Depuis le coup d’Etat du 18 août 2020, marquant la fin du régime de feu Ibrahim Boubacar Kéita, un pouvoir transitoire prit place avec aux commandes, les principaux instigateurs de cette opération, les 5 colonels. Et depuis ce jour, de remarquables événements n’ont pas manqué.
En effet, moins d’une année après l’épisode du 18 août, une autre manœuvre pas si différente, mais toutefois singulière, fut enclenchée, mettant un terme à la gestion du pays par Bah N’Daw. On décida habilement d’appeler cela la “rectification de la Transition”. Comme si, l’homme déchu perpétuait les pratiques contre lesquelles les Maliens étaient descendus dans les rues et que nécessairement, une intervention censée redresser la marche et la trajectoire s’imposait. Ainsi, colonel à l’époque, Assimi Goïta, jusqu’alors vice-président de la Transition, devient président de celle-ci.
Plus de 4 ans après l’avènement de la Transition, et 3 ans après sa rectification, tous les faits semblent nous indiquer que l’on se dirige tout droit, et ce inéluctablement, vers la fin de cette phase. Mercredi 16 octobre, à la suite du conseil des ministres, une nouvelle tomba, sans en surprendre beaucoup. Les colonels à la tête du pays sont élevés au rang de général. Une décision qui fut prise et motivée, parce qu’elle constituerait une recommandation “phare” parmi les multiples ayant émané du Dialogue inter-malien (Dim).
Ceci a suscité tout naturellement beaucoup de débats, et les différentes parties n’ont pas manqué d’avancer des arguments. Si pour certains cette promotion est amplement méritée, parce qu’elle récompense le “formidable” travail abattu, notamment sur le plan sécuritaire. D’autres en revanche sont d’avis contraire, et pensent que c’est un acte précipité qui aurait dû attendre.
A l’instar de l’élévation des tenants du régime au grade de général, une autre des multiples recommandations du Dim va sûrement être la prochaine sur la liste. Il semble que l’annonce de la candidature du président Goïta, désormais général, pour la prochaine élection présidentielle va être la suite logique des choses. Et s’il y a manifestement une éventuelle candidature de ce dernier, il y aura potentiellement et tout naturellement des élections. Chose qui a toujours suscité des débats, parce que c’est une hypothèse très plausible, et qui ne manquera pas d’en susciter davantage une fois l’annonce faite.
Visiblement, les hautes autorités de la Transition sont très sélectives dans le processus de réalisation ou d’application des suggestions nées du Dim. D’autant plus qu’il faut rappeler que ce dialogue était vu comme une alternative à l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger en 2015. Document de paix qui a volé en éclats après avoir été annoncé caduc et inapplicable par les autorités de la Transition.
Si c’est ainsi qu’il a été perçu et que c’est exclusivement dans cette logique là qu’il fut initié, on ne peut pas dire que ce Dialogue ait tenu toutes ses promesses. Non seulement d’importants acteurs indispensables au rétablissement de la sécurité et au retour de la paix étaient absents, mais les recommandations essentiellement mises en exergue vont dans toutes les directions, sauf dans le sens de la restauration de la cohésion nationale. Et aujourd’hui, le bilan est désastreux, pour ne pas effrayer et étant effrayé de ne pas s’attirer des ennuis, on relativise en disant qu’il est mitigé. Usage habile de la terminologie, subtil nous aurait dit Kaou N’Djim, et une manipulation sémantique qui permet de se préserver.
A l’épilogue de la Transition, la situation du pays demeure inchangée, et si changement il y a, c’est incontestablement dans le sens négatif. Certes, des mesures assez intéressantes et très salutaires telles que la redynamisation de l’armée furent prises et un “succès” ayant permis de reprendre la ville de Kidal a été enregistré. Toutefois, la situation sécuritaire du pays reste extrêmement préoccupante, et l’attaque du 17 septembre dernier, en plein cœur de la capitale illustre parfaitement cette réalité.
Tinzawaten fut un revers en juillet dernier, et l’opération revanche enclenchée en début octobre n’a pas eu lieu. La conjoncture économique est défavorable, quant à la crise énergique, elle sévit de plus belle. Il y a un engagement intense, d’aucuns diront aussi injustice, sur le front judiciaire, marqué par des arrestations. “Le pays est en souffrance”, nous aurait sûrement dit l’honorable Amadou Albert Maïga.
Au regard de l’état du pays, pour les acteurs de la Transition nourrissant une velléité présidentielle, il faut rapidement mettre en branle un processus électoral, orienter les Maliens vers les urnes, et ce, en faisant abstraction de tous les arguments ayant jusque-ici prévalu pour repousser tout scrutin. Lesquels pourtant sont toujours valables. La logique est de tirer avantage du soutien populaire avant que celui-ci ne s’effrite, car sa conservation ne semble pas du tout évidente quand nous savons que les voix commencent peu à peu à s’élever et à se faire entendre. Des scandales éclatent, le ras-le-bol s’exprime. Les cyberactivistes (vidéo mans) autrefois laudateurs à la solde du régime adoptent de nouvelles positions, tout en faisant des révélations inédites défavorables à nos généraux.
Aujourd’hui, au crépuscule de la Transition, des interrogations émergent et beaucoup de questions nous taraudent l’esprit. Si nous allons aux élections et que le général Goïta est candidat, il y a de très fortes chances que celui-ci brigue la magistrature suprême à la régulière. Quant aux institutions de la République, elles seront rétablies, de quoi réjouir les adeptes du sacro-saint retour à l’ordre constitutionnel, ou pas.
Cependant, le rétablissement de l’ordre constitutionnel est-il gage et synonyme de réconciliation avec les pratiques démocratiques ? Des pratiques avec lesquelles nous avons été en total porte-à-faux tout au long de cette période. De plus, cela permettra-t-il à la communauté internationale de porter un tout nouveau regard sur nous ? En l’occurrence plus clément, du moment que ça sera assurément la continuité d’un système et la perpétuation d’un paradigme.
Une chose constitue l’évidence, le chantier est titanesque et les défis gigantesques. Si nous voulons sortir de l’ornière, il faut impérativement regagner le concert des nations, en renouant le contact et en normalisant notre relation avec certains pays, essentiellement ceux de la sous-région. Et cela passe nécessairement par un ré-dessinement des contours de notre politique et une redéfinition de notre diplomatie.
A l’interne, il nous faut aussi ajuster notre posture afin de transcender les oppositions et parvenir à une union dans un pays fortement déchiré par tous types de contentieux. Plus qu’une clarification comme le suggère le PM Choguel Kokalla Maïga. Il est une autre certitude, si la situation reste identique ou se dégrade en dépit d’un retour à l’ordre constitutionnel, le séjour à Koulouba du futur président qui sera élu démocratiquement, pourrait être d’une très courte durée.
Nabil Ansar
Sociologue
N. B. : Le titre est de la rédaction