Bientôt nonagénaire, Ali Nouhoum Diallo reste encore un fervent militant sur la scène politique. Acteur majeur de l’avènement de la démocratie dans notre pays, le Pr de médecine a toujours de la verve a défaut de la fougue juvénile et reste encore le plus actif de sa génération sur la scène politique malienne.
Président de l’Assemblée nationale est convaincu qu’un homme politique ne quitte jamais la scène politique à plus forte raison d’abandonner contrairement au politicard qu’il accuse d’être toujours dans les combines permanentes d’intérêt personnel. Portrait d’un témoin vivant des évènements de Mars 91 qui continue de veiller au grain malgré le poids de l’âge
Fils d’un berger et d’une bergère, comme il aime à le répéter et s’en montrer fier, il aurait pu choisir la médecine animale pour soigner son troupeau et ceux d’autres personnes ou encore les lettres au regard de son aisance avec la langue de Molière pour devenir un écrivain prolixe. Mais par conviction, Ali Nouhoum Diallo a plutôt opté pour la médecine humaine afin de s’occuper de ses semblables avec la volonté de leur apporter des soins de qualité. Cela, malgré l’opposition de certains de ses enseignants dont un certain Amadou Ingré Dolo qui aurait voulu le forcer à opter pour une carrière dans l’administration alors que le jeune étudiant avait les yeux rivés sur les hôpitaux. «J’ai été médecin malgré mon maître Amadou Ingré Dolo. Il m’a enseigné la pédagogie pour que je devienne un bon instituteur», se remémore toujours celui qui est actuellement âgé de 87 ans. Opiniâtre, l’étudiant poursuivra la voie qu’il souhaitait emprunter contre vents et marées. Et la suite, on la connait !
Né à Bébéré, Région de Douentza, Ali Nouhoum Diallo fait ses premières années scolaires à Sévaré avant de rallier Bamako pour les classes supérieures. Les 1er et 2e Bac décrochés en 1958 et 1959, il rejoindra Dakar plus tard. Puis, s’en suivra ensuite l’aventure française à partir de 1961 où il posera ses valises dans un premier temps à Marseille avant de se retrouver à Tours. Une fois la formation universitaire terminée en médecine, il regagnera le Mali en 1976 après quelques années d’exercice dans des hôpitaux français. Le médecin interniste qui a obtenu son agrégation à Paris et qui ne s’est pas laissé désorienter de son choix de formation justifie sa posture d’étudiant rebelle, comme il aime lui-même à le dire sur un ton humoristique, par cette phrase : «Est rebelle toute sa vie, celui à qui on refuse de façon illogique ce qu’il veut faire.» Ironie du sort, il s’occupera d’un malade du nom d’Amadou Ingré Dolo sur un lit de l’hôpital du Point G. Celui-là même qui ne voulait pas le voir porter la blouse blanche. «Venu sur un brancard, il repart de l’hôpital sur ses pieds. Ce jour-là, il a dit : Ali, tu peux devenir médecin et on a tous éclaté de rires», se rappelle le Professeur.
Médecin de formation, Pr Ali Diallo explique son entrée sur la scène politique, non pas, par effraction, mais par souci de guérir les maux de la société après avoir été confronté de façon quotidienne aux maux corporels de ses malades. «Les malades nous arrivaient fréquemment. Certains pour de la malnutrition évidente, d’autres pour des problèmes somatiques, c’est-à-dire psychologiques. Pour les cas somatiques, la consultation ne relève rien d’anormal sur leur état physique. Une fois qu’on leur parle normalement, les nourrit, ils retrouvent le sourire. Mais dès qu’ils retournent pour se confronter à leurs soucis quotidiens, ils redeviennent malades. En ce moment, il vaut mieux aller à la source du problème», explique Ali Nouhoum Diallo pour qui il faut guérir les maux de la société qui sont transmis aux humains pour pouvoir toucher à la racine du problème. Ainsi, c’est fort de cette nécessité interpellatrice qu’il explique se retrouver sur la scène politique. «Je suis à la politique à la suite de cette conviction comme le canard va à la mer. Donc, je me définis souvent comme un médecin qui s’est égaré, dans un premier temps, dans le mentalisme.»
En évoquant le mentalisme, il fait référence à la perception initiale erronée qu’il avait de la politique en ne voyant en le pouvoir que les délices dont il dit ne pas vouloir. «Je ne voulais pas qu’il apparaisse auprès de l’opinion que j’ai fait tous ces efforts pour juste jouir du pouvoir. J’avais fini par comprendre qu’il n’y a pas que les délices du pouvoir, mais qu’il y a aussi l’exercice du pouvoir pour résoudre même les problèmes des Maliens.» Animé d’une telle perception désormais claire de la politique, il doit avoir failli commettre une erreur monumentale. Car, pour le persuader même à se présenter aux élections législatives, ce fut la croix et la bannière avec l’intervention de celui que l’on peut qualifier de son père spirituel sur la scène politique. «Alpha Oumar Konaré (ancien Président de la République, ndlr) a été obligé de faire intervenir Abderrahmane Baba Touré, mon maître politique, pour que j’accepte d’être candidat à l’élection des députés…
19 millions d’indemnités ignorées
Après avoir accepté de franchir le pas et être élu Président de l’Assemblée nationale, Ali Nouhoum Diallo passera 10 ans au perchoir (1992 -2002). Soit les deux mandats du Président Alpha Oumar Konaré dont il fut le premier secrétaire politique du parti Adéma-PASJ. Selon Ali Nouhoum Diallo, son séjour dans l’Hémicycle lui aura appris bien de choses sur la gestion d’un pays. Il dira que c’est dans l’exercice de ses fonctions de Président de l’Assemblée nationale qu’il s’est rendu compte de comment l’exécutif exerçait des pressions pour que les parlementaires ne soient pas totalement autonomes. «Il a fallu que j’exerce pour m’en rendre compte», fait-il savoir tout en affirmant que l’Assemblée nationale a été réellement autonome quand il y était et qu’elle veillait bien sur les deniers publics.
«Tous les mois d’octobre, c’était des empoignades pour empêcher que les indemnités parlementaires grimpent», se félicite-t-il. Il révèle, par ailleurs, qu’à l’époque, le Président de l’Assemblée avait à peu près 273.000 Fcfa par mois et 19 millions de primes de souveraineté par an dont il ignorait même l’existence. «Soumaïla Cissé est même allé un peu plus loin, en tant que ministre de l’Économie et des Finances pendant 8 ans, en déclarant sur une radio de la place que le seul chef d’institution qui ignorait qu’il avait une prime de souveraineté, à fortiori d’en jouir, est le Pr Ali Nouhoum Diallo», fait-il savoir mettant une fois de plus l’accent sur son désintérêt pour l’argent du contribuable malien. Ce désintérêt, c’est la culture que s’attèle à promouvoir le premier Président de l’Assemblée nationale du Mali démocratique. «Ma conception de la politique est que l’homme qui fait la politique doit être le premier à souffrir et le dernier à jouir. Pour moi, la politique c’est quelque chose de très très noble», dit-il.
Avant de se faire élire chef d’institution et d’avoir eu le mérite de présider, de 2000 à 2006, le Parlement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, Ali Nouhoum Diallo avait déjà auparavant commencé à affûter ses armes au sein des mouvements estudiantins, pour dénoncer le pouvoir colonial et révolutionnaire, pour l’avènement de la démocratie au Mali. L’un des faits mémorables de cet engagement démocratique restera les évènements de mars 1991 avec la chute du régime du Général Moussa Traoré un 26 mars. Sur la question de la révolution, il marque son désaccord avec bon nombre d’acteurs de la scène politique qui propagent l’idée que la révolution bouffe ses enfants. Ali est plutôt convaincu que «ceux qui se disent révolutionnaires se bouffent entre eux en oubliant la révolution».
Nonobstant le poids de l’âge avec ses 87 années révolues, celui qui aura 88 ans le 31 décembre prochain reste encore le plus actif de sa génération sur la scène politique. Loin des hôpitaux, même s’il est persuadé qu’un médecin ne part jamais à la retraite, Ali Nouhoum Diallo dit prendre sa plume dès qu’il n’est pas d’accord sur un sujet donné. Une façon de dire qu’il veille toujours au grain tel un vrai sage et que malgré le poids de l’âge sa voix reste toujours audible et pèse encore. Acteur majeur des évènements de Mars 1991 et témoin vivant de cette période trouble, l’homme politique a effectué sa plus récente sortie publique le 17 mars 2025 à l’occasion de la commémoration du 45e anniversaire de l’assassinant de l’ancien leader estudiantin Abdoul Karim Camara dit Cabral. «Un militant ne fuit jamais le champ de bataille. Il ne déserte jamais. Un militant reste un militant jusque dans la tombe. Et je me demande même si nous ne continuerons pas à militer dans l’autre monde. Je parle bien de l’homme politique et du militant et non du politicien qui est dans les combines permanentes tout en s’interrogeant sur ce qu’il gagne dans tout ce qu’il entreprend. Et si la conclusion est qu’il n’y gagne rien, il ne s’y engage pas. Cela n’est pas du tout ma perception de la politique», justifiant davantage son engagement politique.
Patriarche avenant et homme politique aguerri
Pour sa famille biologique, il reste un patriarche avenant qui oublie ses soucis de santé dès qu’il s’agit de son pays pour lequel il voue un amour inébranlable. « Ma famille estime qu’il est vraiment temps que je me repose, mais elle reconnait qu’il faut au moins qu’un vieux témoigne pour que les Maliens comprennent aussi que faire la politique ne veut pas dire piller la République. Il faut que des exemples vivants soient là pour qu’on ne ternisse pas l’image de la politique à cause des politiciens et des politicards», souligne l’homme tout en confirmant l’inquiétude et le sens élevé de la compréhension de sa famille.
«C’est sa volonté d’être toujours actif sur la scène politique. On le comprend et on essaye de l’accompagner dans cette démarche même si on estime qu’il est temps qu’il se repose», se montre compréhensive son épouse, Mme Diallo Aminata Aliou Touré. Tout comme la pédiatre à la retraite, les 5 enfants d’Ali (2 filles et 3 garçons) voient d’un même œil son engagement. «Il ne cesse de nous surprendre avec cette énergie débordante. Malgré son âge, il reste le plus actif de sa génération et il est au premier rang de toutes les activités visant à promouvoir la démocratie, les droits de l’Homme, la République et à combattre l’injustice.
Ali demeure ce grand baobab, cette boussole dont la jeune génération doit s’inspirer vu son amour et son dévouement pour sa chère patrie qu’est le Mali», renchérit, pour sa part, Yaya Sangaré. Selon l’actuel secrétaire général de l’ADÉMA-PASJ, les rapports d’Ali avec sa famille politique sont des plus élégants et des plus fidèles. «Il reste pour nous une personne ressource dont les contributions et les prises de position sont fort appréciées et largement intégrées dans nos analyses, en tant que Parti politique avant-gardiste du mouvement démocratique. Du haut de ses 87 ans, le Pr Ali Nouhoum Diallo a été de tous les combats pour la libération du continent africain du joug colonial et l’avènement de la démocratie dans notre pays. Ali Nouhoum Diallo est un acteur majeur du mouvement démocratique, qui a été au cœur des événements de Mars 1991, notamment les premières journées meurtrières.
Cela ne fait l’objet d’aucun doute que le Pr Ali Nouhoum Diallo est un homme politique aguerri, convaincu et surtout soucieux de l’avenir de notre pays, le Mali. Il s’est acquitté de toutes les hautes missions qui lui ont été confiées par le parti et la nation avec brio, humilité et dignité sans jamais renoncer à son franc-parler. Que ce soit au plan national comme sous-régional. Il a la réputation d’insoumis, voire de rebelle, un anticonformiste… dont la seule référence et le seul repère restent le Mali et les Maliens», témoigne Yaya Sangaré au sujet de celui qui est membre fondateur de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema-Association) et de l’Adema-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ).
De l’avis de ceux qui le côtoient au quotidien, outre sa famille biologique et politique, à l’image de ce juriste à la retraite que nous avons croisé au domicile du Pr Diallo le jour de notre entretien lorsqu’il était venu pour une visite de courtoisie de routine. Selon lui, Ali est un homme de culture dans le sens le plus élargi qui a su parfaitement conjuguer le modernisme et la tradition. Il décrit le Pr Dilallo comme un homme de conviction qui accepte aussi la contradiction en étant ouvert à la discussion avec une belle qualité de pouvoir causer avec n’importe quelle personne quel que soit son âge et son obédience religieuse. «Malgré son âge, il est tout le temps à l’écoute des autres et prend en compte leurs avis contraires. C’est une fierté de le côtoyer», témoigne ély Kamaté.
Selon Idrissa Sidibé, un ancien camarade d’école ayant côtoyé Ali en France lorsqu’ils étaient encore tous étudiants, le Pr Diallo est une icône qui a consacré toute sa vie à son pays, à la cause des moins nantis et des opprimés. «C’est en cela d’ailleurs que je le fréquente et continuerai à le fréquenter jusqu’à ce qu’on nous enterre», déclare cet ancien de la Banque de développement du Mali (BDM-SA) des années 70 et 80 passé également par la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) entre 1998 et 2001. Un témoignage qu’il a bien voulu nous faire lorsqu’on s’est croisé dans la famille Diallo le jour de notre entretien alors qu’il était venu dire au revoir à son vieil ami au moment où il s’apprêtait à rallier la France pour un contrôle médical de routine. Se montrant reconnaissant pour toutes les grâces divines, notamment sa longévité, le Pr Ali Nouhoum Diallo a pour mantra «s’il s’agit de l’âge j’en ai. Ce que je souhaite c’est la santé et une bonne fin». Malgré les soubresauts qu’a connus et que connaît encore le pays, il continue de rêver d’un Mali encore meilleur.
Alassane CISSOUMA