Alors que les efforts de multiplication des semences de la variété de blé dur Jawahir se poursuivent, les agriculteurs des régions frappées par la sécheresse au Maroc découvrent pour la première fois son potentiel.
« Nous préférons ne pas semer. C’est trop sec », confie un agriculteur de Sidi Abdellah El Bouchouari, dans la région de Tiznit, au sud du Maroc.Avec des pluies arrivées plus de deux mois après le début habituel de l’hiver dans la plupart des régions, la campagne agricole 2024-2025 s’annonce à nouveau très sèche dans le sud du pays. Cela met en péril la production céréalière marocaine, notamment celle du blé dur, une culture essentielle pour la sécurité alimentaire du pays. Utilisé pour préparer le couscous, le pain ou les pâtes, le blé dur occupe une place centrale au Maroc comme ailleurs. En Afrique du Nord, il est consommé quotidiennement et fournit des calories et des protéines essentielles.
Le climat sec n’a rien de nouveau pour les populations vivant de la terre. Au Maroc, les agriculteurs parviennent depuis des siècles à produire cette céréale avec très peu d’eau. Mais face aux sécheresses extrêmes qui se sont multipliées au cours de la dernière décennie, leur subsistance devient de plus en plus difficile. Là où s’étendaient autrefois de vastes champs dorés, s’imposent aujourd’hui des paysages bruns et asséchés.
Un nouvel espoir
Jawahir — qui signifie « joyau » en arabe — a été développée à partir de gènes de Triticum araraticum, une espèce sauvage ancêtre du blé dur, conservée dans la banque de gènes du Centre International de Recherche Agricole dans les Régions Arides (ICARDA). Elle a été homologuée au Maroc en 2023 par l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). Résultat de plus de dix années de recherche et d’expérimentations, cette variété a vu le jour grâce au soutien du projet BOLD (Biodiversity for Opportunities, Livelihoods and Development) du Crop Trust. Financé par le gouvernement norvégien, ce projet vise à renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle mondiale en appuyant la conservation et l’utilisation de la diversité des cultures.
« Les plantes sauvages, qui ont survécu à des millénaires de conditions climatiques extrêmes sans intervention humaine, recèlent des caractères précieux pour développer des variétés résilientes capables de résister aux pressions de la crise climatique actuelle », explique le Dr Benjamin Kilian, chercheur principal au Crop Trust, une organisation internationale dédiée à la conservation de la diversité des cultures.
Des agriculteurs convaincus par Jawahir
Le développement d’une nouvelle variété prend beaucoup de temps et d’efforts. Dans le cadre du projet BOLD, l’ICARDA et l’INRA ont testé des centaines de lignées de blé dur enrichies de gènes issus de parents sauvages sur des stations expérimentales au Maroc. Depuis 2020, les variétés les plus prometteuses, dont Jawahir, ont été confiées à des agriculteurs pour les expérimenter en conditions réelles. Semée pendant les épisodes de sécheresse sévère qui ont touché plusieurs régions, Jawahir a de nouveau démontré sa tolérance au stress hydrique. Dans les provinces d’Essaouira, de Tiznit et de Safi, les agriculteurs l’ont vue se maintenir vigoureusement, avec des rendements dépassant souvent 1,5 tonne par hectare, contre à peine 1 tonne pour les anciennes variétés dans les champs voisins.
« Nous avons développé une variété adaptée aux conditions de sécheresse extrême. C’est véritablement un joyau. Le défi maintenant, c’est de la diffuser à grande échelle auprès des agriculteurs. C’est ainsi que nous pourrons changer leur quotidien », souligne le Dr Filippo Bassi, chercheur principal à l’ICARDA et responsable du projet BOLD pour le blé dur et l’orge.
Accélérer la production de semences
Les agriculteurs qui ont testé Jawahir sont convaincus de ses avantages. Sa résistance à la sécheresse garantit de meilleures récoltes, plus stables. Mais pour pouvoir la cultiver à plus grande échelle et en faire bénéficier leurs voisins, il leur faut un volume important de semences. Habituellement, il faut environ six ans pour qu’une variété nouvellement homologuée atteigne le stade commercial au Maroc. Mais en raison de son importance stratégique face à la sécheresse, le ministère de l’Agriculture a accéléré le processus pour Jawahir.
Malgré les difficultés de la saison, l’INRA et ses partenaires publics et privés — la Société Nationale de Commercialisation des Semences (SONACOS), l’Association Marocaine des Multiplicateurs de Semences (AMMS) et la Fédération Nationale Interprofessionnelle des Semences (FNIS) — travaillent d’arrache-pied. Leur objectif est d’atteindre une production commerciale deux ans plus tôt que prévu, soit d’ici 2027.
Le plan stratégique « Génération Verte 2020-2030 » du ministère de l’Agriculture reconnaît l’importance d’un programme ambitieux de multiplication et de diffusion de semences certifiées.
« Parvenir à la production commerciale quatre ans après l’homologation serait un record pour nous. Mais avec le soutien de notre gouvernement et de tous nos partenaires semenciers, je suis convaincu que c’est possible », affirme Moha Ferrahi, directeur de l’amélioration génétique et des ressources génétiques à l’INRA.
Les prochaines étapes
Le projet BOLD montre qu’il existe des solutions concrètes face au changement climatique. Il faut investir dans les banques de gènes qui conservent la diversité des cultures, faire progresser la sélection variétale en explorant cette diversité encore sous-utilisée, et impliquer les agriculteurs dans l’évaluation des variétés prometteuses. Mais pour que tout cela ait un impact réel, le soutien des pouvoirs publics est essentiel.
Jawahir constitue un exemple inspirant pour les gouvernements du monde entier. En unissant nos efforts, nous pouvons garantir l’avenir de notre alimentation.
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