Rougeole : Ravages d’un come-back mal anticipé ! [INTÉGRAL]

L’irruption de la rougeole au Maroc fait craindre une propagation incontrôlable, au moment où la faible communication du gouvernement devient un facteur de risque. Décryptage. A peine a-t-on définitivement oublié le souvenir lugubre de la Covid-19 que le spectre des maladies contagieuses nous pourchasse à nouveau. Alors qu’on la pensait vaincue, la rougeole résiste encore et refait surface. Cela fait plus d’un an que cette maladie “très visible” se propage à une vitesse inquiétante, au point que l’on craint une nouvelle épidémie indomptable.   Près de 25.000 cas ont été signalés depuis octobre 2023, soit 52,2 cas pour 100.000 habitants. En 2024, il y a eu 17.999 cas cumulés, dont 5.094 confirmés. 120 personnes en sont décédées, selon les données du ministère de la Santé. Le virus semble trouver refuge davantage dans le milieu carcéral où il foisonne. La recrudescence de la maladie a culminé avec la multiplication des foyers de contamination des établis

Rougeole : Ravages d’un come-back mal anticipé ! [INTÉGRAL]
   lopinion.ma
L’irruption de la rougeole au Maroc fait craindre une propagation incontrôlable, au moment où la faible communication du gouvernement devient un facteur de risque. Décryptage. A peine a-t-on définitivement oublié le souvenir lugubre de la Covid-19 que le spectre des maladies contagieuses nous pourchasse à nouveau. Alors qu’on la pensait vaincue, la rougeole résiste encore et refait surface. Cela fait plus d’un an que cette maladie “très visible” se propage à une vitesse inquiétante, au point que l’on craint une nouvelle épidémie indomptable.   Près de 25.000 cas ont été signalés depuis octobre 2023, soit 52,2 cas pour 100.000 habitants. En 2024, il y a eu 17.999 cas cumulés, dont 5.094 confirmés. 120 personnes en sont décédées, selon les données du ministère de la Santé. Le virus semble trouver refuge davantage dans le milieu carcéral où il foisonne. La recrudescence de la maladie a culminé avec la multiplication des foyers de contamination des établissements carcéraux (voir repère).     Tout cela fait craindre une nouvelle épidémie qui pourrait à tout moment échapper au contrôle. Face à une situation pareille, le gouvernement brille par son absence, au moment où le ministère de tutelle n’éprouve même pas le besoin de communiquer directement avec l’opinion publique et d’aller expliquer ce qui se passe sur les plateaux télé. Devant les journalistes, le ministre délégué chargé des Relations avec le parlement, porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, s’est montré rassurant lors de son point de presse hebdomadaire, de plus en plus boudé par les médias, tellement la communication gouvernementale devient insipide.   Tahraoui aux abonnés-absents   Baitas s’est contenté d’une mise au point peu détaillée à la place du ministre de la Santé qui aurait mieux fait de prendre la parole lui-même pour rassurer une grande partie de nos concitoyens saisis d’angoisse. Le porte-voix de l’Exécutif a expliqué la flambée des cas de rougeole par la campagne anti-vax qui sévit sur les réseaux sociaux et qui décourage les gens de se faire vacciner.    Si tel est le cas, le gouvernement se doit de réfuter les fake news en dévoilant la vérité scientifique. Or, le ministre Amine Tahraoui, fraîchement nommé, donne l'impression qu’il n’est pas encore habitué aux situations de crise. Baitas a appelé toutes les forces vives de la Nation, notamment les journalistes, à faire face aux fausses informations. Comment peut-on le faire si les autorités sanitaires ne réagissent que tardivement et si la tutelle demeure peu accessible ? Lors d’une rencontre à la fondation Fqih Tetouani, le ministre de la Culture et de la Communication, Mehdi Bensaïd, a été pris pour cible par des journalistes qui lui ont reproché le manque de communication de l’Exécutif sur la propagation de la rougeole. Le ministre, l’air embarrassé, a dit que le message a été reçu.     Faut-il s’inquiéter ?   Certes, depuis la pandémie, la vaccination a mauvaise presse chez une grande partie de la population qui comprend mal la rapidité avec laquelle les vaccins anti-Covid-19 ont été développés et aussitôt injectés à la population sans prendre assez de recul sur les effets secondaires. Cela explique le recul de la vaccination contre la rougeole, qui serait, selon la tutelle, la première cause de la recrudescence de cette maladie à laquelle on assiste actuellement.   “Il clair que les gens vaccinent de moins en moins leurs enfants, si on continue ainsi, la maladie risque de se revigorer et se propager davantage”, met en garde Mouad Merabet, coordonnateur du Centre national des opérations d'urgence de santé publique, dans une déclaration à “L’Opinion”, rappelant que seule la reprise de la vaccination permet de prévenir une extension de la maladie à grande échelle. Selon notre interlocuteur, le virus actuel est très transmissible, d’où l’importance des vaccins qui sont, selon lui, extrêmement efficaces et sûrs.   Tous les experts s’accordent à dire que le recul de la couverture vaccinale est à l’origine de la propagation alarmante de la rougeole. Selon Abderrahim Derraji, docteur en pharmacie, seuls 77% des enfants sont aujourd'hui vaccinés contre 95% auparavant. L’expert se dit convaincu que la campagne de vaccination contre la Covid-19 a manifestement perturbé l’effort national d’immunisation contre la rougeole, qui fut, hélas, cité en exemple. M. Derraji estime que la rougeole risque de se propager plus rapidement dans les zones rurales car la couverture vaccinale y est plus faible que dans les zones urbaines. Cela est dû au manque d’accès au soin.     Vaccination, l’arme traditionnelle   Cela dit, la reprise de la vaccination à grande échelle est plus que jamais indispensable. Les enfants demeurent une priorité, rappelle Tayeb Hamdi, médecin et expert en politiques et systèmes de santé. “Un enfant qui a reçu deux doses de vaccin contre la rougeole est protégé à vie”, insiste le médecin, ajoutant qu’une personne non-vaccinée ou partiellement vaccinée risque toute sa vie de tomber malade et de subir des séquelles graves ou même courir le risque de décès en cas de facteur de risque. Un scénario qui demeure peu fréquent pour ne pas effrayer le lecteur.   Tayeb Hamdi reconnaît qu’il s’agit bel et bien d’une épidémie. Cependant, nous ne sommes pas dans une situation incontrôlable. On peut le prévenir pourvu qu’on parvienne rapidement à l’immunité collective à l’aide de la vaccination. « Avec une couverture de quatre-vingt-quinze pour cent de la population générale, on ne risque pas d’avoir des flambées ou des épidémies de rougeole », souligne M. Hamdi, qui concède que les cas isolés sont toujours possibles même avec une vaccination élevée. Or, poursuit-il, avec 80% ou 70%, il y aura toujours des épidémies de rougeole.   On tente de se rattraper   Maintenant, pour faire face à l’urgence, le gouvernement a prolongé la campagne vaccinale de rattrapage contre la rougeole et d'autres maladies, lancée depuis le 28 octobre 2024. Un dispositif de vigilance et de suivi a été mis en place au niveau du Centre d'opérations d'urgence de santé publique (COUPS) et de 12 centres provinciaux d'urgence sanitaire. En parallèle, les ministères de la Santé, de l'Éducation nationale et de l'Intérieur ont commencé à vérifier le processus de vaccination des enfants de moins de 18 ans et de prendre en charge la vaccination des personnes ayant été en contact avec des patients.     Trois questions à Tayeb Hamdi : “Une dose de vaccin n’est pas suffisante, il en faut deux ” Le gouvernement parle des fake news comme si c’est la cause principale de la réapparition de la rougeole, est-ce l’unique facteur ?   -      La rougeole est une maladie très contagieuse et grave, mortelle dans plusieurs cas. C’est effectivement une épidémie. Il ne faut pas sous-estimer le degré de nuisance de la désinformation qui contribue visiblement à la recrudescence de la maladie. Comme vous le savez, les fake news sont aussi létales que le virus. Preuve en est qu’on était bien vacciné contre la rougeole au point qu’on ne la voyait plus ou presque. Bref, on n’en parlait plus. Avec l’hésitation vaccinale, le seuil de protection a baissé et la rougeole avec ses complications fait son grand retour.   Faut-il renforcer drastiquement les mesures barrières, surtout dans les écoles ?    -      Il va sans dire que le vaccin reste le meilleur et le seul rempart. Mais, il est tout aussi important que le patient se confine chez lui et évite tout contact corporel avec les autres. Les enfants doivent particulièrement rester chez eux loin des écoles pour éviter les contagions rapides. Il n’est pas nécessaire de fermer les écoles du moment qu’on peut vacciner facilement. La vie scolaire peut continuer le plus normalement du monde sauf en cas d’un cluster dans un établissement où la majorité n’est pas vaccinée. Mais c’est un cas très rare. Le confinement est d’autant plus vital lorsqu’il s’agit de protéger les personnes vulnérables comme les personnes âgées et les femmes enceintes.   Beaucoup de gens, y compris ceux qui sont vaccinés pendant leur enfance, redoutent la contagion. Est-ce possible ?   -      Je répète que les personnes complètement vaccinées, c’est-à-dire ayant achevé leur schéma vaccinal à deux doses, sont immunisées à vie de même que celles ayant déjà subi la maladie par le passé. Donc, pas de panique.    Milieu carcéral : Le foyer de prédilection En plus des enfants, qui demeurent la cible première du virus, la rougeole se propage étonnamment comme une traînée de poudre dans les établissements pénitentiaires. Les clusters surgissent rapidement dans les rangs des détenus, souvent non-vaccinés. Jusqu’au 15 janvier, on a recensé plus de 79 cas d'infection, selon un décompte officiel de la Délégation générale à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR). Parmi les contaminés, il y a 7 mineurs, deux femmes et un enfant accompagné de sa mère. La même source fait état de 27 personnes rétablies après avoir suivi le protocole de traitement en vigueur.   Pour ce qui est de la géographie de cette épidémie carcérale, la prison locale de Tanger 2 a enregistré 25 cas, dont 24 en isolement et un cas sous traitement à l'hôpital public. En outre, 6 cas ont été recensés à la prison locale Aïn Borja, dont 5 en isolement et un cas sous traitement à l'hôpital public. La DGAPR note 5 cas d'infection déclarés à la prison locale de Mohammedia et 3 autres à la prison locale Al Arjat 1, tandis que deux cas ont été enregistrés respectivement à la prison centrale de Kénitra et aux prisons locales Bourkaiz de Fès, de Benslimane et de Souk Larbaa, et un cas dans chacune des prisons locales de Bouarfa, d'El Kelaâ des Sraghna, de Tétouan, de Berkane et de Tan-Tan.   L’épidémie n’épargne pas les fonctionnaires, dont 7 sont contaminés, y compris une femme médecin. Ils ont été soumis au protocole sanitaire en vigueur.  Afin de casser la chaîne de transmission du virus au sein du milieu carcéral, 11.620 détenus et 332 fonctionnaires ont bénéficié de la vaccination à titre volontaire, sous la supervision du personnel des délégations provinciales de la Santé et de la Protection sociale.     ​Vaccins et effets secondaires : Ce qu’il faut retenir Dans le jargon savant, on désigne la rougeole comme une maladie hyper-contagieuse qui se transmet par voie aérienne. La baisse de la vaccination ne concerne pas seulement le Maroc. C’est un phénomène planétaire. L’OMS attribue cela aux effets néfastes de la pandémie de Covid-19 qui a, en quelque sorte, détourné l’attention sur le reste des maladies contagieuses. “La suspension des services de vaccination, la baisse des taux de vaccination et la réduction des activités de surveillance à travers le monde ont rendu des millions d’enfants vulnérables à des maladies évitables comme la rougeole”, précise l’Organisation mondiale dans une note relative à la maladie.   Concernant la vaccination, le Maroc a recours à des vaccins à virus atténué, conçus par la méthode classique. Les vaccins homologués sont administrés en deux doses, dont une à l’âge de 9 mois et la deuxième à 18 mois. S’agissant des effets secondaires, les plus fréquents sont la fièvre modérée et l'éruption modérée qui peut apparaître de 8 à 12 jours après la vaccination. Les contre-indications sont prescrites en cas de grossesse et d’allergie vraie au blanc d’œuf.