Avec Who Do I Belong To, Meryam Joobeur livre une œuvre à la fois énigmatique et profondément évocatrice, où la quête d'identité s'entrelace à des thématiques universelles. Le film se déploie comme un labyrinthe visuel et narratif, où chaque spectateur est invité à interpréter, ressentir et se perdre.
Le film débute sur une scène de mariage dans une campagne tunisienne sèche et dépouillée, un cadre d’apparence ordinaire. Pourtant, dès les premières images, Joobeur installe un sentiment d’étrangeté : trois frères aux cheveux roux flamboyants, marqués par des tâches de rousseur qui illuminent leur peau. Ces figures, atypiques pour un contexte nord-africain, captivent instantanément et perturbent les représentations classiques. Par ce choix audacieux, la cinéaste interroge subtilement nos attentes culturelles tout en imposant une esthétique immédiatement reconnaissable. Chaque plan semble minutieusement conçu pour séduire l'œil. La photographie, signée par Vincent Gonneville, joue avec les ombres et les contrastes, amplifiant la singularité des personnages et du décor. Cette mise en scène immersive plante les graines d’une atmosphère étrange et presque surnaturelle. L’intrigue prend une tournure dramatique lorsque deux des frères disparaissent brusquement, rejoignant un conflit qui demeure en arrière-plan. Leur absence est compensée par l’arrivée de Reem, l’épouse de Mehdi, dont les yeux d’un bleu magnétique et la silhouette dissimulée sous un niqab incarnent à la fois la beauté et l’angoisse. Elle devient rapidement le point focal du récit, à la fois énigme et force motrice d’événements bouleversants. Reem n'est pas seulement un personnage ; elle symbolise un héritage de douleur et de résilience. Sa présence déclenche une cascade de transformations émotionnelles et sociales au sein du village. Par son regard perçant et ses silences, elle raconte des vérités que les mots ne pourraient jamais capturer. Une atmosphère troublante et onirique L’univers du film bascule progressivement dans un registre où la réalité se dilue dans le mythe. Joobeur imbrique avec virtuosité des éléments de mystère et d’horreur, tout en maintenant une dimension humaine. Les réactions du village face à Reem oscillent entre la fascination et la crainte. Brahim, le père des trois garçons, s’efface presque entièrement, manifestant une peur inexpliquée envers cette femme voilée. Bilal, joué par Adam Bessa, offre une ancre narrative : en tant que Garde Forestier, il tente de comprendre les événements étranges qui frappent son entourage, insufflant une dose de pragmatisme dans ce récit teinté de surnaturel. « Who Do I Belong To » dépasse le cadre d’un récit de guerre ou d’un simple drame familial. Reem incarne une rébellion silencieuse contre les oppressions subies par les femmes dans des contextes patriarcaux et violents. Elle est à la fois une figure vengeresse et une mémoire collective, évoquant toutes celles qui ont été réduites au silence. Son personnage devient une métaphore puissante, une voix qui refuse de disparaître, même dans les déserts les plus arides. Bien que le film soit d’une grande maîtrise esthétique et émotionnelle, il exige du spectateur une ouverture à l’abstraction. Les couches de métaphores et de non-dits, si elles enrichissent l’œuvre, peuvent parfois rendre sa lecture exigeante. Cependant, cette complexité sert l’intention de la réalisatrice : offrir une expérience sensorielle où chaque plan, chaque regard, et chaque silence porte un poids symbolique.