L’Alliance pour la Démocratie au Mali (Adema-Association) a soufflé la 34ème bougie de sa naissance, le 24 octobre dernier. Ayant pour habitude, pour célébrer son anniversaire, d’organiser des conférences débats sur des questions d’actualité, des questions d’intérêt national, elle a organisé une conférence-débat, le samedi 02 novembre 2024, à la Pyramide du Souvenir, sur le thème: « Quelles stratégies de sortie de crise (sécuritaire et politique) Analyses croisées ». Pour développer ce thème, Mme Sy Kadiatou Sow, Présidente du Comité Directeur de l’Adema Association, et ses camarades ont sollicité le concours de deux personnes ressources : Docteur Ballan Diakité, Politologue-Chercheur et Me Abdrahmane Ben Mamata Touré, sous la modération de Robert Dissa. «Il faut absolument un dialogue entre Maliens pour régler les problèmes et il faut avoir le courage de pointer du doigt là où ça ne va pas…», a fait savoir Mme Sy Kadiatou Sow.
Plusieurs responsables politiques, d’associations, d’Organisations de la société civile dont l’honorable Aliou Nouhoum Diallo, le Président de Fare Ankawuli, Modibo Sidibé, ont pris part aux débats. En se basant sur les recommandations du Dialogue Inter-Maliens (DIM), Me Touré s’est dit persuadé qu’il n’y aura pas d’élections avant 2029. « Je me base par exemple sur les recommandations du Dialogue Inter-Maliens (DIM) qui ont sorti une recommandation que certains n’ont pas pris au sérieux, mais qui commencent à prendre forme. On a dit qu’il faut élever les militaires ; cela a été fait. On a dit également qu’il faut susciter la candidature du président de la transition, ce n’est pas fait. On a dit que la transition doit se proroger entre deux à cinq ans. Et quand on parle de 2 à cinq ans, maintenant, on est à 2029. Moi je préfère regarder le plafond. Personnellement, si on organise les élections avant 2029, ce serait une bonne chose, mais moi je ne vois pas d’élection organisée avant 2029. Je ne vois pas de signaux dans ce sens quand on tient compte de notre fonctionnement et l’orientation prise maintenant par la transition. Le DIM que certains n’ont pas pris au sérieux, semble être un document fondamental et il va falloir que les uns et les autres commencent à prendre ce document au sérieux et à lire son contenu», a prévenu Me Touré.
Le choix du thème colle avec la situation que traverse notre pays tant sur le plan sécuritaire que politique. Du constat de l’Adema Association, le 18 août 2020, le Régime d’Ibrahim Boubacar Kéita a été renversé à la suite d’un large mouvement populaire porté par le Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP). Les exigences principales concernaient entre autres la refondation de l’Etat à travers des réformes profondes ; l’instauration d’une gouvernance vertueuse ; la révision de l’accord de la paix et sa mise en œuvre ; le retour de la paix, de la sécurité et de la réconciliation nationale ; l’organisation d’élections libres et transparentes. Après quatre ans de gestion de la transition, reconnait-t-elle, certaines réformes faites, notamment l’adoption de la nouvelle constitution, de la nouvelle loi électorale ; le nouveau découpage administratif; le renforcement des forces armées nationales en équipement et en effectif ; des poursuites engagées contre des présumés auteurs de détournements ; l’accord de paix dénoncé et mis de côté par les autorités en place, alors même que c’est une relecture qui avait été demandée ; les élections reportées deux fois et enfin on se retrouve sans calendrier électoral et sans boussole. Mais force est de constater, déplore l’Adema Association, que le pays reste plongé dans d’énormes difficultés aux plans politique, sécuritaire, économique, du respect des droits politiques et associatifs.
C’est pour cette raison que, justifie la présidente du Comité directeur de l’Adema Association, l’objectif de ladite conférence-débat est de tenter à partir de l’analyse des réalités actuelles d’informer les populations des stratégies possibles de sortie des crises sécuritaires et politiques actuelles. «Les angles sécuritaires et politiques ont été retenus parmi tant d’autres, parce que ce sont les questions qui préoccupent aujourd’hui essentiellement les Maliens. Malgré les efforts déployés en termes d’équipement, de formation, de recrutement pour renforcer les capacités de nos forces armées et de sécurité, la situation sécuritaire reste une préoccupation majeure. Les récentes attaques des terroristes à Bamako ont ébranlé beaucoup. Aujourd’hui, tous les Maliens souhaitent à ce qu’il y ait une meilleure sécurité pour que les gens puissent vaquer à leurs occupations. Sur l’aspect politique aujourd’hui, on est toujours sans aucune boussole sur quand est-ce qu’on va aller aux élections », a souligné la présidente. Avant de demander auprès des autorités, la libération des 11 hommes politiques.
Pour Dr. Ballan Diakité, il y a plusieurs stratégies de sortie de crise. « A mon avis, la meilleure stratégie est surtout de repartir sur une dynamique démocratique. C’est-à-dire, associer les acteurs politiques, associatifs, organisations de la société civile, les groupes armés, trouver un cadre de discussion commune pour permettre à tous de se faire entendre», souligne-t-il. Comme solutions de sortie de crise, Dr. Ballan a préconisé trois principes. Le premier principe, pour lui, est la liberté qui est centrale. « S’il n’y a pas de liberté, il n’y a pas de politique. Et sans politique, il ne peut y avoir de liberté. La liberté doit être donc garantie au niveau individuel pour que les uns et les autres se sentent libres de parler, de dire le fond de leur pensée en toute quiétude. Il y a aussi la liberté qui doit être garantie au niveau institutionnel. Le principe de la séparation des pouvoirs vise à garantir cette liberté. Il faudrait à un moment donné que le pouvoir exécutif puisse être soumis au contrôle du pouvoir législatif et que les deux pouvoirs puissent être aussi soumis au contrôle du pouvoir législatif. Quand il y a un principe de séparation qui est établi entre les institutions, cela permet aux gens de ne pas empiéter sur le droit des populations», a déclaré Dr. Ballan. Le deuxième principe concerne le respect du principe de la politique. «On a pensé pendant très longtemps que l’on fait la politique dans ce pays. Mais au risque de choquer les gens, je pense qu’on ne fait pas la politique au Mali, car elle vise en réalité à permettre le bien-être collectif. On a fait de la politique une affaire de gestion, alors qu’elle est d’abord une action», appuie Dr. Ballan Diakité. Le troisième principe avancé est celui de la bonne gouvernance. «Son premier volet est qu’il faut que la gouvernance soit au cœur de l’action politique. Et cette gouvernance part dans un premier temps, de la transparence dans la gestion des affaires publiques. Il faut qu’on arrête de parler de secret à tout bout de champ. A un moment donné, dans un cadre démocratique, les citoyens doivent savoir les contributions qu’ils font, les impôts qu’ils payent, dans quoi ces impôts sont dépensés. Son second volet est la gouvernance démocratique. Il ne faudrait pas que deux, trois ou quelques groupes de personnes, parce qu’elles sont au sommet de l’Etat, puissent prendre des décisions qui engagent l’ensemble de la nation sans pour autant que les autres acteurs de la société soient associés à ce processus. Ce qui est très important pour nous permettre une sortie de crise au Mali», a conseillé le politologue-chercheur.
Sur la refondation du Mali, Me Touré a souligné qu’il faut élargir les compétences du Conseil économique, social, culturel et environnemental (CESCE) et qu’il devienne la chambre de la société civile à côté de la chambre politique dans ses deux branches (Sénat, parlement) pour qu’il puisse interpeller les responsables des services publics comme le Directeur de l’EDM, le Directeur national de l’enseignement, d’hygiène, de la sécurité publique, sur les dysfonctionnements au sein de leurs secteurs respectifs. « La société civile aurait eu un outil d’action qui aurait donné sens et corps à ce qu’on appelle la participation citoyenne. De mon point de vue, c’est là ou se trouve la refondation de l’Etat, de notre démocratie, qui devient plus participative au-delà de sa simple représentativité qui a montré ses limites au niveau de l’assemblée nationale. Malheureusement, les OSC n’ont pas beaucoup insisté sur cet aspect», dit-il.
Pour l’instauration d’une gouvernance vertueuse, ajoute Me Touré, il y a à ce niveau matière à réflexion pour mettre le doigt sur ce qui est en train de se passer. Sur la révision de l’accord de paix, Me Touré a souligné ce qu’il faudrait retenir par rapport à l’accord Alger : «Cet accord devait forcement disparaitre. Car les Maliens, les mentalités n’étaient pas d’accord sur son contenu. Il ne pouvait pas survivre. Il faudrait qu’il y ait un état d’esprit favorable. Les notions de parties prenantes posaient problème dans cet accord (Etat et les groupes armés). Alors que beaucoup de communautés du Nord ne se reconnaissent pas dans ces groupes armés qui ont été perçus et pris comme des représentants des populations du Nord. Comme alternative à l’accord d’Alger, il est hors de question, de mon point de vue, que l’Etat du Mali renégocie avec les groupes armés sur une architecture institutionnelle de notre Etat.» Me Touré a souligné qu’il faut réfléchir à la mise en place d’un cadre restreint qui va traiter aussi de la crise politique avec uniquement des acteurs politiques.
Sur l’organisation d’élection transparentes, Me Touré a été on ne peut plus clair : « Le ministre de l’Administration du territoire ne peut pas aujourd’hui nous dire quand est-ce qu’on va faire les élections. On a ouvert le processus annuel de révision des listes électorales. On a budgétisé les élections. Mais pour autant, il n’y a pas de calendrier. Alors une élection, c’est un processus avec des dates, des actes à poser », a-t-il dit, précisant qu’il ne voit pas d’élections avant 2029. « Je me base par exemple sur les recommandations du Dialogue Inter-Maliens (DIM) qui ont sorti une recommandation que certains n’ont pas pris au sérieux, mais qui commencent à prendre forme. On a dit qu’il faut élever les militaires, cela a été fait. On a dit également qu’il faut susciter la candidature du président de la transition, ce n’est pas fait. On a dit que la transition doit se proroger entre deux à cinq ans. Et quand on parle de 2 à cinq ans, maintenant, on est à 2029. Moi je préfère regarder le plafond. Personnellement, si on organise les élections avant 2029, ce serait une bonne chose, mais moi je ne vois pas d’élections organisées avant 2029. Je ne vois pas de signaux dans ce sens quand on tient compte du fonctionnement et de l’orientation prise maintenant par la transition», a prévenu Me Touré. Avant d’inviter les uns et les autres à lire le document du Dialogue Inter-Maliens et de préconiser les débats et prières pour une sortie de crise. Comme recherché par les organisateurs, les discussions houleuses ont eu lieu entre les conférenciers et l’assistance, et entre assistance elle même sur le sujet.
Mme Sy Kadiatou Sow s’est réjouie de la participation massive des responsables politiques, d’acteurs d’associations, d’organisations de la société civile et des discussions contradictoires. «Je retiens dans l’ensemble que les uns et les autres considèrent qu’il faut absolument un dialogue entre Maliens pour régler les problèmes, mais qu’il faut avoir le courage de pointer du doigt là ou ça ne va pas. Il faut arriver à mettre en œuvre quand on prend des résolutions, quand on fait des recommandations, et qu’on ne peut pas les mettre en œuvre en excluant une partie des Maliens. Il n’y aura de bons et de mauvais Maliens. On ne peut pas régler la question de la crise politique, la fin de la transition et l’organisation d’élections sans associer les acteurs politiques. Ce n’est pas pensable. On est en démocratie, les acteurs politiques sont incontournables. Mais la société civile aussi a son rôle à jouer, parce que si on parle de parti politique, on dit que les partis politiques n’ont pas assumé leur responsabilité. Mais ils ne sont pas tombés du ciel. Ce sont des citoyens qui militent dans ces partis et qui votent en cas d’élection. Ils ont aussi leur mot à dire, ils doivent s’impliquer réellement pour qu’on puisse sortir de cette crise multidimensionnelle», a-t-elle dit.
Hadama B. FOFANA