Le Royaume se dote d’un outil essentiel pour la préservation de ces espèces emblématiques et précieuses. Une réponse scientifique et humaine aux multiples défis auxquels elles font face.
Samedi 23 novembre, s’est tenue une réunion au niveau du siège de l’Institut National de Recherche Halieutique (INRH) à M’diq, dans le cadre du projet de création du premier Centre de réhabilitation des tortues marines au Maroc. Cette réunion a connu la participation de plusieurs partenaires de ce projet, à savoir le Centre d'Activités Régionales pour les Aires Spécialement Protégées (SPA/RAC) et l’Association de Protection des Tortues Marines au Maroc (ATOMM). Selon nos sources, le projet fait suite à un accord concrétisé en 2022 entre l’INRH et SPA/RAC avec l’appui de l’Ambassade de France et de l'Union Européenne. «On trouve ce genre de Centres de réhabilitation et de soins des tortues marines dans l’ensemble de la zone méditerranéenne. A part quelques pays d’Afrique du Nord comme l’Egypte et la Libye, quasiment tous les pays méditerranéens disposent de Centres équivalents», nous confie Mustapha Aksissou, professeur de biologie marine à l’Université Abdelmalek Essaâdi de Tétouan et président de l’ATOMM. Interactions avec la pêche Si les scientifiques des deux rives de Mare Nostrum semblent aux petits soins pour ces animaux, la raison principale se cache derrière un effondrement des populations de ces tortues, tant au niveau international que méditerranéen. Alors qu’elles peuplaient les mers et océans il y a déjà plus de 100 millions d’années, les tortues marines, qui ont certainement côtoyé les dinosaures, sont aujourd’hui réduite à 7 espèces au niveau mondial : quasiment toutes menacées ou gravement menacées. «Le filet maillant dérivant qui était vraiment le plus grand des dangers pour la survie des tortues marines a été interdit au niveau des pays méditerranéens. C’est en soit une excellente chose. Il reste cependant d’autres engins de pêche qui enregistrent moins d’interactions avec les tortues, mais qui constituent cependant un potentiel préjudiciable puisqu’ils peuvent tout de même causer des captures accidentelles. D’autres menaces persistent, notamment la pollution marine, la dégradation des habitats et des zones de ponte», souligne Pr Aksissou. Approche commune Ainsi, les divers points focaux concernés par la protection des tortues marines dans les pays méditerranéens travaillent ensemble pour mettre en œuvre des stratégies de conservation qui s’adaptent à des espèces qui ne connaissent pas les frontières et dont la survie est tributaire d’un effort collectif. «Il existe en Méditerranée, depuis quelques années, un protocole unifié pour la collecte de données et l’évaluation de l’interaction des tortues marines avec les engins de pêche. Il existe également une méthodologie à adopter pour la prise en charge, la réhabilitation éventuelle et le relâcher des tortues marines», explique notre interlocuteur. «Il est certes assez rare au Maroc de trouver des tortues marines échouées qui sont encore en vie puisque, dans la grande majorité des cas, ces tortues sont trouvées mortes malheureusement. Il y a eu cependant quelques cas durant ces dernières années où l’on a constaté l’échouage de tortues marines encore vivantes, et là, nous avons bien évidemment essayé de les soigner avec nos propres et modestes moyens», précise le président de l’ATOMM. Assistance technique Une fois mis en œuvre, le Centre de réhabilitation des tortues marines sera une infrastructure de référence pour mieux traiter ce genre de cas. «Ce projet important va également contribuer à inciter les pêcheurs à ramener les tortues qui sont parfois capturées accidentellement et qui ont manifestement besoin de réhabilitation avant le relâcher en mer», poursuit notre interlocuteur. Sur les réseaux sociaux, plusieurs vidéos et photos ont été publiées ces dernières années montrant des pêcheurs qui libèrent des tortues marines piégées dans leurs filets, puis qui les relâchent en mer. Il est probable que la majorité de ces tortues marines ne survivent pas en l’absence de soins adaptés, d’où l’intérêt du Centre de réhabilitation qui permettra de diminuer les chances de mortalité. A noter que le Centre d'Activités Régionales pour les Aires Spécialement Protégées (SPA/RAC) fournira l’appui technique nécessaire aux équipes qui devront bientôt s’activer au niveau de ce centre. Omar ASSIF
3 questions à Mustapha Aksissou, président de l’ATOMM « Nous aspirons à pouvoir installer des dispositifs de suivi GPS sur certaines tortues marines réhabilitées afin de pouvoir mieux identifier les routes de migration »
Quels sont la contribution et le niveau d’implication de l’ATOMM dans le projet de Centre de réhabilitation des tortues marines ? Comme expliqué précédemment, au vu de sa mission et de ses prérogatives, c’est l’INRH qui est le porteur de ce projet qui bénéficie de l’appui technique du Centre d'Activités Régionales pour les Aires Spécialement Protégées (SPA/RAC). Cela dit, au vu de son travail sur le terrain depuis plusieurs années, notre association participe aux diverses rencontres et réunions dédiées à ce projet. Est-ce qu’il existe des plages marocaines où les tortues marines viennent pondre leurs œufs durant la période de reproduction ? Le Maroc est un territoire de passage important pour les tortues marines. Cela dit, il n’existe pas de plages au niveau national qui connaissent des pontes de tortues. Il n’est cependant pas exclu que certaines zones côtières marocaines puissent accueillir des tortues à la recherche de sites adéquats pour la ponte, et cela, principalement à cause des modifications qui sont engendrées par les changements climatiques. Est-ce que les chercheurs marocains disposent de données suffisantes pour évaluer l’évolution, l’écologie et le statut de ces espèces ? C’est le cas pour les chercheurs de l’INRH, puisque ses missions impliquent un accès direct aux pêcheurs ainsi que des missions scientifiques en mer. D’une manière générale, les données sur les tortues marines sont assez rares. D’où notre intérêt à capitaliser sur le projet de Centre de réhabilitation pour combler certaines lacunes. Nous aspirons à pouvoir installer des dispositifs de suivi GPS sur certaines tortues marines réhabilitées afin de pouvoir mieux identifier les routes de migration par exemple, ce qui sera un précédent au Maroc, puisqu’à ce jour, aucune expérience n’a pu se faire dans ce sens.
Ecologie : Le littoral marocain, carrefour vital pour les tortues marines
Le littoral marocain, à la croisée des eaux atlantiques et méditerranéennes, est une zone clé pour plusieurs espèces de tortues marines. La plus répandue est la tortue caouanne (Carettacaretta), qui fréquente les côtes pour se nourrir. La tortue verte (Cheloniamydas), reconnaissable à sa carapace lisse, et la tortue imbriquée (Eretmochelysimbricata), prisée pour sa carapace, visitent également ces eaux. Les tortues luth (Dermochelyscoriacea), géantes des mers, apparaissent parfois au large, tout comme les tortues olivâtres (Lepidochelysolivacea) et, plus rarement, les tortues de Kemp (Lepidochelyskempii). Ces espèces, bien qu’ayant des préférences d’habitat variées, trouvent au Maroc des zones de passage, de repos et parfois de reproduction. Observer ces tortues en milieu naturel confirme le rôle central des eaux marocaines dans leurs cycles de vie. Ces zones côtières offrent des espaces essentiels pour l’alimentation, la migration et parfois même la nidification de ces espèces emblématiques.
By-Catch : Les tortues marines, victimes collatérales de la pêche en Méditerranée
Les tortues marines subissent de plein fouet les conséquences des activités humaines, notamment celles dites indirectes, qui menacent leur survie à chaque étape de leur cycle de vie. Parmi ces dangers, la pêche accidentelle figure en tête des préoccupations. Si aucune pêche ciblant spécifiquement les tortues marines n’existe en Méditerranée, ces espèces se retrouvent souvent prises au piège dans les engins de pêche, tels que les palangres, les chaluts et les filets maillants. Ces outils, redoutables pour les tortues, s’avèrent souvent fatals. Lorsqu’elles se retrouvent empêtrées dans les filets, hameçonnées par les lignes de palangres ou piégées dans les sacs des chaluts, elles sont incapables de remonter à la surface pour respirer. Cette incapacité, aggravée par le stress intense qu’elles subissent, accélère leur noyade. Les réseaux d’échouage révèlent régulièrement des carcasses de tortues victimes de ces engins, mais ces signalements ne représentent qu’une fraction du drame. De nombreuses plages ne sont pas surveillées, rendant les échouages invisibles aux statistiques. Une étude menée il y a quelques années a estimé que plus de 150.000 tortues marines sont capturées accidentellement chaque année en Méditerranée, toutes espèces et tailles confondues. Parmi elles, 50.000 sont victimes des palangres de surface, 40.000 des chaluts et 30.000 des filets fixes, avec une mortalité dépassant les 50.000 individus. Ces chiffres alarmants illustrent l’urgence de trouver des solutions pour protéger ces espèces emblématiques et préserver leur rôle crucial dans l’écosystème marin.