Notre Paul Pascon manque à nos jeunes ruraux

Point de vue Par Pr. Jamal Eddine NAJI Officiellement, le recensement 2024 retient que nous sommes un peu moins de 37 millions à habiter le Maroc (avec quelques 150.000 étrangers). Des Marocains et Marocaines qui vivent à 63% dans le monde urbain. Mais qui ne sont plus que 13,7 millions à habiter nos campagnes et... L’article Notre Paul Pascon manque à nos jeunes ruraux est apparu en premier sur ALBAYANE.

Notre Paul Pascon manque à nos jeunes ruraux
   press.ma
Point de vue Par Pr. Jamal Eddine NAJI Officiellement, le recensement 2024 retient que nous sommes un peu moins de 37 millions à habiter le Maroc (avec quelques 150.000 étrangers). Des Marocains et Marocaines qui vivent à 63% dans le monde urbain. Mais qui ne sont plus que 13,7 millions à habiter nos campagnes et montagnes, perdant, en une décennie, plus de 2 millions de ruraux, au profit des villes, en affichant un taux d’augmentation annuel d’à peine 0,22% depuis 2014, contre 0,85% à l’échelle nationale (taux de 1,25% sur les dix années précédentes) et un taux de 1,24% en milieu urbain…Une des causes structurantes de cette baisse de la population rurale : un exode rural que nombre de spécialistes considèrent fort alarmant… Leurs projections nous annoncent une réduction de cette population à 11,5 millions à l’horizon 2050, deux autres millions à perdre ! Ce recul de notre paysannerie est en marche dans plusieurs régions du Royaume. Depuis 2014, dans les provinces du Nord, la population rurale a perdu près de 35.000 personnes ; à l’Est, plus de 11.000 ; dans la région du Saïss, perte de près de 60.000 ruraux… Nos villes s’étendent et se peuplent, en partie, grâce au dépeuplement de nos zones rurales ! Un monde rural qui a été le premier sillon de recherches pour notre jeune sociologie post-coloniale qui doit beaucoup au regretté Paul Pascon avec son équipe de jeunes chercheurs des années 60 et 70, de l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II. Adepte passionné de la recherche-action, « P’tit père » Pascon a sillonné, avec ses jeunes compagnons enquêteurs le pays pour aller justement au-devant de leur génération en milieu rural…. Car, estimait-il « Il est incontestable que des possibilités immenses de changement et de progrès existent aujourd’hui au moyen de la jeunesse. Il est certain que la solution du sous-développement est d’utiliser l’incroyable poussée de désirs, de passions, d’espérance d’hommes jeunes de plus en plus libérés pour construire enfin un monde habitable et délivré de ses veilles angoisses ». Aux jeunes ruraux la parole, aux politiques les petits centres ! « Les jeunes nous poussent à réorganiser le monde », martelait-il, en commentant sa fameuse et fondatrice enquête d’entretiens avec 296 jeunes ruraux, conseillant aux chercheurs comme aux décideurs : « Laissons les jeunes parler… ».  Les jeunes, âgés de 15 à 34 ans qui, 40 ans après la tragique disparition, en 1985, de ce grand sociologue marocain (dans le désert mauritanien, en mission de recherche toujours !), représentent maintenant 32% de la population totale du pays, mais qui n’occupaient qu’un emploi formel sur 4, en 2023. Entre 2016 et 2023, le monde rural a perdu 1 million d’emplois ! Et en 2050, 74 personnes du monde rural dépendront de 100 personnes actives ! Ce Maroc rural, déjà en trajectoire de forte baisse, a de critiques perspectives devant lui pour son avenir, pour sa jeunesse, sa sève centrale. La jeunesse, une force que Pascon sondait, avec écoute inédite alors pour la sociologie marocaine (coloniale et post-coloniale avec J.F. Troin par exemple, auteur de « Les souks marocains »), dans le but ultime d’approcher le devenir du tissu social qui, pour Pascon, allait se jouer dans des espaces bien particuliers, c’est-à-dire les espaces des petits centres, premiers horizons d’urbanité vers lesquels tend et regarde le rural, particulièrement le jeune. « Les petits centres sont les éléments dominants, c’est là surtout qu’il y a création de nouvelles manières autochtones, de petites entreprises (on ajouterait, de nos jours, des Unités de Production Informelles – UPI- NDLR), de nouveaux modes de vie. C’est assez volcanique ce qui se passe dans les petits centres et c’est pourtant mal perçu. L’exode des jeunes, le développement du chômage, s’ils plafonnent dans les villes, s’orientent dorénavant vers les petits centres, c’est là qu’il y a le petit banditisme, que se développe un système marginal de rapines, de petites drogues, de corruption, et c’est aux petits centres que les paysans ont affaire pour l’administration, la gestion. C’est dans les petits centres de 10.000 à 30.000 habitants que se situe la plus grande fermentation sociale. C’est là qu’est l’avenir ». De nos jours, Pascon aurait complété sa liste par les cyber-cafés, les blogs et youtubeurs, les E. Plateformes, l’élu local « « Al mountakhab », la commune (« Al Jamâa »), l’ONG plus ou moins indépendante, l’activiste associatif plus ou moins désintéressé, le prédicateur plus ou moins recruteur, des streaming-radios locales, des enseignes de la malbouffe, des guichets de banque, de « wafasalaf »… Avez-vous relevé dans nombre de ces petits centres la tendance d’employer comme « garçons de café » des filles ? Signe d’une fermentation sociale manifeste par rapport au proche passé et à la misogynie millénaire de nos campagnes… Un proche passé vécu par le « P’tit père », grand par ses prémonitions inspirées par l’écoute de terrain. Quelle écoute nous faudrait-il maintenant avec notre jeunesse rurale, vivant encore les différentes marginalisations et vulnérabilités diagnostiquées déjà par Pascon (chômage, déviations plus ou moins criminelles, drogues, corruption, déficits du système scolaire, déscolarisation) et en même temps les quasi-ingérables risques et pièges de l’ère numérique (cybercriminalité, cyberharcèlement, fake news et désinformation, ventes fallacieuses de toute sortes, y compris l’eldorado de l’émigration illégale et suicidaire…).. ? Il nous manque, Pascon, ce père de notre sociologie rurale qui, en tant que père, a supporté la mystérieuse disparition – à ce jour ! – de ses uniques enfants, Nadine et Gilles, en 1976, dans le désert, entre Tan-Tan et Tarfaya, soit près de 10 ans avant sa mort…. On a besoin de lui et/ou de son héritage (son concept de « société composite ») pour évaluer cette nouvelle éruption du volcan de la jeunesse rurale marocaine et pour que le politique invente, se dépasse et travaille, avec écoute, sérieux et humilité comme lui, en vue d’apprivoiser ce volcan à l’aune du « développement humain » … Un concept que n’utilisait pas encore la communauté internationale et son système onusien du temps de Pascon, et dont il a fait, lui, son unique religion ! Notre jeunesse rurale, qui doit-elle prier à présent pour ce faire ? L’article Notre Paul Pascon manque à nos jeunes ruraux est apparu en premier sur ALBAYANE.