Six ans après la signature de l’accord de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), l’intégration économique de l’Afrique reste entravée par de nombreux obstacles. Le Maroc a accueilli le 5 novembre à Casablanca le « Forum ZLECAf Morocco 2024 » pour mobiliser les acteurs africains et proposer des solutions concrètes, visant à surmonter les freins juridiques, logistiques et financiers qui ralentissent l’unité économique du continent.
Six ans après le Sommet de Kigali, où la quasi-totalité des membres de l’Union Africaine ont signé l’accord instituant la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), le projet peine encore à prendre forme concrètement. En tant que l’un des pays précurseurs de cette initiative, le Maroc a organisé ce 5 novembre à Casablanca le “Forum ZLECAf Morocco 2024”, dans le but de réfléchir à l’avenir de cette intégration économique continentale et de se préparer à tirer pleinement parti des opportunités qu’elle pourrait offrir. Le forum, organisé par l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX) et le ministère de l'Industrie et du Commerce, sous le haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a réuni des responsables et des hommes d'affaires de divers pays africains. Ils ont échangé, sans détour, sur les moyens de surmonter les blocages juridiques, économiques et institutionnels qui entravent la ZLECAf et freinent l'exploitation de tout son potentiel. Zone peu intégrée Rappelons tout d’abord qu’avec ses 1,2 milliard de consommateurs et un PIB cumulé de 3.000 milliards de dollars, l’Afrique demeure la zone économique la moins intégrée au monde : le commerce intra-africain ne représente que 15% des échanges, contre 68% en Europe et 59% en Asie. La nécessité de stimuler ces échanges est d’autant plus cruciale que de nombreux pays africains souffrent d’un manque de débouchés, tandis que de nombreux producteurs peinent à trouver suffisamment de marchés pour prospérer. Des freins à dépasser Qu'est-ce qui freine encore cette initiative ? “Juridiquement, la ZLECAf est entrée en vigueur, mais techniquement, elle n'est pas encore opérationnelle”, résume Mohamed Lemine Vayda, directeur du commerce extérieur au ministère mauritanien du Commerce, de l'Industrie et du Tourisme, et négociateur en chef de la Mauritanie pour la ZLECAf. Sur les 54 pays signataires de l'accord, 48 l'ont ratifié. Les 6 pays qui n'ont pas encore ratifié l'accord appartiennent à des zones économiques régionales, lesquelles ne peuvent intégrer la ZLECAf tant que tous leurs membres n'auront pas procédé à la ratification. L'hésitation de ces derniers à ratifier s'explique par un manque de volonté politique et par la crainte que le démantèlement des barrières douanières réduise leurs revenus, notamment en devises. Les négociations entre les pays membres butent également sur des points cruciaux, notamment concernant la liste des concessions tarifaires. Chaque pays ou union douanière (CEDEAO, CEMAC, SACU, CAE) doit établir une liste de concessions tarifaires comprenant : au moins 90% de produits non sensibles (catégorie A), 7% de produits sensibles (catégorie B), et 3% dans la liste d'exclusion (catégorie C). Enfin, les négociations sur les règles d'origine, visant à définir les critères pour qu'une marchandise soit considérée comme provenant d'un pays donné, ainsi que sur le commerce des services (services financiers, télécommunications, etc.), sont toujours en cours. Ces deux aspects doivent être finalisés avant de pouvoir espérer des échanges de marchandises réellement libéralisés. Propositions de l’ASMEX Pour accélérer le déploiement de cette zone de libre-échange africaine, le président de l'ASMEX, Hassan Sentissi, a appelé à l'optimisation des chaînes logistiques sur l'ensemble du continent, soulignant qu'une logistique performante est essentielle pour fluidifier les échanges et réduire les coûts. Il a pris pour exemple l'initiative atlantique prônée par Sa Majesté le Roi, visant à connecter les pays du Sahel à l'Atlantique. Parallèlement, la ZLECAf doit également axer son développement sur le développement durable, garantissant une croissance économique bénéfique aux générations futures. Pour encourager les échanges et promouvoir les producteurs africains, Hassan Sentissi propose la création de l’Union africaine des exportateurs privés, qui renforcerait la coopération entre les acteurs du continent, faciliterait le partage d’expériences et de bonnes pratiques, et défendrait des intérêts communs sur la scène internationale. Une autre proposition consisterait en la création d'un fonds public africain de soutien aux exportateurs, destiné à fournir une assistance financière et technique aux entreprises souhaitant se lancer ou se développer à l'international. Ce fonds pourrait également aider à renforcer la compétitivité des exportateurs africains sur les marchés mondiaux en facilitant l'accès à des ressources, des formations et des technologies avancées. Il contribuerait ainsi à stimuler la croissance économique du continent et à encourager l'intégration commerciale régionale. Le problème de la convertibilité Le secrétaire général de la ZLECAf, Wamkele Mene, a également présenté les solutions sur lesquelles l’organisation travaille pour faciliter et fluidifier les échanges de marchandises, de services et de flux financiers. La non-conformité des régimes tarifaires et douaniers d’un pays à l’autre sera surmontée grâce à la mise en place du Livre électronique, permettant “d'identifier avec précision le tarif applicable à chaque produit exporté, en fonction du pays ou de la région”. En Afrique, la conversion entre les 42 monnaies entraîne un coût annuel de 5 milliards de dollars pour les opérateurs économiques, qui sont contraints d'acheter des devises pour mener leurs activités commerciales dans d’autres pays du continent. “C'est pourquoi nous avons développé le Système de paiement et de règlement panafricain, une innovation numérique permettant des paiements en monnaie locale, que nous estimons capable de résoudre ce problème tout en contribuant de manière significative à stimuler les échanges intra-africains”, a-t-il annoncé. Soufiane CHAHID
3 questions à Mohamed Lemine Vayda : "Le contexte géopolitique amène certains pays à revoir leur engagement vis-à-vis de la ZLECAf"
Quelle est la position de la Mauritanie par rapport à la ZLECAf ? En 2018, lors du Sommet de Kigali, plusieurs pays ont signé l’accord pour la mise en place de la ZLECAf, y compris la Mauritanie. Cependant, bien que cet accord ait été signé par de nombreux pays, tous ne l’ont pas encore ratifié. La Mauritanie, quant à elle, l’a ratifié dès l’année suivante, ce qui en fait l’un des premiers pays à avoir à la fois signé et ratifié cet accord. Il est important de noter que cet accord est entré en vigueur juridiquement, mais qu’il n’est pas encore opérationnel techniquement. Plusieurs facteurs expliquent ce retard, notamment le faible taux de ratification. De plus, des considérations géopolitiques influencent la situation. Depuis 2018, le contexte international a évolué, ce qui amène certains pays à revoir leurs engagements, pas seulement vis-à-vis de la ZLECAf. Il convient également de souligner que les négociations ne sont pas encore finalisées. Les discussions sur les règles d’origine et le commerce des services n’ont pas encore abouti. Comment la Mauritanie compte-t-elle profiter de la ZLECAf ? Pour la Mauritanie, la ZLECAf représente une opportunité d’élargissement de marché. Avec une population de seulement 5 millions de consommateurs, les producteurs mauritaniens bénéficieraient de cet accès à un marché continental de 1,2 milliard de personnes. En outre, la baisse des droits de douane sur les produits importés réduira les prix. La Mauritanie pourrait également jouer un rôle de plateforme commerciale importante, grâce à sa position géographique, qui en fait un point de passage naturel pour les échanges entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Quels préparatifs la Mauritanie entreprend-elle dans ce sens ? Les préparatifs doivent se faire au niveau structurel. Actuellement, les exportations de la Mauritanie se concentrent principalement sur des produits halieutiques et des minerais de fer, des ressources que d’autres pays africains exportent également. Pour bénéficier pleinement de la ZLECAf, la Mauritanie doit s’engager dans une diversification de ses exportations. Le pays possède des atouts importants, notamment un cheptel de 30 millions de têtes de bétail, qui pourrait être exporté vers des marchés comme le Maroc. De plus, le secteur agricole présente un fort potentiel, avec des zones extrêmement fertiles qui pourraient être exploitées pour soutenir cette dynamique d’exportation. Recueillis par Soufiane CHAHID
Agenda 2063 : L’Afrique prépare son avenir
La ZLECAf est une initiative qui entre dans le cadre de l’agenda 2063. L’Agenda 2063 est le plan stratégique adopté en 2015 par l’Union Africaine pour faire de l’Afrique un acteur majeur sur la scène mondiale d’ici 2063. Il repose sur une vision commune de croissance inclusive et de développement durable, en se basant sur des initiatives antérieures pour renforcer l’intégration et la prospérité du continent. Cet agenda se structure autour de sept grandes aspirations : Une Afrique prospère fondée sur une croissance inclusive et un développement durable. Un continent intégré et uni, inspiré par les idéaux du panafricanisme et de la renaissance africaine. Une Afrique de bonne gouvernance respectueuse des droits de l’Homme, de la justice et de l’État de droit. Une Afrique pacifique et sécurisée. Une Afrique avec une identité culturelle forte, un patrimoine commun et des valeurs partagées. Une Afrique centrée sur ses populations, exploitant pleinement le potentiel des femmes et des jeunes, et soucieuse du bien-être des enfants. Une Afrique influente et compétitive sur la scène mondiale.
Entreprises marocaines : Comment surmonter les obstacles ?
La ZLECAf est une opportunité aux entreprises marocaines pour renforcer leurs échanges sur le continent. Cependant, elle impose plusieurs défis que les exportateurs doivent surmonter. 1. Barrières non tarifaires : La réduction des droits de douane n’élimine pas les obstacles administratifs, qui restent élevés avec des réglementations variées, restrictions quantitatives et démarches lourdes selon les pays. Les entreprises marocaines doivent approfondir leur connaissance des spécificités locales et envisager des partenariats avec des acteurs locaux pour réduire ces délais et coûts. 2. Infrastructures logistique: L’insuffisance des réseaux de transport complique la logistique des exportateurs, rendant le transport coûteux et risqué, notamment pour les produits périssables. Utiliser Tanger Med comme hub logistique et collaborer pour investir dans des infrastructures locales peut faciliter la connectivité et réduire les coûts. 3. Conformité aux normes locales: La diversité des normes de qualité, sanitaires et sécuritaires dans chaque pays représente un défi d’adaptation des produits. Les exportateurs doivent effectuer des contrôles qualité et se former aux normes locales pour éviter des restrictions d’entrée. Pour anticiper ces défis, les entreprises marocaines devraient surveiller les évolutions législatives, diversifier leurs destinations et s’appuyer sur des institutions comme l’ASMEX pour bénéficier d’un soutien. En s’adaptant efficacement, les exportateurs marocains peuvent non seulement tirer profit de la ZLECAf mais aussi contribuer au développement économique du continent africain.