Economiste émérite et gestionnaire financier, Modibo Mao Makalou fut l’un des collaborateurs du président Amadou Toumani Touré dit ATT de 2002 à 2012. Il garde de très bons souvenirs de l’ancien chef de l’Etat. “Mes souvenirs sont intarissables sous le magistère d’ATT qui fut une aventure fabuleuse effectuée en compagnie d’une équipe hétéroclite mais remarquable dirigée par un leader exceptionnel pour hisser le Mail au firmament des pays africains”, dit-il. Avant de rappeler que : “chef d’Etat, humanitaire, médiateur international puis président de la République, son amour pour la patrie était sans bornes, il vouait un intérêt viscéral pour tout ce qui touchait son pays et ses concitoyens et ne perdait jamais de vue l’intérêt général”. Voici son témoignage à l’occasion du 4e anniversaire du décès d’ATT.
Aujourd’hui-Mali : Quatre ans après la disparition du président ATT, quel souvenir gardez-vous de l’illustre défunt ?
Modibo Mao Makalou : Je remercie votre journal “Aujourd’hui-Mali” de me donner l’opportunité de rendre hommage à la mémoire du président Amadou Toumani Touré (ATT) et de pouvoir parler du personnage complexe et fascinant que j’ai connu d’abord dans un cadre familial dès mon jeune âge. Affable, polyglotte, humaniste et doté d’un grand sens de l’humour, le personnage était simple, humble et courtois, une marque des grandes âmes. Pétri d’intelligence, et d’une grande capacité d’écoute. En effet, c’est pendant une période charnière de son histoire que le Mali a perdu pour l’éternité un de ses fils les plus illustres dans sa soixante douzième année, le général Amadou Toumani Touré affectueusement appelé ATT. Paix à son âme et que le Tout Puissant l’accueille dans son paradis céleste.
La postérité retiendra que l’illustre disparu dont je salue la mémoire avait acquis sa célèbre renommée à travers le monde pour avoir tenu la parole donnée en menant avec une main de maître une transition agitée en vue de transmettre le pouvoir à un régime démocratiquement élu pour enfin se muer en soldat de la démocratie et du développement.
Pour ma part, j’ai perdu un frère aîné pour qui j’avais une grande admiration et surtout un mentor qui m’a appelé à ses côtés pour l’épauler dans la plénitude de sa mission au service de la nation.
Artisan de la paix, partisan du consensus et médiateur hors pair, le Mali perd un immense personnage. Son héritage est grandiose, les travaux qu’il a entrepris sont certes inachevés et imparfaits comme toute œuvre humaine mais il restait persuadé que les générations futures parachèveront l’œuvre d’édification nationale dans un proche avenir, perpétuant ainsi sa vision d’un Mali et d’une Afrique unis et prospères dans un monde en paix et solidaire.Le temps est un grand juge et c’est l’histoire qui fait l’éloge des illustres personnalités à travers leurs actions et leurs ouvrages.
Quelles sont ses plus grandes réalisations et quel bilan global faites-vous de son règne à la tête de l’Etat ?
Mes souvenirs sont intarissables sous le magistère d’ATT qui fut une aventure fabuleuse effectuée en compagnie d’une équipe hétéroclite mais remarquable dirigée par un leader exceptionnel pour hisser le Mail au firmament des pays africains.
ATT était un grand bâtisseur qui avait parcouru toutes les localités sans exception de notre vaste pays avant de briguer la magistrature suprême en fournissant surtout les services sociaux de base ce qui fera de lui irrémédiablement le fondateur du plus grand parti politique du Mali : le Parti de la demande sociale.
Le programme du chef de l’Etat ATT se déclinait, pendant son premier mandat de 2002 à 2007, en seize points qui pouvaient se résumer en cinq grands axes prioritaires : la restauration de l’autorité morale et de l’efficacité de l’Etat ; la consolidation d’une société solidaire, juste, participative et ouverte sur le monde ; le développement rural ; le développement d’une économie compétitive, moderne et créatrice d’emplois ; l’ancrage du Mali dans son histoire, sa culture et son système de valeurs, d’une manière qui lui permette de mieux se projeter dans le futur.
ATT avait une gestion axée sur les résultats, c’était un immense travailleur qui souhaitait réaliser la vision qu’il avait pour son pays. La mission et les objectifs stratégiques étaient fixés d’avance et le suivi de même que l’évaluation étaient de rigueur sous la houlette d’une équipe multidisciplinaire compétente. Il avait beaucoup misé sur la jeunesse et pensait transmettre le témoin à la génération suivante.
De 2002 à 2012, le bilan d’ATT a été globalement positif, voire élogieux. Nous pouvons souligner, entre autres, la construction des dizaines de milliers de logements sociaux, la multiplication du taux d’accès à l’électricité au Mali par 4 (8 % à 32 %), le financement de l’eau potable à la centrale de Kabala pour 170 milliards F CFA, l’obtention d’un don en 2006 avec le Millenium Challenge Corporation (MCC) par le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique d’un montant de 460,8 millions de dollars US soit 244,8 milliards de F CFA pour réduire la pauvreté et augmenter la croissance économique sur 5 ans, la construction de milliers de kilomètres de routes et pistes rurales pour le désenclavement Intérieur et extérieur et l’élaboration et la mise en œuvre d’une loi d’orientation agricole pour moderniser le secteur primaire et assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle…
Quel conseil donneriez-vous à la classe politique pour que le Mali connaisse le même rayonnement que sous ATT ?
Chef d’Etat, humanitaire, médiateur international puis président de la République, son amour pour la patrie était sans bornes, il vouait un intérêt viscéral pour tout ce qui touchait son pays et ses concitoyens et ne perdait jamais de vue l’intérêt général. Le président ATT était avant tout un rassembleur qui prônait le consensus et le dialogue et abhorrait la violence (physique et verbale) car il pensait que c’est dans l’union que l’on pourra accomplir des grandes choses.
Malheureusement, la géopolitique et la géostratégie ont écourté ses plans avec la déstabilisation de notre pays et de la région sahélo-saharienne par des conflits, le terrorisme et l’insécurité et de surcroît sans compter actuellement les effets dévastateurs de l’inflation et des changements climatiques sur les conditions de vie des populations.
En effet, ATT était un farouche partisan de l’intégration africaine et pensait faire de l’enclavement de notre pays un atout en lieu et place d’un handicap à travers le désenclavement intérieur et extérieur. Il avait une diplomatie très dynamique axée d’abord sur le bon voisinage et avait réussi à faire occuper des postes de premier plan à nos compatriotes dans les organisations régionales et internationales.
Il pensait que les investissements socio-économiques (santé, éducation, logement, protection sociale…) et productifs (agriculture, élevage, pêche, énergie, industries…) amélioreraient le niveau de vie de ses concitoyens. Mais aussi, il n’oubliait pas de réaliser des microprojets dans des zones rurales et reculées afin non seulement d’alléger les souffrances des populations les plus vulnérables, mais aussi de créer des activités génératrices de revenus pour ces mêmes populations.
Lorsqu’il a été sollicité pour se présenter au suffrage universel, il a mis beaucoup de temps avant de se décider car c’était un homme du peuple qui avait des relations dans toutes les couches de la population de notre pays. Faire le choix de créer ou d’adhérer à un parti politique l’aurait coupé d’une frange de ses relations, donc un choix cornélien pour lui.
Il se disait fier d’être le président du plus grand parti politique du Mali, le Parti de la demande sociale qui aiderait à améliorer les conditions de vie des populations maliennes. Surtout il a préféré une approche consensuelle de la gestion des affaires publiques pour remédier à la fragmentation des partis politiques et renforcer la cohésion sociale et l’unité politique pour bâtir un pays autour du thème : “Retrouvons ce qui nous unit”, car selon lui c’est l’union qui fait la force et la division qui affaibli les nations.
Réalisé par El Hadj A.B. HAIDARA
Amadou Koita, ancien membre du mouvement citoyen et ancien ministre :
“Le Mali a besoin d’un dirigeant comme ATT, homme de paix, de dialogue, de consensus et de devoir”
“ATT, c’était le champion du développement, il était dévoué pour la cause d’un Mali”
“Je demande aux dirigeants actuels et à la classe politique actuelle de s’approprier l’héritage du président Amadou Toumani Touré. C’était d’abord un homme de paix et de dialogue, de consensus, de devoir. Pour ATT, diriger, c’est servir mais non se servir. Pour ATT, diriger c’est se battre chaque jour pour l’intérêt du pays, c’est rassembler les Maliens, unir les Maliens autour de l’essentiel, c’est de faire en sorte que toutes les Maliennes et tous les Maliens participent à l’œuvre de l’unification d’un Mali nouveau”. Ces propos sont de l’ancien membre du Mouvement citoyen, Amadou Koïta, qui fut ministre sous feu Ibrahim Boubacar Kéita. Son témoignage sur feu le général Amadou Toumani Touré qui nous a quittés le 10 novembre 2020 en Turquie.
Amadou Koita
Je rends hommage à l’illustre de l’histoire, au soldat de la démocratie, au soldat du développement, au grand homme d’Etat, à l’homme politique et consensus, à l’homme humble, serviable, à ce grand homme qui est avec la même chaleur, les hommes de tous les classes sociales. Je prie pour le repos éternel de son âme. Amadou Toumani Touré était un homme qui aimait profondément le Mali et les Maliens, un homme qui, durant toute sa vie, à donner le meilleur de lui-même pour que le Mali devient un pays enviable et envié.
ATT, c’était le sourire, la convivialité. ATT, c’est l’homme dévoué pour la cause du Mali. ATT, c’est ce soldat qui s’est engagé, après avoir pris le pouvoir le 26 mars 1991, à organiser une transition réussie et à transmettre le pouvoir de façon pacifique au président démocratiquement élu.
ATT, c’est l’homme d’engagement puisqu’il a fait démentir tous ceux qui pensent que les militaires, une fois au pouvoir, ont une certaine prétention de vouloir confisquer le pouvoir. Le président ATT a organisé l’une des transitions les plus réussies en Afrique. D’ailleurs, c’est grâce à ATT que le Mali a été cité comme un exemple à la pratique démocratique. A ce grand homme, nous prions que son âme repose en paix.
Sur le plan politique, ATT, c’est un homme de consensus. D’ailleurs, dès son accession au pouvoir en 2002, il a prôné la gestion consensuelle du pouvoir. C’est celui qui a réussi à mettre autour de la table du conseil des ministres des hommes politiques qui avaient une certaine adversité qui frôlait l’animosité. C’est grâce à ATT qu’un parti comme le PSP de feu Fily Dabo Sissoko et le RDA, Rassemblement démocratique de feu Modibo Kéita, se sont retrouvés autour de la table au conseil des ministres. C’est grâce à ATT que les partis du Mouvement démocratique et le MPR, héritier de feu le général Moussa Traoré, se sont retrouvés autour de la table du conseil des ministres pour le seul intérêt du pays. C’est celui qui a pacifié aussi l’espace politique. D’ailleurs, le slogan phare du président ATT était ‘Retrouvons ce qui nous unit’.
Sur le plan économique que de réformes structurelles ! Des reformes qui ont permis à l’économie malienne d’être une économie émergente. ATT, c’est également la construction des milliers de kilomètre de routes. Il disait d’ailleurs “que le développement d’un pays passe d’abord par le développement des routes”. ATT, c’est le 3è Pont de Bamako, c’est l’Echangeur du 2è pont, c’est le pont Wabaria de Gao, c’est la construction de l’Université de Kabala, c’est la construction de l’Hôpital du Mali, c’est la construction de l’hôpital Somino Dolo de Sévaré.
ATT, c’est l’aménagement des milliers d’hectares. ATT, c’est la Journée des paysans au Mali, c’est la construction de la Maison des femmes parce que pour ATT, le développement du pays passe également par le développement et l’épanouissement, l’émancipation des femmes.
ATT, c’est la gratuité de la césarienne, c’est l’Assurance maladie obligatoire, c’est le Millenium Challenge, c’est également des cinq kilomètres de routes dans toutes les capitales régionales et dans beaucoup de cercles du Mali. ATT, c’est également l’emploi des jeunes, parce que son combat était un combat contre le chômage, le combat pour l’emploi des jeunes à travers la création de l’Apej. L’emploi des jeunes qui a permis à des milliers des jeunes volontaires pour faire des stages de pré-qualification et aujourd’hui beaucoup ont eu la chance d’avoir des contrats à durée indéterminé.
ATT, c’est les logements sociaux à Bamako et dans toutes les capitales régionales. Puisque, c’est ATT qui a également déconcentré et décentralisé les logements sociaux, qui a permis à des milliers de maliens qui n’avaient jamais pensé à avoir chez soi, être propriétaire d’un logement.
Bref parler du bilan de ATT, n’est pas facile, car il était un chef de chantier qui avait le sourire aux lèvres lorsqu’il procédait à la pose de la première pierre, soit à l’inauguration.
ATT, c’était le champion du développement. ATT, c’est ce président qui a tant donné, qui a fait du Mali ce qui l’ai aujourd’hui. Ce grand homme au grand destin a donné le meilleur de lui-même donc son bilan ne peut être qu’un bilan positif dans tous les domaines. C’était également l’homme de paix. C’est lui qui organisé la signature du pacte national pour mettre fin à la rébellion en 1991 et 1992. Les accords d’Alger puisque ATT a toujours estimé que la guerre finit autour de la table. Qui vaut mieux revenir, se retrouver autour du Mali, créer les conditions des négociations pour la paix. D’ailleurs, si on l’avait écouté, notre pays n’allait pas être dans la situation actuelle. Le Mali a besoin aujourd’hui d’un dirigeant comme ATT. Je ne peux que lui rendre hommage. ATT, c’est la subvention des intrants agricoles, c’est le Millenium Challenge qui a permis d’aménager des milliers et des milliers d’hectares à l’Office du Niger et la rénovation de l’aéroport de Bamako. C’est également la construction du canal Kadhafi à l’Office du Niger.
Ce que je retiens de l’ensemble de son bilan et ce qui m’a beaucoup frappé, pour ATT, c’est que le développement d’un pays passe par l’éducation, la santé, la sécurité alimentaire. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est surtout l’Amo.
Au début, il n’était pas compris et a subi quelques critiques mais aujourd’hui l’Amo permet à des millions de maliens de se soigner à un coût abordable. L’Amo aujourd’hui est une fierté pour le Mali. D’ailleurs, beaucoup de pays, dans la sous-région, sont venus s’inspirer du cas malien.
On ne cesserait jamais de remercier ce grand homme pour son amour pour ce pays et pour son amour pour les enfants. Il fut un dirigeant modèle, exemplaire.
Je demande aux dirigeants actuels à la classe politique actuelle de s’approprier de l’héritage du président Amadou Toumani Touré. C’était d’abord un homme de paix et de dialogue, de consensus, de devoir.
Pour ATT, c’est diriger, c’est servir mais non se servir. Pour ATT, c’est diriger c’est de se battre chaque jour pour l’intérêt du pays, c’est de rassembler les maliens, d’unir les maliens autour de l’essentiel, c’est de faire en sorte que toutes les maliennes et maliens participent à l’œuvre de l’unification d’un Mali nouveau. Puisse l’exemple de ATT puisse servir les dirigeants actuels, servir la classe politique actuelle pour que nous nous retrouvions tous autour de l’essentiel afin de relever le défi énorme auxquels notre pays est confronté”.
Réalisé par El Hadj A.B.H
Thierno Hass Diallo, ancien ministre : “Je porte ATT dans mon cœur …” “Simplicité du soldat, amour de la patrie,
ATT aura été un bel exemple d’homme d’Etat …”
ATT, pour en évoquer, en moi, c’est l’émotion. Et difficilement, je parlerai de l’homme sans Lobbo, son épouse et Seydou Sissouma, symbole de la loyauté dans la collaboration. ATT, c’est cette présence physique chaque année à la Semaine de l’enfant albinos que j’initiais au nom de l’Association SOS Albinos. Et dites-vous que la première fois, il était en les lieux au Centre Islamique d’Hamdallaye avant nous les organisateurs ! ATT, c’est le républicain. Jamais, dans nos causeries au siège de sa Fondation en face de l’EN Sup, il n’a prononcé le nom du chef de l’Etat en exercice. Toujours, il disait le “Président”.
Thierno Oumar Hass Diallo
A l’époque du Coppo avec la médiation de Carter, il me dit un jour : “Thierno, de ma chambre d’hôtel à Bangui, j’entendais le bruit des bombes. Les gens ne connaissent pas la guerre. Je ne le souhaite pas pour le Mali”. ATT, c’est les accolades chaleureuses dont j’étais objet à chaque dépôt de gerbe au monument des Martyrs, le 26 Mars.
Je porte Amadou Toumani Touré dans mon cœur mais pas en pharisien. Je sais combien l’homme et son épouse avaient de l’estime pour moi. Dans son salon de Koulouba, une nuit vers 23 heures, je fus reçu par le président ATT. L’image me restera graver à jamais. Il portait un boubou blanc et Lobbo drapée d’un voile blanc aussi. Et regardant la télé, ATT qui me fixait d’un regard pensif me teint cette phrase : “Thierno, tu pars ? Rassure-toi que partout où tu seras, j’aurai un œil vigilant sur toi”. C’était à la veille de mon départ pour Bruxelles comme conseiller à l’ambassade. Une nuit d’émotion. Un souvenir triste pour ne plus se revoir qu’au lancement du Dialogue national inclusif au Palais de la culture. Simplicité du soldat, amour de la patrie, d’esprit positif, ATT aura été un bel exemple d’homme d’Etat plein d’humilité. Dors en paix, l’Enfant de Mopti !
Réalisé par El Hadj A.B.H