Un nouveau rapport publié conjointement par la Banque mondiale et l’Observatoire marocain de la TPME (OMTPME) met en lumière les dynamiques du secteur privé marocain et propose des recommandations pour améliorer la productivité et la compétitivité du pays. Intitulé « Libérer le potentiel du secteur privé marocain : une analyse de la dynamique des entreprises et de la productivité », le rapport est le fruit de plus d’un an de collaboration entre les deux institutions. Il s’appuie sur des données microéconomiques quasi-exhaustives couvrant la période 2016-2019 pour identifier les freins et les opportunités qui caractérisent le tissu entrepreneurial marocain.
Lors de la conférence de présentation, Amal Idrissi, Directrice de l’OMTPME, a souligné l’importance de cette étude, la qualifiant de pionnière au Maroc en matière d’utilisation de données microéconomiques. « Cette approche, encore rare dans notre pays en raison du manque de données fiables, permet d’identifier les principaux déterminants de la performance des entreprises marocaines et d’éclairer les décisions stratégiques. Les conclusions de ce rapport doivent servir de base pour des interventions publiques visant à renforcer la contribution du secteur privé à la croissance économique », a-t-elle déclaré.
Un secteur privé dominé par les micro-entreprises
Le rapport révèle que le secteur privé marocain est principalement constitué de micro-entreprises, qui représentent 98 % du total, avec un chiffre d’affaires inférieur à 3 millions de dirhams pour la majorité d’entre elles. Les entreprises de taille moyenne sont sous-représentées, représentant seulement 0,9 % du tissu entrepreneurial, tandis que les grandes entreprises, bien que peu nombreuses (0,5 %), exercent une influence disproportionnée sur l’économie. Cette configuration fragmentée limite le potentiel de croissance, car les micro-entreprises manquent souvent de ressources pour investir dans l’innovation et l’expansion.
En dépit de ces contraintes, le Maroc a enregistré une hausse notable de la densité des entreprises formelles, qui a atteint 20 % du taux observé dans les économies développées. Cette augmentation est le reflet des efforts consentis par les autorités pour améliorer le climat des affaires et encourager la formalisation. Néanmoins, Idrissi appelle à la prudence, notant que l’augmentation de la densité des entreprises ne doit pas être interprétée uniquement comme un signe de croissance économique. « Le taux de fermeture administrative reste faible, ce qui suggère que de nombreuses entreprises inactives continuent d’exister sur le papier sans contribuer réellement à l’économie », a-t-elle expliqué.
Le rapport souligne également un autre enjeu de taille : le manque de dynamisme des entreprises marocaines. Entre 2016 et 2021, la taille moyenne des entreprises est restée stable, quel que soit leur âge. Les entreprises plus âgées tendent à être plus grandes, mais leur croissance reste modeste. De plus, les entreprises à forte croissance (EFC), définies comme celles ayant augmenté leur emploi de 20 % sur trois ans, sont peu nombreuses au Maroc par rapport à d’autres pays tels que le Brésil, la Turquie ou le Costa Rica. Cette faible densité d’EFC limite la création d’emplois et freine l’innovation.
Une faible productivité
Selon Javier Diaz Cassou, économiste principal à la Banque mondiale pour le Maroc, les gains de productivité du secteur privé marocain sont préoccupants. « La productivité du travail n’a augmenté que de 2 % entre 2016 et 2019, ce qui est largement insuffisant pour soutenir la croissance économique », a-t-il affirmé. Malgré des investissements massifs dans les infrastructures, représentant 30 % du PIB depuis le début du siècle, la productivité reste faible, ce qui pose la question de l’efficacité des investissements réalisés.
Le rapport identifie un problème majeur d’allocation des ressources : les entreprises moins productives tendent à croître plus rapidement que celles qui sont plus performantes, un phénomène inverse à celui de la « destruction créatrice » attendue dans une économie dynamique. Cela s’explique en partie par l’intégration d’un grand nombre d’entreprises informelles dans le secteur formel, qui, bien qu’ayant un impact positif sur le long terme, a temporairement freiné la productivité en raison du faible niveau d’efficacité de ces nouvelles entreprises.
Le rapport distingue également une différence notable entre les secteurs. Les problèmes d’allocation inefficace des ressources sont plus prononcés dans l’industrie que dans les services. Cette mauvaise allocation des facteurs de production constitue un frein important à l’amélioration de la productivité globale du secteur privé.
Les auteurs du rapport soulignent que le système financier marocain, bien que relativement développé, ne parvient pas à répondre efficacement aux besoins des petites et moyennes entreprises. « Le crédit est principalement orienté vers les grandes entreprises établies, alors que les petites entreprises, souvent plus productives et avec un potentiel de croissance important, peinent à accéder au financement nécessaire pour se développer », explique Diaz Cassou. Cette situation contribue à maintenir le statu quo et à freiner l’émergence d’entreprises innovantes capables de challenger les acteurs établis.
Recommandations pour stimuler la croissance et la productivité
Le rapport propose plusieurs recommandations pour renforcer la productivité et stimuler la croissance du secteur privé marocain :
Faciliter l’accès aux données microéconomiques : Promouvoir l’utilisation des micro-données pour éclairer les décisions stratégiques en facilitant l’accès et le partage des données entre les administrations publiques et le secteur privé, tout en garantissant la confidentialité.
Améliorer le cadre réglementaire pour faciliter la sortie des entreprises inefficaces : Le faible taux de fermeture officielle des entreprises au Maroc révèle un manque de dynamisme dans le processus de renouvellement des entreprises. Il est essentiel de simplifier les procédures de faillite et de liquidation pour libérer les ressources immobilisées inutilement.
Renforcer l’accès au crédit pour les petites entreprises : Il est nécessaire de diversifier les sources de financement et de développer des instruments financiers adaptés aux besoins des petites et moyennes entreprises pour leur permettre d’accéder plus facilement au crédit.
Encourager l’innovation et l’adoption de nouvelles technologies : Les entreprises doivent être incitées à investir dans des technologies de pointe et à améliorer la qualité de leur capital physique pour stimuler la productivité. Des incitations fiscales ou des programmes de soutien à la recherche et au développement pourraient être envisagés.
Accroître la concurrence sur les marchés : La concentration du marché et le manque de pression concurrentielle freinent l’innovation et les gains de productivité. Des politiques visant à renforcer la concurrence et à réduire les barrières à l’entrée pour les nouvelles entreprises pourraient stimuler un environnement plus dynamique.
En conclusion, ce rapport se veut marquer marque un tournant important dans l’analyse des dynamiques du secteur privé au Maroc. Les recommandations émises visent à renforcer les conditions de concurrence, à favoriser l’innovation et à améliorer l’efficacité des entreprises. Alors que le pays aspire à doubler son revenu par habitant d’ici 2035, la mise en œuvre de ces réformes sera essentielle pour libérer pleinement le potentiel de croissance et répondre aux attentes des jeunes générations qui arrivent chaque année sur le marché du travail, selon les auteurs du rapport.
Les travaux ne s’arrêtent pas là. Les auteurs prévoient d’approfondir leurs analyses en se concentrant sur les dynamiques sectorielles et les politiques publiques spécifiques pour affiner les stratégies de développement économique du pays. Le rapport est désormais accessible sur les sites de la Banque mondiale, de l’OMTPME et de l’OIFM.
Selim Benabdelkhalek
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