont devenus à l’issue de cette aventure commune. « J’ai trouvé en eux des compagnons précieux pour discuter du cinéma, comprendre d’autres perspectives et, parfois, changer la mienne », déclare-t-il, insistant sur l’importance de cette dynamique collective. La sélection du festival, axée sur des cinéastes en début de carrière, lui permet d’explorer les courants esthétiques contemporains. Selon lui, ces œuvres reflètent des instincts bruts et une créativité en ébullition, offrant un aperçu précieux de l’état actuel du septième art. À l’intention des jeunes réalisateurs, Guadagnino dispense un conseil teinté de pragmatisme : « Ne pensez pas à la scène internationale. Faites le film qui vous tient le plus à cœur. » Toutefois, il exprime une certaine réserve face à la popularité croissante du métier de réalisateur, qu’il qualifie parfois de « vocation détournée ». Pour lui, être cinéaste va bien au-delà des compétences techniques ; il s’agit d’un état d’esprit rare et introspectif.
Une connexion personnelle au Maroc L’idée de réaliser un film au Maroc résonne profondément avec ses racines personnelles. « Ma mère a grandi à Casablanca dans les années 60, une époque qui m’inspire constamment. » Cependant, il admet ne pas être prêt à explorer cette dimension autobiographique immédiatement. Guadagnino ne tarit pas d’éloges sur Tilda Swinton, une actrice qu’il décrit comme une amie proche et une collaboratrice généreuse. Il voit en elle une source d’apprentissage et une mécène du cinéma indépendant. Leur partenariat repose sur une approche authentique, où Swinton s’efforce de « ressentir » plutôt que de jouer ses personnages. Questionné sur la coexistence entre salles de cinéma et plateformes de streaming, le réalisateur insiste sur l’importance de l’expérience théâtrale. Bien qu’il reconnaisse l’impact des nouvelles technologies, il défend la nécessité de préserver les projections en salles comme espace privilégié pour le cinéma. Enfin, Guadagnino rejette toute idée de « marquage » ou de branding de ses œuvres. « Chaque film est pour moi un processus d’apprentissage », dévoile-t-il, rappelant l’importance de l’étude et de la mise en situation inconfortable pour enrichir sa vision. Pour ce passionné, le cinéma reste un art où la curiosité et la rigueur intellectuelle priment sur les conventions ou les attentes du marché. Si Guadagnino se montre fier de ce qu’il a accompli jusqu’à présent, il ne considère pas son parcours comme achevé. « Nous verrons bien », conclut-il avec modestie, laissant entendre que son art est en perpétuelle évolution.