Les innovations technologiques internationales offrent des exemples inspirants pour moderniser la filière halieutique nationale et répondre aux enjeux nationaux et mondiaux de durabilité.
Si le monde entier vit sous le joug des impacts climatiques et de la dégradation des milieux naturels, à quoi pourrait ressembler le secteur de la pêche dans quelques années, voire dans quelques décennies ? La réponse à cette question ne peut qu’être spéculative, mais les efforts consentis par le Royaume durant ces dernières années indiquent d’ores et déjà le cheminement voulu pour garantir la durabilité des ressources halieutiques et l’intégrité des écosystèmes marins du pays. Initiée en 2009, la première mouture du Plan Halieutis visait déjà à moderniser le secteur de la pêche au Maroc en s'appuyant sur trois piliers : durabilité des ressources, performance et compétitivité. Si les feuilles de route pour les décennies à venir sont encore « dans le pipe », les recommandations du Nouveau Modèle de Développement qui rejoignent ceux exprimés par les experts du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) esquissent la vision d’une filière de la pêche aussi durable que résiliente dans le cadre d’une véritable économie bleue prospère et inclusive (voir article ci-contre). Nouvelles technologies Au-delà des importantes dimension liées à la gouvernance et à la gestion intégrée des ressources halieutiques, « la pêche de demain » (au Maroc comme ailleurs dans le monde) devra certainement s’appuyer sur les avancées techniques et scientifiques. Une part non-négligeable de ces solutions avancées s’illustre déjà à travers une multitude de projets-pilotes au niveau national et international, avec des résultats très prometteurs. Des outils de surveillance modernisés, utilisant des technologies avancées, pourraient jouer un rôle clé pour atteindre les objectifs de durabilité et de soutenabilité de l’exploitation des ressources halieutiques. À cet égard, les innovations internationales, comme les caméras intelligentes installées dans les chaluts ou les systèmes de suivi automatisé des captures (développés dans le cadre de projets de recherche comme « SMARTFISH » (voir repère) offrent des solutions qui permettent une pêche plus sélective et une collecte de données précises, essentielles pour garantir la durabilité des stocks. Aquaculture de demain La production et la valorisation des produits de la mer, devront par ailleurs s’appuyer sur l’aquaculture qui s’impose déjà comme solution alternative dont l’apport peut réduire la pression sur les populations halieutiques sauvages. Cependant, l'aquaculture n'est pas sans défis. Des préoccupations subsistent quant à la pollution des eaux, la transmission de maladies aux populations sauvages et l'utilisation de ressources pour l'alimentation des poissons d'élevage. Pour atteindre le plein potentiel de sa filière d’aquaculture, le Royaume est appelé à capitaliser sur le savoir-faire de ses propres chercheurs, mais également, à s’inspirer d’autres approches à même d’optimiser la gestion des enjeux sanitaires et environnementaux propre à cette filière prometteuse. L’exemple peut s’illustrer à travers le programme « Game Changer » (voir repère) qui emploie des dispositifs non-chimiques pour lutter contre les parasites, tout en intégrant l’intelligence artificielle pour surveiller en temps réel la santé des poissons et anticiper les crises sanitaires. Montée en gamme Garantir l’avenir durable des ressources halieutiques marocaines dépend par ailleurs d’une gestion écosystémique intégrant les meilleures pratiques scientifiques et technologiques. La durabilité à long terme de la pêche et de la valorisation des produits de la mer devra ainsi être impulsée par la création de nouvelles aires marines protégées (voir interview), couplée à des mécanismes de surveillance avancés. La chaîne de valeur de la « pêche de demain », prospère et durable, ne peut cependant pas être envisagée sans une modernisation encore plus pointue des infrastructures et process de valorisation. Dans son rapport sur l’économie bleu (2021), le CESE estime que la valorisation locale des produits de la mer devrait tripler à travers des investissements dans les ports, les unités de transformation et les technologies de conditionnement. L’utilisation de labels de durabilité sera également à même de renforcer encore plus la visibilité et l’attractivité des produits marocains sur les marchés internationaux. Autant de défi que le Royaume est capable de relever pour préserver ses ressources et ses filières halieutiques. Omar ASSIF
3 questions à Nibani Houcine, enseignant à la FST d’Al Hoceima : « L’enjeu majeur est de faire de cette économie bleue une filière durable et soutenable »
Quels sont selon vous les préalables nécessaires au développement d’une économie bleue au Maroc ? L’enjeu majeur est de faire de cette économie bleue une filière durable et soutenable. Le point de départ est celui de la connaissance et de la cartographie des écosystèmes marins du Royaume qui sont encore mal connus. Il est indispensable d’investir massivement dans la recherche scientifique marine et dans les nouvelles technologies afin que l’on puisse avoir une idée réelle de la complexité, des vulnérabilités et des atouts de nos écosystèmes marins ainsi que de leurs tendances d’évolution. Établir une cartographie des écosystèmes marins nous permettra aussi de savoir comment et où installer les différentes filières, puis d’en faire le suivi environnemental pour veiller à la durabilité des activités et ainsi éviter des impacts négatifs potentiels. Le Maroc, héberge-t-il des aires marines protégées dont le rôle est de sauvegarder des écosystèmes fragiles ? Un des anciens « objectifs d’Aichi » incite les pays-signataires (dont faisait partie le Maroc) à créer des aires protégées, marines et terrestres, dans au moins 10% de leurs territoires. Actuellement, les aires marines qui existent au Maroc sont au nombre de trois. Elles sont de petites tailles puisqu’elles constituent des zones de prolongement de parcs nationaux terrestres (Souss Massa, Al Hoceima, Khenifiss). Ces superficies marines protégées ne représentent pas grand-chose si l’on tient compte du vaste territoire marin marocain. Est-ce que le Maroc gagnerait à établir plus d’aires marines protégées ? Bien évidemment. Mais pour ce faire, il est nécessaire de connaître les zones et écosystèmes marins qui doivent être protégés et cela ne peut avoir lieu sans la recherche et prospection scientifique que j’ai précédemment évoquées. Tant qu’on n’a pas cartographié le milieu marin, on ne pourra pas protéger les écosystèmes vulnérables ou remarquables, car on ne les connaît pas. En attendant, ils resteront exposés à des menaces « invisibles et silencieuses » notamment celles liées activités de pêche intensive menées par des partenaires du Royaume.
CESE : La mer et l’océan au cœur d’une économie bleue multi-filière
Le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) du Maroc a publié en 2021 un rapport détaillant une approche ambitieuse pour intégrer l'économie bleue dans le modèle de développement du pays. Le rapport souligne l'importance capitale de moderniser et de rendre plus durable la pêche traditionnelle, qui emploie des milliers de Marocains et constitue une source majeure de nourriture et de revenus pour les communautés côtières. Il recommande l'adoption de techniques de pêche plus respectueuses des écosystèmes marins et la mise en place de quotas pour prévenir la surpêche, tout en encourageant le développement de l'aquaculture comme alternative viable et durable. En plus de la pêche, le rapport propose de diversifier les activités économiques liées à la mer, incluant le tourisme côtier, les biotechnologies marines, et les énergies renouvelables offshore. L'objectif est de créer des emplois tout en promouvant des pratiques de développement durable. Le document insiste également sur l'importance de renforcer la gouvernance dans le domaine maritime. Il recommande une meilleure coordination des politiques publiques et une planification spatiale marine améliorée pour gérer efficacement les activités liées à la mer et protéger les écosystèmes marins. Le CESE appelle à un partenariat renforcé entre les gouvernements, les industriels, et les communautés locales pour mettre en œuvre cette stratégie. L'approche proposée est holistique, visant à assurer à la fois la croissance économique, l'équité sociale, et la conservation environnementale.
Aquaculture au Maroc : 442 projets d’une capacité de production cible de plus de 300.000 tonnes