Pratique courante en Occident, la publicité et le placement de produits dans les films peinent à s’établir comme une pratique standard dans l'industrie cinématographique marocaine. Un manque à gagner énorme pour le secteur, pourtant en mal de financement.
Plus d’une semaine après la fin de la 21ème édition du Festival International du Film de Marrakech (FIFM), le moment semble opportun pour évaluer l’état de notre écosystème cinématographique. Cet événement, vitrine incontestée de la créativité marocaine, a une fois de plus mis en lumière le potentiel croissant de notre industrie et la volonté du gouvernement à promouvoir le secteur, comme en atteste le dernier rapport du Centre Cinématographique Marocain (CCM), qui met en évidence la croissance impressionnante des Fonds d’aide alloués au secteur, passés de 4,95 millions de dirhams en 2013 à 28,50 millions en 2023. Cependant, la grande déception des productions marocaines présentées lors du festival est l’absence quasi totale de publicité et de placements de produits dans les films. Un potentiel inexploitable qui pourrait pourtant contribuer à la diversification des sources de financement et au rayonnement du cinéma marocain. Aux Etats-Unis, terre bénie du 7ème art, les dépenses en placements de produits pourraient atteindre 23,5 milliards de dollars d'ici 2026, selon un rapport de PQ Media, avec une projection mondiale de près de 41,5 milliards de dollars. Dans les films américains, mais aussi en France, en Espagne ou encore en Turquie, les logos des marques sont affichés de manière plus ou moins subtile dans les scènes, et certains annonceurs vont jusqu’à demander aux scénaristes d’ajouter des scènes spécifiques mettant en avant leurs produits. Il s’agit aussi d’inclure des plans avec des panneaux publicitaires ou des marques en arrière-plan. Ça démarre, mais doucement Il est vrai qu’au Maroc ces pratiques commencent à trouver leur place doucement, surtout dans les séries et sitcoms marocains, particulièrement ceux destinés à la période ramadanesque, mais le manque à gagner reste énorme. «En effet, le placement de produits a commencé à faire apparition dans les séries, mais au cinéma on n’y est pas encore parce que les enjeux ne se sont pas suffisamment importants», nous déclare le réalisateur Nabil Ayouch, précisant qu’il faut d’abord construire un marché intérieur fort et que ce n’est qu’après qu’on pourra parler de ce genre de financements parallèles. Des propos qui tiennent le fil, car, malgré le boost de soutien annoncé par le CCM, le nombre de long-métrages produits en 2023, par exemple, ne dépasse pas les 34 films, lesquels n’arrivent pas à séduire le public marocain. Toujours, selon les données du CCM, les films américains se taillent la part du lion, avec 85 films projetés, représentant 791.966 entrées (soit 46% du marché) pour des recettes atteignant 41 millions de dirhams (MDH), tandis que les films marocains occupent 35% du parc de salles. Pour les annonceurs, les perspectives à moyen terme sont prometteuses, mais pour l’instant le retour sur investissement serait limité, surtout que la collaboration cinématographique implique des cahiers des charges «très stricts», et qui imposent dans plusieurs cas «le passage par des intermédiaires», créant quelques sensibilités juridiques.
D’où la nécessité de promouvoir le cadre régulateur, selon Hafid Stitou, producteur et réalisateur, pour ouvrir plus de voies aux producteurs. Bien que le CCM supervise la production et la diffusion des films, aucune loi ne traite directement de la question des publicités intégrées. Les placements de produits opérés jusqu'à présent relèvent principalement d'accords contractuels entre les marques et les producteurs, laissant un vide juridique qui pourrait être exploité. Et cette absence de cadre juridique spécifique crée une incertitude, principalement chez les annonceurs, apprend-on de nos interlocuteurs. Les budgets limités des productions locales rendent difficile la mise en place de collaborations stratégiques avec les grandes marques. Les efforts de financements fournis par le CCM sont «peu et beaucoup» pour un pays qui émerge comme le Maroc, mais il faut encourager les détenteurs de fonds à «investir dans le cinéma et dans les réalisateurs, surtout les jeunes», plaide Hafid Stitou. Maintenant que les projecteurs sont rivés vers le projet de loi n° 18.23 relatif à l’industrie cinématographique, réorganisant également le CCM, nos interlocuteurs préconisent une stratégie concertée impliquant toutes les parties prenantes : producteurs, annonceurs et institutions publiques. Un cadre juridique clair, qui encouragerait les annonceurs à travers des incitations fiscales pour les annonceurs et qui établirait le placement de produits comme une pratique standard dans l'industrie cinématographique marocaine.
Trois questions à Daoud Aoulad-Syad, réalisateur marocain : « Notre marché cinématographique est encore jeune pour intégrer la pub »
Comment évaluez-vous les financements accordés à l’industrie cinématographique au Maroc ? Malgré le soutien du Centre Cinématographique Marocain (CCM), les financements restent insuffisants, surtout quand il s’agit de productions ambitieuses ou de films de qualité internationale. Au Maroc, nous avons principalement accès au fonds d’aide, et bien sûr à la télévision, mais là encore le processus de sélection est kilométrique et non garanti. Par ailleurs, les producteurs indépendants qui réalisent parfois des films commerciaux font face à des limitations, car, à part ce fonds d’aide, il n'existe pas d’autres sources de financement substantielles. En Occident, notamment aux États-Unis, le placement de produits est devenu une partie intégrante du cinéma. Qu’en est-il au Maroc ? Au Maroc, nous n’avons pas encore développé une véritable industrie cinématographique à cet égard. Le cinéma est pour nous à la fois un art et une industrie, mais notre marché est encore jeune. Nous accueillons de nombreux tournages étrangers, souvent réalisés par des producteurs exécutifs qui ne sont pas toujours des producteurs à part entière. Malheureusement, cela reflète une carence au niveau de notre industrie locale. Personnellement, si je n’ai pas accès à des financements, il m’est extrêmement difficile de réaliser un film, d'autant plus que mon style cinématographique nécessite des ressources particulières. Le secteur cinématographique marocain évolue, mais il peine à trouver son rythme de croisière. Comment les comédiens peuvent-ils améliorer leur situation, tant en quantité qu’en qualité ? Nous avons la chance d'avoir des comédiens qui, en plus du cinéma, travaillent dans des téléfilms et des séries, ce qui leur permet de mieux vivre de leur art. Cependant, dans le cinéma pur, la situation est plus complexe, car les tournages sont moins fréquents. Par exemple, si j’ai eu l’opportunité de réaliser un film cette année, il est possible que je doive attendre trois ou quatre ans avant de pouvoir en réaliser un autre. D’ailleurs, mes deux dernières productions ont un intervalle de six ans. Cette rareté des productions pose un vrai défi pour les acteurs, car il leur est difficile de maintenir une carrière stable et croissante dans le cinéma marocain.
Loi n°18.23 : La réforme en marche
Après l’adoption du projet de loi n°18.23 relatif à l’industrie cinématographique et à la réorganisation du CCM, le Bureau Exécutif de la Chambre Marocaine des Producteurs de Films (CMPF) a salué les dispositions du texte qu’il considère comme une avancée significative pour le développement de l’industrie cinématographique. Il s’agit d’un un levier stratégique pour structurer et dynamiser le secteur, selon le communiqué du CMPF, qui estime que cette réforme permettra de soutenir la production locale et d’attirer des projets internationaux. La Chambre précise que la collaboration entre les différentes parties du secteur a été essentielle pour l’enrichissement du texte législatif, prenant en compte les préoccupations et les propositions des professionnels de la filière.
Agréments de production : Plus de rigueur
Deux types d’agréments ont été instaurés par la nouvelle loi pour les sociétés de production souhaitant réaliser des œuvres cinématographiques, avec des critères spéci ques pour leur attribution, suspension et retrait, ainsi que des délais de décision déterminés par le Centre Cinématographique Marocain (CCM). Il existe des agréments nationaux pour les productions réalisées au nom de personnes physiques marocaines ou résidentes, ou de personnes morales soumises au droit marocain, et des agréments internationaux pour les productions réalisées au nom de personnes physiques étrangères non résidentes ou de personnes morales non soumises au droit marocain. Ces derniers ont une durée de cinq ans, renouvelable selon les conditions et modalités prévues. L’agrément national est accordé aux sociétés de production répondant aux critères suivants : un capital social d’au moins 500.000 DH pour les sociétés anonymes, ou 300.000 DH pour les sociétés à responsabilité limitée, totalement libéré ; avoir produit au moins un long-métrage cinématographique, ou deux longs-métrages coproduits à hauteur de 50% du coût total de chaque lm, ou trois courts-métrages. L’agrément international, quant à lui, est accordé aux sociétés de production qui remplissent les conditions suivantes : avoir obtenu l’agrément national depuis au moins trois ans ; avoir réalisé, au cours des trois années précédant la demande, la production d’un long-métrage cinématographique, ou de deux longs-métrages coproduits à hauteur d’au moins 50% du coût total de chaque lm, ou trois courts-métrages tournés au Maroc.