La 15e Biennale de l’art contemporain africain est finie depuis trois mois maintenant. Mais nul doute que l’espace-hommage à Anta Germaine Gaye restera longtemps gravé dans l’esprit des milliers de visiteurs qui ont arpenté l’ancien Palais de justice du Cap Manuel. L’artiste et spécialiste du sous-verre a réussi la prouesse de faire remonter le temps à ses visiteurs.
A mesure que l’on descend les marches menant à cette aile de l’ancien Palais de justice de Dakar, les machines du temps nous propulsent dans le passé. Le décor de l’édifice, qui sert d’écrin à l’exposition internationale de cette 15e édition de la Biennale de l’art contemporain africain, est merveilleusement adapté à l’hommage qui est rendu à l’artiste Anta Germaine Gaye. De la porte de l’appartement à la cour intérieure, les pièces ont été investies par les œuvres de l’artiste. Mais au-delà, c’est toute une atmosphère, tout un art de vivre que Anta Germaine Gaye partage à travers des tableaux et installations. Le clou de cette exposition, cette chambre que l’on admire à travers des vitres. A l’intérieur, reconstitué avec minutie, le décor d’une chambre saint-louisienne du début du siècle. Téléphone, vaisselles d’époque, lit, parures, gramophones et des photos au mur nous ramènent dans ce Ndar où les femmes, coquettes jusqu’au bout des doigts, tenaient salon et sortaient les après-midi pour le célèbre Takussan ndar. «Cette exposition, c’est un espace qui évoquera mes origines, les sédiments qui font le substrat de ce que je suis», confie la maîtresse d’œuvre de cette installation, à la veille de l’inauguration. En ce dimanche où nous visitons l’exposition, Anta Germaine Gaye prend l’air sous un arbre dans la cour. Installée sur une natte, les coudes sur un oreiller dodu et coloré, elle fait face à un joueur de kora. Tout autour, les marques de son art, entre le fer et le verre.
Un père vétérinaire, une mère normalienne
Quelques jours avant cet hommage en grande pompe, nous avions rencontré l’artiste au Cap Manuel. Occupée à parfaire son installation, c’est une Anta Germaine toute joyeuse qui nous reçoit en haut des marches de l’ancien palais. En robe, un béret coquettement incliné sur la tête, les mains passées au henné, elle se déplace avec cette allure toute saint-louisienne qui la caractérise. Dans la famille où grandit Anta Germaine, l’art n’était pas vraiment une option de départ. Entre un père vétérinaire et déjà engagé dans le champ politique (il occupera plus tard des fonctions ministérielles) et une mère normalienne et cadre de l’éducation nationale, la jeune Anta reçoit une éducation privilégiée mais stricte. Et tout la destine aux Lettres. «Lorsque j’étais à l’Université de Dakar, au moment d’aller faire l’Ecole normale pour apprendre à enseigner les Lettres, je me suis rendu compte que j’allais passer à côté de ma vie. J’adore la littérature et les Lettres, mais passer ma vie à enseigner, j’ai senti qu’il y avait quelque chose d’essentiel et de capital à côté de quoi j’allais passer.» Alors, on coupe la poire en deux. Plutôt que d’aller apprendre à enseigner les Lettres, elle apprend à enseigner les arts. Une façon d’assurer «sécurité, retraite et prise en charge sanitaire en tant que fonctionnaire». De quoi surtout rassurer des parents que «cette fantaisie» n’enchante guère. Après presque 40 ans, pas de regret. «Je ne regrette pas. Ça m’a permis de ne pas faire de compromission avec mon inspiration. Je ne me suis jamais retrouvée à travailler sur commande, je me suis même payé le luxe de refuser des travaux de commande.» Dans cette vie d’artiste pas du tout «marginale», Anta Germaine Gaye fait ses armes à l’Ecole normale supérieure d’éducation artistique, démembrement de l’Ecole nationale des beaux-arts. «Et au terme de 4 années d’études, je suis devenue professeure d’éducation artistique. J’ai exercé ces fonctions jusqu’à ma retraite en 2013.» Paolo Coelho dit que dans la vie, tout est signe. Chez Anta Germaine, ces signes arrivent au hasard. Il en est ainsi de sa rencontre avec le verre. «Quand je suis venue faire le test de l’école, le professeur d’histoire de l’art, c’était Michèle Strobel, qui a écrit un livre avec Renaudot, grand photographe, sur la peinture sous verre (Michèle Baj Strobel et Michel Renaudeau, Peinture sous verre du Sénégal, Editions Fernand Nathan, Paris, 1984, 107 p.). «Michèle Strobel m’a demandé d’analyser une image et c’était une peinture sous verre.» Le virus du sous-verre était contracté. Le temps de la formation, il va mûrir et habiter l’âme de l’artiste. «Le professeur m’a dit que le sous-verre n’est pas une peinture académique, et d’aller à Ker Jean Thiam pour apprendre à le faire. Mais j’ai voulu en faire tout de suite. Comme l’école était une vraie cour des miracles, j’ai pris un bout de verre et j’ai commencé à essayer. Quand vous vous maquillez par exemple, vous mettez d’abord un fond de teint, la poudre, les cils et tout. Mais si vous peignez sur le verre, si vous faites la même chose, vous ne pourrez pas mettre les détails. C’est un système inversé. Je me suis rendu compte que je m’étais trompée et j’ai voulu gratter. En grattant, j’ai trouvé que c’était plus intéressant. J’ai travaillé, j’ai ajouté des éléments, gratté d’autres éléments, j’ai collé du tissu, je me suis lâchée. Je n’avais pas d’atelier chez moi et j’avais posé une plaque de verre sur mon lit. J’ai posé la main dessus et ça s’est cassé. Mais le verre s’est cassé d’une manière extraordinaire. Ça m’a donné une idée. J’ai collé et j’ai fait un vitrail. C’est quelque temps après que j’ai eu le temps d’aller Ker Jean Thiam. On m’a mis en relation avec Mor Guèye. Mais j’ai réalisé que je ne voulais pas peindre comme eux. J’ai compris que je n’avais pas de limites», se remémore l’artiste.
La première exposition de Anta Germaine est un succès. Mais surtout, elle entérine la validation du père. «Ce qui l’a convaincu surtout, c’est lorsque j’ai présenté mon sujet de fin d’études. Les études durent 4 ans et au bout de deux ans, on choisit un sujet que l’on traite de façon plastique. J’ai choisi comme sujet la parure chez la femme traditionnelle des 4 communes, la femme musulmane puisque les Signares étaient catholiques. Et moi, j’avais choisi la parure parce que j’aimais bien m’arranger et je pensais à mes bajjen, à ma grand-mère goréenne, à ma mère qui était une élégante femme dont la renommée est vivace encore», raconte Anta Germaine Gaye.
«La peinture sous verre est comme le griot, elle exalte et elle narre»
Depuis, l’histoire du verre s’est réécrit au Sénégal. Au départ, il s’agissait de chromolithographies qui venaient du Maghreb. Par la suite, les thèmes religieux et les figures religieuses du terroir se sont substitués aux figures du Maghreb. «Le thème, de religieux, est devenu profane, puis satirique. Ensuite, la peinture sous verre est devenue la mémoire de ce qui se passait au fil des temps et des espaces. Dans ces temps où il y avait des assistants de la coopération française, les gens venaient et disaient «dessinez-moi Tintin». Vous aviez aussi les gens qui ont commencé à voyager et aller en Côte d’ivoire. C’est là que Mami Wata, le génie tutélaire, est apparue. Michèle Strobel en parle. Il dit que la peinture sous verre est comme le griot, elle exalte et elle narre.» Cette magie qui permet de manipuler, réinventer et réécrire cet art du sous-verre, c’est ce qui enchante Anta Germaine. Et quand elle raconte tout ce qu’elle a pu faire, ses yeux pétillent et la joie illumine son visage. «J’ai commencé à travailler avec des verres cassés que j’ai récupérés. Ensuite, j’ai fait la découverte d’un verre qui s’appelle triplex. C’est un verre où il y a deux couches, et entre les deux feuilles de verre, il y a un plastique. Et donc quand le verre se casse, il n’éclate pas. Comme je dis, pour moi, le verre, c’est quelque chose de précieux. Donc quelque chose de précieux, on ne s’en défait pas. Et puis ces cassures introduisent une vie supplémentaire.»
Celle qui se définit comme une pionnière garde toujours son envie des débuts. «Je suis réellement une pionnière. Et sans l’avoir choisi. Ce sont les circonstances de la vie qui ont fait que j’ai commencé quelque chose de particulier à un moment précis.» Anta Germaine Gaye a inscrit son nom au panthéon du sous-verre. Une prouesse si l’on sait qu’elle a dû tracer son chemin dans un monde d’hommes. Les grands maîtres du sous-verre sénégalais ont pour noms Babacar Lô, Gora Mbengue, Mor Guèye, Mamadou Gaye et Serigne Ndiaye. Seule femme dans ce microcosme artistique, elle en est aujourd’hui la pionnière pour avoir réinventé les codes du sous-verre et écrit en lettres d’or une tradition lointaine qui remonte au Moyen Age français. «J’aime bien transmettre, partager. J’aime expliquer. C’est impératif pour moi. Je dois aider à saisir ce qui se passe, je dois aider à ne pas oublier ce qui s’est passé. C’est comme une mission», dit-elle en guise de profession de foi.
Par Mame Woury THIOUBOU – mamewoury@lequotidien.sn
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