Rapporteur du Comité des juristes experts des régulateurs de l’Espace Uémoa et de la Guinée, expert formateur et point focal au Mali de la Fondation internationale des femmes dans les médias (IWMF), Mahamane Hamèye Cissé jette un regard sur la presse, à l’occasion du 3 mai. Entretien.
Mali Tribune : Comment décririez-vous aujourd’hui l’environnement global de la liberté de la presse au Mali ?
L'environnement global de la liberté de la presse au Mali n'est jamais entièrement perçu. Mais ces derniers temps, on peut affirmer qu’il n’est pas assez bon. Cela à cause de quelques petites poches. Depuis trois ou quatre mois, la liberté de la presse au Mali a été un peu écorchée, notamment par des arrestations et des fermetures de radio.
A cela, il faut ajouter les difficultés que les radios et les télévisions connaissent ces derniers temps par rapport à un certain nombre de défis, surtout au plan économique. Au-delà, d'une vue d’ensemble, l'environnement de la presse ne se porte pas très mal.
Mali Tribune : Quels sont, selon vous, les principaux freins à l’exercice libre du journalisme dans le pays ?
Pour le moment il n’y a pas de freins à l’exercice libre du journalisme au Mali. Seulement, il y a des handicaps. Avec la précarité qui prévaut, aujourd'hui, les journalistes travaillent dans des conditions très difficiles économiquement. Ils pratiquent dans des conditions professionnelles pas aisées et le niveau même des journalistes n'est pas des meilleurs aujourd’hui, d'une manière générale. Sur ce dernier aspect, la presse malienne ne se porte pas assez bien, mais elle fait du mieux qu'elle peut dans des conditions pas toujours favorables à l'exercice de la profession.
Mali Tribune : Dans quelle mesure le contexte sécuritaire actuel affecte-t-il la liberté de la presse ?
Le contexte sécuritaire actuel, il affecte la presse peut-être beaucoup plus à l’intérieur notamment au nord et au centre et par rapport aux professionnelles de l'audiovisuel. Dans ces zones, les professionnels des radios et des télévisions ne sont pas dans des conditions de sécurité requises pour exercer leur profession. Donc, ils font suffisamment attention car il y a des zones où ils ne peuvent pas aller pour des raisons de sécurité que tout le monde connaît. Sinon dans l'ensemble, les journalistes des radios et des télévisions se débrouillent comme ils peuvent à l'intérieur du pays, mais pas toujours dans les conditions les meilleures d’exercice à cause de l’insécurité et la précarité qui prévalent.
Mali Tribune : Y a-t-il des zones géographiques ou des thématiques où les journalistes s’autocensurent ?
Par l’autocensure, d’abord, il faut comprendre qu’on se censure soi-même. Ce n'est pas l'Etat ni des pouvoirs publics ou autres qui y obligent. Donc, il y a des thématiques sur lesquelles des fois on s'autocensure, notamment par rapport aux traitements de certaines questions politiques qu’on suppose sensibles, aujourd'hui. Et en tout cas c'est ce qu'on constate, aujourd’hui, en tant qu’observateurs, nous sommes plus des pratiquants (rires). Et d’un autre côté, les questions de sécurité aussi sont des thématiques qui ne sont pas aisées et sur lesquelles des fois les journalistes ou les professionnels s’autocensurent eux-mêmes pour préserver la paix et/ou pour se préserver soi-même.
Mali Tribune : Quelles améliorations législatives ou institutionnelles seraient nécessaires pour garantir une presse véritablement libre au Mali ?
D’abord, la première garantie d’exercice de la liberté de presse c’est la Constitution au Mali. Et, elle a innové aussi en son article 15 qui autorise l'accès à l'information. La Constitution de juillet 2023 assume l'accès à l'information pour les journalistes. Or, cela était assez difficile avec une loi qui manquait.
Aujourd’hui, il faut revoir tout le système législatif réglementaire qui encadre la pratique au Mali. Sur cet aspect, depuis 2021, les professionnels des médias, la Maison de la presse et même le ministère de la Communication ont travaillé à élaborer un certain nombre de textes qui, jusqu'à présent, n'ont pas vu le jour. Si cela est fait, on peut dire que la liberté de la presse serait bien exercée dans un environnement bien balisé et bien encadré. Il y aura un cadre juridique qui peut assurer l'exercice effectif de la liberté de la presse et place les journalistes dans des conditions meilleures d’exercice.
Mais, il faut que ces textes soient revus et corrigés. Sinon, leurs projets et avant-projets de ces textes existent déjà depuis bientôt quatre ou cinq ans. Ces textes sont sur la table du gouvernement ou en tout cas entre les mains des autorités jusqu'à présent et n'arrivent pas être adoptés, alors que l’ensemble des professionnels, la Hac, le ministère de la Communication et tous acteurs se sont prononcés là-dessus. Toutes les parties prenantes ont participé à leur élaboration et chacun à contribuer.
Mali Tribune : Quel rôle les partenaires internationaux peuvent-ils jouer dans la promotion d’un environnement plus favorable aux médias ?
Aujourd’hui, les partenaires internationaux ne sont pas suffisamment présents au Mali, les rôles qu’ils jouaient avant c’était d'aider la presse dans la formation, d'aider la presse dans certaines conditions économiques d'exercice de la profession. Aujourd'hui, tout cela fait défaut.
Si les partenaires revenaient à prendre pied au pays ou à s'intéresser à la presse aujourd'hui, on peut vivre non seulement la presse par la formation, mais ils peuvent aider aussi la presse dans ses conditions d'existence et ses conditions d'exercice aussi.
Propos recueillis par
Mariam Coulibaly
(stagiaire)