A occasion de la commémoration du 34é anniversaire du 26 mars, L’Essor a approché le président du Congrès national d’initiative démocratique-Faso Yiriwa Ton (Cnid-FYT). Me Mountaga Tall, un des acteurs majeurs du mouvement démocratique, fait le bilan de la démocratie et revient sur la réduction du nombre des partis politiques. Une recommandation des Assises nationales de la refondation qui ne fait pas l’unanimité
L’Essor : 26 mars 1991-26 mars 2025, cela fait 34 ans que le régime du Général Moussa Traoré a pris fin, marquant ainsi l’avènement de la démocratie dans notre pays. En tant qu’un des acteurs majeurs du mouvement démocratique, que représente pour vous cet anniversaire ?
Me Mountaga Tall : La commémoration de la date du 26 mars, 34 années après cet évènement historique dans la vie de la Nation malienne, est pour moi un moment de profonde introspection mais aussi de réflexion sur le devenir de notre pays. Le 26 mars, c’est d’abord un coup d’arrêt à un bain de sang et à une répression inouïe. Les morts, ou plus précisément les martyrs, jonchaient les rues de Bamako, les morgues étaient pleines à craquer et les couloirs des hôpitaux remplis de cadavres et de grands blessés.
Le 26 mars 1991, c’est aussi un vent de liberté qu’apportaient au peuple malien les démocrates, regroupés au sein de la Coordination des associations et organisations démocratiques, communément appelée mouvement démocratique dont l’œuvre a été parachevée par une partie de l’Armée sous la houlette du Comité de réconciliation nationale (CRN). La jeune génération qui jouit des avantages de cette liberté ne sait pas forcément le prix payé pour l’obtenir et aussi pour l’entretenir.
Permettez-moi de le dire, le 26 mars, c’est pour moi, à titre personnel, la fin d’une traque par tous les services de répression mais aussi le début de grosses responsabilités que je devais porter sur de frêles épaules à l’époque : maintenir haut et allumés les espoirs que tout un peuple avait placé en nous, acteurs du mouvement démocratique. Il fallait désormais réfléchir et œuvrer à la conduite de la Transition qui s’ouvrait mais aussi se projeter dans l’avenir pour la consolidation de l’acquis démocratique.
L’Essor : Après des années de pratique démocratique que retenez-vous comme avancée ou recul ?
Me Mountaga Tall : Un régime, quel qu’il soit, accomplit toujours de bonnes et de mauvaises choses. Son bilan, l’appréciation qu’on porte sur lui, doit résulter du poids que supporte l’un ou l’autre plateau de la balance, du côté où penche la balance. Il ne sert à rien de tout peindre en noir ou en blanc.
Cela dit, la seule possibilité que vous avez de me tendre aujourd’hui votre micro et de vous battre, en tant qu’organe de presse étatique, dans un microcosme médiatique pour exister est un acquis fondamental de la démocratie. Il ne faut, par ailleurs, jamais perdre de vue que gouverner est un tout, un phénomène systémique qui touche tous les domaines de la vie nationale. Ainsi, on peut apporter des jugements plus ou moins positifs ou négatifs (c’est selon !) sur par exemple les progrès ou les insuffisances en matière d’infrastructures, de santé, d’éducation, de sécurité, de culture et même d’environnement et du numérique.
La principale avancée, de mon point de vue, porte sur l’instauration des libertés démocratiques car pour moi la liberté est aussi indispensable à un individu que l’oxygène qu’il respire. Le cadre démocratique instauré devait permettre aux Maliennes et aux Maliens de choisir démocratiquement leurs dirigeants chargés d’élaborer et de mettre en application des politiques publiques pour un mieux-être individuel et collectif. Mais malheureusement, les élections ont rarement pris en compte les choix exprimés par le peuple malien. C’est ce qui explique dans une large mesure les dérives et les crises sociopolitiques récurrentes avec leurs cortèges de remise en cause, de mal ou non-gouvernance. Je regrette profondément cette gouvernance erratique.
L’Essor : Pour beaucoup de nos compatriotes, l’avènement de la démocratie n’a pas été à la hauteur des attentes. Ils déplorent la dégradation des services publics et l’amplification de la corruption dans tous les domaines…
Me Mountaga Tall : Il y a très clairement une tendance de remise en cause de la notion même de démocratie et une stratégie «d’homme politique bashing» savamment entretenue dans notre pays. C’est à la fois triste et dangereux. D’abord, c’est dangereux car les seules alternatives à la démocratie restent la dictature et le populisme. La première mène à la cruauté et la seconde à une inéluctable impasse. Ce ne sont donc pas des options, mais des mirages et des illusions.
C’est aussi triste car les auteurs de ces thèses ignorent tout de notre histoire récente. Savent-ils seulement qu’en 64 années d’indépendance, les politiques n’ont gouverné le Mali que pendant 29 ans ? Savent-ils que sous la première et la deuxième République, il y a eu des campagnes anti-corruption et même des lois et juridictions spéciales pour juger les corrompus ? C’est dire que les racines de la corruption sont anciennes dans notre pays.
Pour autant, nul ne saurait contester que la corruption se soit fortement amplifiée ces trente dernières années au Mali et je n’ai jamais cessé de dénoncer ces dérives que je condamne avec la dernière rigueur. D’ailleurs, j’ai payé un prix très élevé avec mon slogan de «Kokadjé» (laver proprement) lors d’une campagne électorale. Il faut mettre un terme à la corruption en appuyant fortement sur trois leviers : une volonté politique claire, des services de contrôle performants et un appareil judiciaire engagé.
L’Essor : Qui parle de démocratie parle du multipartisme. Aujourd’hui, le Mali compte plus de 300 partis politiques. Pensez-vous qu’il y a autant de projets de société ?
Me Mountaga Tall : Il faut distinguer la question du multipartisme intégral de celle du nombre pléthorique des partis politiques. Le multipartisme intégral était, est et demeure une exigence fondamentale du peuple malien qui a payé le prix du sang pour l’obtenir. Il doit être sanctuarisé.
Dans le même temps, il faut se souvenir que ce multipartisme intégral s’exerce dans le cadre des lois et des règlements.
Malheureusement, ceux-ci ont été trop permissifs et incitatifs à l’émiettement. Il faut y remédier sans jeter le bébé avec l’eau du bain et sans mesure antidémocratique ou exagérément coercitif. Le processus de relecture de la Charte des partis politiques a donné l’occasion à ceux-ci non seulement d’affirmer leur adhésion à la nécessité de réduire le nombre de partis, mais aussi et surtout à formuler des propositions concrètes allant dans ce sens. Je gage sérieusement que la concertation viendra à bout de cette épineuse question.
L’Essor : Y a-t-il la possibilité pour les partis politiques de se regrouper non pas par intérêt partisan mais plutôt par valeurs à défendre comme dans les grandes démocraties ?
Me Mountaga Tall : La question des valeurs, de l’éthique, voire de la morale a occupé une place éminente lors de nos débats sur la relecture de la Charte des partis politiques. Nous avons ainsi proposé des mesures énergiques contre le nomadisme politique et les alliances immorales ou contre-nature. Ces mesures, ajoutées à celles de la compatibilité des projets de société, pourraient contribuer à mieux assainir l’espace publique, à réduire le nombre de partis tout en les rendant plus forts. Tout le monde y gagnerait.
L’Essor : Les Assises nationales de la refondation (ANR) ont demandé la réduction du nombre des partis politiques. Qu’en pensez-vous ?
Me Mountaga Tall : Mes réponses précédentes préjugent de ma réponse : la réduction du nombre des partis n’est pas attentatoire au principe du multipartisme intégral et est conforme aux intérêts des partis et du peuple malien. Donc, j’y adhère en prônant la concertation, l’adoption de mesures incitatives au rassemblement, le durcissement des conditions de création des partis politiques et un suivi plus rigoureux de leurs activités pour y arriver.
Propos recueillis par
Bembablin DOUMBIA